Route des Tamarins

Surcoûts : un cas d’école pour les chantiers à venir

28 mai 2008

La Route des Tamarins devrait être livrée l’année prochaine. Mais ce chantier “hors pair” à plus d’un égard aura aussi un surcoût “hors pair” qui pose en termes nouveaux la question des investissements d’infrastructure et des priorités. Du point de vue des enseignements à tirer de l’audit dont la collectivité a livré les conclusions hier, il y aura un “avant” et un ”après” Route des Tamarins dans les Travaux publics à La Réunion.

Estimé à un coût de 635 millions d’euros lors de l’avant-projet sommaire (APS, 2000), le chantier de la Route des Tamarins a atteint huit ans plus tard et à un an de sa livraison, le montant de 1.091 millions d’euros, soit une évolution de +72% du coût initial. La collectivité a demandé un audit dont le rapport a été discuté lors de sa présentation devant la Commission permanente des élus, hier matin. Moralité : bien qu’important, le surcoût n’est pas dû à un défaut de maîtrise, mais à un faisceau de conditions - les unes prévisibles, les autres surgies de la taille du chantier - et pour l’essentiel, il est le fait d’une inflation aux causes multiples. Hors inflation, le coût des travaux (en valeur 2000, c’est-à-dire à unité constante) est passé de 635 millions à 821 millions d’euros, soit une augmentation de 29%.
Le cabinet IRIS, qui a mené l’audit pour la Région, a exposé hier sa méthodologie d’analyse et un phasage des coûts en un pôle 1 (études) et un pôle 2 (travaux), dont le pivot est l’année 2005. La plus forte augmentation s’est produite avant 2005 (+20%).
Une autre question que s’est posé le cabinet d’étude a été à savoir s’il n’y avait pas eu de sous-évaluation du coût initial : était-il le bon ? À 17 millions d’euros près, oui. Le décalage est lié à une évaluation à un temps “T” alors que les prix continuent à évoluer de 2% par an (entre 95 et 99).

Un effet d’aubaine pour les entreprises

Les facteurs d’augmentation des coûts sont intervenus entre 2000 et 2004, pour la plus grosse part. Ils sont dus à des modifications de programme, au besoin de refaire des études techniques et à un « effet isolat » qui, lorsqu’il se manifeste en 2003, au moment des premiers appels d’offres, surprend les responsables des opérations. Ils avaient tablé sur un lancement des marchés à hauteur de 180 millions d’euros en 2003 et le résultat a plafonné à moins du tiers : c’était le premier signe - alors incompréhensible, même des responsables de la DORT - de ce qui a été appelé plus tard « l’effet hollandais » ou effet « isolat ». Il aura coûté au final 30,5 millions d’euros. C’est, d’après les spécialistes, le nom d’un modèle économique apparu en 82, désignant l’effet produit par l’arrivée dans un petit marché d’un effet de manne substantiel, comparable à ce qui s’est produit en Hollande au moment de la mise au jour du gisement de gaz de Groningen. Le volume des marchés des travaux, rapporté au modèle économique insulaire et au fait que les grosses sociétés venues d’Europe étaient d’une part éloignées de leur centre (ce qu’elles avaient prévu), mais aussi en situation de moindre concurrence : tout cela ensemble a contribué à un effet de “manne” dont toutes les entreprises du BTP ont bénéficié. L’effet des 35h (payées 39... mais qui les a payées réellement, dans le BTP : les entreprises ou la collectivité ?) et l’arrivée d’entreprises extérieures créant plus de demande que d’offre sont citées parmi les causes du renchérissement. On a même parlé de “cercle vicieux” : une hausse des coûts entraînant les index locaux à la hausse, lesquels font augmenter les coûts, etc... « C’en est arrivé au point où l’une des grosses entreprises venue pour ce chantier a calculé qu’il lui reviendrait moins cher de faire venir sa propre centrale à béton, plutôt que de se fournir localement » se souvient Jean-Louis Cariou, directeur-adjoint du suivi des opérations à la DORT.
L’augmentation globale sur cette phase du pôle 1 a été de 113 millions d’euros (hors foncier), à rapprocher des 59 millions de surcoûts des travaux, en pôle 2 (2005-2008). Elle inclut les modifications de programme (+ 11,4 millions) sur les ouvrages d’art exceptionnels - problèmes géologiques, appui et travées supplémentaires à la ravine Trois-Bassins, pistes d’accès ajoutées à la Grande Ravine, campagnes géotechniques à la Grande Ravine et à Ravine Fontaine...
L’« effet de masse » qui se serait produit sur un chantier comparable, en Europe - avec mise en concurrence d’entreprises de niveau européen, maîtrise des paramètres techniques, mise en concurrence de nombreux fournisseurs et, au final, une prise de risque moindre pour les entreprises, a été annihilé par l’étroitesse du marché, la faiblesse de la concurrence et plus de risque pour les entreprises. C’est l’effet isolat qui l’a emporté.

