Route des Tamarins : la question environnementale - 2 -

Ravine Fontaine : des grues dans un jardin

22 mai 2007

L’image vaut pour tous les chantiers de La Réunion, si l’on admet que l’île entière est un jardin, dont il faut préserver les espèces remarquables. Pour autant, si l’on veut en finir avec le chômage et la misère, peut-on se passer des infrastructures utiles à la circulation des hommes et de leurs activités ?
La Ravine Fontaine est d’un intérêt écologique particulier : avec la Rivière des Galets (Le Port) et la Grande Ravine (Saint-Leu), elle fait partie des lieux de nidification du Puffin de Baillon, dont le Centre d’étude biologique de Chizé (CEBC) associé au CNRS a recensé, en 1998, 21.000 individus d’une sous-espèce endémique : le Puffinus lherminieri bailloni. Selon cette même étude, il faut y associer le Puffin du Pacifique, espèce pantropicale - donc pas endémique : on la trouve ailleurs - qui appelle une protection particulière parce qu’elle est rare à La Réunion : entre cent et mille individus, selon la même source.
Selon l’état des lieux dressé en 2000 par l’Expertise faunistique du tracé de la Route des Tamarins (SEOR), la faune terrestre présente le long du tracé compte des oiseaux diurnes (salanganes et hirondelles) ; une espèce de caméléon (chamaeleo pardalis) ; deux petits mammifères ailés, deux chauve-souris protégées : le molosse (mormopterus acetabulosus) et le typhien (taphozous mauritianus). Il existe aussi une faune spécifique aux planèzes et une faune des ravines - dont la ravine Fontaine, l’un des sites de reproduction d’espèces protégées.
Ravine Fontaine, plusieurs colonies de Puffins de Baillon ont été localisées. Les plus nombreuses se situent en aval des ouvrages et sont moins vulnérables. Mais deux colonies ont été recensées à moins de cinquante mètres (en aval) de l’ouvrage. Le principal risque signalé sur la ravine est l’attraction lumineuse (en cas de chantier de nuit), la destruction ou le dérangement des nids et les risques liés à la création d’obstacles.
Un filin porteur de conduite d’eau traverse la ravine : on peut voir, de jour, les pailles-en-queue se jouer de sa présence. Mais que font les Puffins de Baillon la nuit ? L’enquête ajoutait que « ces risques peuvent être réduits par l’adoption de mesures de protection ».

Sur le chantier...

Le mandataire (Demathieu et Bard) est associé à la GTOI (génie civil) et à une entreprise italienne (CIMOLAI) de charpente métallique pour la réalisation d’un ouvrage d’art exceptionnel (OAE) : un pont en arc de 170mètres d’un bout à l’autre de l’incurvé, sur lequel repose un tablier de 200 mètres de long.
Entre ce tablier et le fond de la ravine : 110 mètres de hauteur.
La phase des terrassements se termine : on voit deux tranchées dans la falaise, de part et d’autre de la ravine ; elles sont destinées à recevoir les “massifs de fondation” - 8000 mètres cubes de béton - qui vont porter l’arc.
Pour creuser les tranchées et extraire les matériaux, il a fallu approcher des grues à benne, sur des plateformes relativement étroites.
Brice Charier, directeur des travaux GTOI, expose les difficultés du chantier. « L’objectif poursuivi dans le creusement des plateformes, est de ne rien faire tomber (dans le fond de la ravine-Ndlr), mais la sécurité du matériel et des hommes ont aussi leurs contraintes. Quelquefois, même au minage, on a eu des surprises », dit-il en expliquant les effets d’un dynamitage selon qu’il rencontre du basalte dur ou une poche de scorie. Sur place, la plate-forme de la rive droite est marquée par un éboulis causé par un dynamitage “à surprise”. Ce cas a montré les limites de la prévention et a motivé une série de réunions et de consultations qui sont “remontées” jusqu’à la DORT et la DIREN. Jusqu’à quel point est-ce réparable ?
Sur les plates-formes, le tri des déchets est organisé par la présence de bennes différentes. Une première plateforme sert au stockage des produits polluants, avec débourbeur et déshuileur. Ailleurs, une petite plateforme de stockage, avec bac de rétention pour les surverses et les matériaux absorbants.

Malika Bénamar explique que l’entreprise a une obligation d’assainissement de la plate-forme, à cause du lagon voisin. Un bassin de lavage des toupies (avec une toile blanche) a été creusé, « assez grand pour laisser le béton sécher en attendant le curage », dit-elle. Les eaux qui arrivent du bassin amont sont renvoyées vers un fossé en bordure de ravine et vont aux infiltrations. Celles de la plate-forme sont récupérées dans un fossé vers un bassin de décantation.
Les rendez-vous sécurité/Environnement ont lieu deux fois par mois. Malika Benamar note que ses observations « passent plus difficilement avec les sous-traitants ». « Il faut faire beaucoup d’effort pour faire prendre conscience... » Néanmoins, il y a une écoute, des améliorations s’installent peu à peu... « Mais il faut être là ! »
Arnaud Martin repère les espèces rares ou protégées : un pied d’Abutilon - il y en aurait un autre sur l’emprise du chantier - « espèce indigène considérée comme rare à l’échelle de l’île » selon la classification du Conservatoire Botanique. Et aussi : des bois de violette, bois d’olive et un petit pied de bois de lait adossé à une roche, en bordure de ravine.
Un peu plus loin : bois pat’poule et dombeya acutangula (mahot tantan) et, en limite de DUP, une espèce protégée (bois de chenille), signalée comme très proche, a été retrouvée en fait un peu plus loin (selon un problème de précision des localisations auquel les spécialistes sont habitués).