A La Réunion, une inflation cumulée de 50% sur huit ans

Dans le pôle 2, l’augmentation des coûts a été de 53 millions d’euros, hors foncier (6 millions), dont 37 millions pour « des travaux supplémentaires liés aux aléas techniques... » ou « à la demande du maître d’ouvrage ». La Région, par exemple, n’a pas “marchandé” le relogement des occupants délogés par le tracé de la route. Sur 90 familles, 67 ont été relogées ; les autres ont été indemnisées - le tout pour un montant de 20 millions (14+6) entre 2000 et 2008. Le choix “social” a constamment primé, sur les questions de l’emploi également comme dans l’approche qui a été faite des allotissements des marchés.
Mais c’est massivement l’inflation qui a renchéri l’opération et la comparaison des indices des prix à la consommation le montre. Après les 127 millions de surcoût de la phase étude et les 59 millions de surcoûts des travaux, le montant total a atteint 821 millions d’euros (valeur 2000). La différence avec les 1.091 millions du coût réel est le produit de l’inflation, selon l’étude du cabinet IRIS. Soit une inflation de 270 millions (valeur 2008), tempérée toutefois par les résultats d’une simulation faite pour un chantier similaire qui se serait déployé en France : l’inflation finale, selon cette simulation, aurait été de 201 millions, soit un peu moins de 70 millions de différence. Un chantier de 635 millions d’euros, qui aurait eu à faire face en France à des aléas comparables, aurait surenchéri à hauteur de 927 millions d’euros, signale l’étude IRIS. L’indice des prix à la consommation est à La Réunion de 50%, selon cette étude, contre 34% en France, en inflation cumulée sur huit ans.

Dans l’ensemble, l’effet "économie locale" n’a pas fini de nourrir les réflexions de la collectivité et des maîtres d’ouvrages, compte tenu de l’importance des investissements qui restent à faire. « Avons-nous les moyens de faire le Tram-train, la Route littorale et les stations d’épuration pour lesquelles plusieurs maires de l’île sont aujourd’hui mis en examen (voir ci-après) ? » a questionné Paul Vergès, après avoir tiré « l’enseignement » de cet audit.
La réflexion de la collectivité va devoir porter sur les priorités et sur les moyens d’y faire face. En 2007, Gamède emporte le pont de la Rivière Saint-Etienne : la Région apporte 85 millions en urgence. Au travers des exemples rappelés par le président de la Région, de probables révisions sont à prévoir dans les rapports entre les collectivités.
Si la Région a stoïquement pris à sa charge, il y a quelques années, 70% de la rénovation de 345 groupes scolaires municipaux, elle sera amenée à poser autrement les participations au tram-train. « Quel sera le coût ? Comment l’évaluer et quel en sera le dépassement ? » a demandé Paul Vergès, en faisant observer tout de même que les villes de France que se sont dotées d’un tram l’ont payé elles-mêmes. « A La Réunion, non seulement les communes ne paient pas mais elles exigent toujours plus » a ajouté le président de Région. Il y a de la révision dans l’air...
Les dépassements de coût, s’ils doivent être intégrés aux programmes de travaux comme une donnée structurelle, vont reposer la question des priorités entre les dangers de l’eau, et le programme des déplacements et des transports - entre autres nécessités.

P. David


Paul Vergès :
« Des maires sont aujourd’hui mis en examen pour des stations d’épuration hors normes européennes »
L’information donnée hier par le président de Région est venue dans le flot des interrogations soulevées par les besoins en investissements d’infrastructures. Peu de communes dans l’île se sont dotées de station d’épuration. Et à l’exception de celle de Bras-Panon, la seule station à être aux normes européennes, parce qu’elle est la plus récente, les autres - Sainte-Marie, Saint-Denis, Sainte-Suzanne, Saint-André, le Port/Possession (en intercommunal), Saint-Paul et Sainte-Rose - de génération plus ancienne, sont aux normes françaises et, pour la quasi totalité d’entre elles, très saturées.
C’est ce qui vaudrait à leur maire d’être mis en examen les uns après les autres - ce qui ne va pas passer inaperçu - ne serait-ce que parce que le procédé exempte ceux des maires qui n’ont strictement rien fait !
Mais au final, c’est bien la totalité des communes qui vont devoir se mettre à jour, et vite...

Lutter contre la vie chèreRoute des Tamarins

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