Pascale David


L’équipe Environnement GTOI-De Mathieu&Bard

Malika Benamar, responsable “QSE” (Qualité Sécurité Environnement) GTOI : elle effectue des contrôles ponctuels sur les chantiers, suivant les comptes-rendus qui lui sont remontés. A chaque visite, elle fait des photos. Avec Arnaud Martin et Lauriane Lacoudray, elle représente le 3e niveau de contrôle du chantier.
Jérôme Siente-Icaze, conducteur des travaux de terrassement (GTOI). Il est chargé de finir cette partie terrassement au plus tard le 26 avril.
Arnaud Martin (Biotope).
Lauriane Lacoudray, responsable Sécurité Environnement DeMathieu&Bard : Bac génie civil au lycée Hinglo ; formation AFPA techniques d’étude du Bâtiment (en métropole) puis formation chef d’équipe VRD à La Réunion, juste avant l’OANC 8, où elle travaille avec Dodin-SBTPC. Son premier emploi est sur la tranchée couverte de Saint-Leu, un chantier arrêté par des conflits avec les riverains et redémarré en mars-avril 2007. A fait des contrôles béton en laboratoire pour DM&B à la Rivière des Pluies ; travaille sur cette OA exceptionnel depuis octobre 2006.

P. D.


Société d’études ornithologiques de La Réunion

L’éducation est le meilleur garant de la protection des oiseaux

La SEOR est intervenue lors de l’étude d’impact, soit bien avant l’arrivée des entreprises, pour signaler les points à surveiller dans l’exécution des chantiers.
« Les oiseaux, les chauves-souris, la faune des ravines en général est présente depuis des centaines d’années. Les humains ne sont là que depuis trois siècles et ce dernier siècle a été le plus important, avec l’apparition des câbles et des lumières », commence Marc Salamolard, passionné d’ornithologie, directeur d’études à la SEOR. « Les jeunes pétrels et puffins sont attirés par les éclairages et lorsqu’ils tombent au sol, ils sont condamnés si on ne les ramasse pas, victimes de prédateurs comme les chats ou les rats » poursuit-il. L’information a circulé, les procédures disent quoi faire et qui appeler. D’après les remontées d’information, rien de tel ne se serait encore produit, mais Marc Salamolard reste sceptique. « On n’a pas trouvé le système pour qu’il y ait un rendu par les bureaux d’étude et que cela ne reste pas entre entreprises, bureaux d’études et maître d’ouvrage, mais que ce soit communiqué à la société civile » dit-il.
L’expérience de la route littorale a apporté son lot de doutes. « Dans la pose des filets, les ouvriers disent qu’ils condamnent des niches de reproduction. On n’a pas de remontée sur l’efficacité du système mis en place. On apprend ensuite qu’il y a des faiblesses dans le système, mais il reste difficile de faire des propositions pour essayer d’améliorer les choses ».
La parade, pour l’association, est de communiquer largement : un public instruit et sensibilisé reste à ses yeux le meilleur garant d’une protection partagée des espèces rares. « A La Réunion existent des oiseaux uniques au monde... qui ont besoin de nous tous ! » disent les prospectus de la SEOR, dont l’un informe très complètement sur les pollutions lumineuses, les mobiliers urbains à proscrire et les menaces qu’ils font peser sur le pétrel de Barau et le pétrel noir, deux oiseaux marins uniques au monde.

SEOR : 0262.20.46.65


Biotope

Des espèces rares et remarquables repérées en grand nombre

Biotope est l’une des sociétés chargées du “contrôle extérieur” environnemental auprès des maîtres d’œuvre (voir plus haut). En lien avec la Direction des Opérations et ses cinq “lots indicateurs” - avifaune, flore, qualité de l’eau marine, incidence hydraulique et cicatrisation - Biotope s’occupe du lot “ornithologique et botanique” et boucle ce mois-ci le rapport définitif sur l’état initial. Il y en aura deux autres : un sur la phase “chantier” et un sur la phase “exploitation” (à n+1, n+3 et n+5), à rendre à la DORT en 2015.
Concernant la phase initiale, Biotope a travaillé notamment sur les oiseaux et les espèces végétales envahissantes. Les enquêteurs ont surtout procédé à des repérages d’espèces protégées et remarquables, trouvés « en nombre nettement supérieur au relevé du Conservatoire botanique », expose Mathieu Souquet, en évoquant « plus de 300 emplacements comptant au moins un individu rare ou protégé ». Ils auraient relevé dans ces stations - c’est ce que dira leur rapport - une trentaine d’espèces protégées, vingt espèces rares, le reste se composant « d’espèces indigènes avec degré patrimonial important ».
« A la Ravine Fontaine, l’état initial comporte une espèce protégée et quatorze espèces remarquables »,
poursuit l’ingénieur de Biotope.

P. D.


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