
Tramway : l’exemple de Bordeaux
26 juin 2006

Depuis fin 2003, Bordeaux et sa région sont desservis par un tramway. Équipement fiable et peu coûteux pour l’usager, sa mise en service a désengorgé un trafic routier englué par des décennies de ’tout auto’. Un exemple intéressant pour La Réunion.
12 heures 17. À Bordeaux comme partout ailleurs dans les grandes villes de métropole et de La Réunion, c’est l’heure de pointe. Le célèbre pont de pierre illustrant toutes les cartes postales de Bordeaux n’échappe pas à la règle. À la station située à la sortie de l’ouvrage d’art, des dizaines d’usagers sont massés des deux côtés des rails. Ils attendent le tramway. Il y a là des jeunes, collégiens et lycéens, des employés, des mères de familles avec leurs poussettes et même un cycliste avec son vélo.
12 heures 19, arrive une “rame de tram”. Il n’y a pas de bousculade. Le cycliste monte avec son vélo, les mères de famille avec leurs poussettes. Jugeant que la rame est trop pleine, une poignée de jeunes reste à quai. Leur joyeux chahut ne dure pas longtemps. Moins de 4 minutes après le départ du précédent train, un autre est déjà là. Cette fois les jeunes montent. Le groupe s’éparpille au fil des stations. Les derniers descendent dans la zone piétonne en plein cœur du centre-ville bordelais. Avec le respect des feux de signalisation, le trajet a duré moins de 7 minutes, et une bonne partie de la ville a été traversée. Pas d’embouteillages, ni même de ralentissement. Ce qui est une réalité concrète à Bordeaux relève encore du domaine de l’imaginaire pour les dizaines de milliers d’usagers quotidiennement englués dans les énormes bouchons du réseau routier réunionnais.
C’est pour que ces embouteillages soient relégués au rang de tristes souvenirs que le Conseil régional, par le biais de la SR 21 (une SEM regroupant des capitaux publics et privés), a lancé le projet tram-train. Si les délais sont respectés, cet équipement desservira l’axe Sainte-Marie- Saint-Paul en 2012. L’île aura alors rejoint le club de plus en plus ouvert des régions françaises utilisant ce moyen de transport fonctionnel, fiable et peu coûteux pour les usagers. L’idée est de dissuader les automobilistes d’utiliser leurs voitures et de fluidifier considérablement une circulation engorgée par plus de 40 ans de "tout auto".
L’exemple de Bordeaux prouve que le pari n’est pas complètement fou. "La dernière ligne de tramway de la commune a été désaffectée en 1958 par le maire d’alors Jacques Chaban Delmas", relate Didier Maurin, responsable de la mission tramway à la CUB (Communauté urbaine de Bordeaux regroupant 27 communes et 680.000 habitants, ce qui fait d’elle la 7ème agglomération de France). Nous sommes dans l’immédiate après-guerre est dans toute la France, l’époque est plutôt au "tout auto". Les Villes sont favorables au développement de la voiture individuelle. Des réseaux de bus sont mis en place, mais ne bénéficiant pas de TCSP (Transport en commun en site propre - mise à disposition de couloirs spécifiques), ils seront vite inefficaces. Car, les mêmes causes produisant les mêmes effets quel que soit le tropique où l’on se trouve, en moins de trois décennies, le "tout auto" a plongé voitures individuelles et bus dans les affres d’une circulation quasiment bloquée à certaines heures dans Bordeaux et ses environs.
90% de la population pour le tram
Fortement pénalisant, notamment du point de vue économique. En effet, tous les acteurs économiques le diront, le temps étant de l’argent et le temps perdu ne se rattrapant jamais, il fallait réagir. "Au début des années 80, des élus et des industriels ont alors commencé à émettre l’idée de mettre en place un tramway pour désengorger le trafic routier", indique Didier Maurin. Blocage de Jacques Chaban Delmas plutôt favorable à un métro. Les études détermineront que l’équipement, beaucoup plus cher à la construction que le tram, n’est pas du tout adapté à la desserte de la région. Mais Jacques Chaban Delmas veut pourtant aller jusqu’au bout de son idée. Il demeure fermement opposé au tramway. Du coup, rien ne se fait et les bouchons continuent à prospérer.
La situation se débloque en 1995 lorsque Alain Juppé est élu maire de Bordeaux. Un schéma directeur des déplacements urbains avec une complémentarité entre les bus et le tram est adopté en 1996. L’année suivante sera réservée à la concertation "qui a été le maître mot du projet tout au long de sa réalisation", souligne Didier Maurin. "Des dizaines de réunions ont été organisées avec les habitants, riverains ou pas du tracé, les commerçants, les adeptes du vélo, les associations... Toutes les manifestations organisées dans l’ensemble des communes de la CUB étaient l’occasion d’aller à la rencontre des gens, de leur présenter le projet, de collecter leurs remarques et leurs propositions", énumère le responsable de la mission tramway.
Au final "90% de la population se dit favorable au projet", ajoute-t-il. Les travaux, même les plus lourds, ont alors lieu sans heurts majeurs avec les habitants et les commerçants riverains du tracé. Les premiers ont eu droit à des garages gratuits pour le temps des travaux. À condition d’avoir prouvé une perte de leur chiffre d’affaires ; les seconds ont été indemnisés. Ils ont ainsi perçu 10 millions d’euros d’indemnités. Soit un peu plus de 1,5% du montant total du chantier qui s’est élevé à 650 millions d’euros (la seconde tranche en cours de réalisation mobilisera une enveloppe de 550 millions d’euros).
Le tramway est mis en service fin 2003. Après une série d’incidents techniques qui ont bien failli le rendre impopulaire (voir encadré), il est aujourd’hui incontournable dans le paysage du transport bordelais. La preuve : il transporte quotidiennement entre 160.000 et 180.000 personnes soit plus du tiers de la population globale de la communauté urbaine.
Vélo à bord et voitures au parking
Le tramway dessert 11 des 27 communes de la communauté urbaine de Bordeaux (CUB). Les 3 lignes transportent quotidiennement entre 160 et 180.000 passagers sur un parcours de 23 kilomètres. Il passera à 43 kilomètres à la fin des travaux d’extension en 2008. Il sera alors le plus important réseau de métropole. Doté de 44 rames (74 en 2008), le tram fonctionne tous les jours de 5 heures à 1 heure du matin avec une fréquence de passage de 4 minutes. Les rames circulant en site propre, elles échappent aux éventuels embouteillages. Les horaires de passages constamment visibles sur un tableau à affichage numérique, sont donc en général respectés. Si ce n’est pas le cas, les usagers attendant aux stations sont renseignés par haut-parleur sur les raisons du retard et sur l’horaire du prochain passage. Un ticket coûte en moyenne un euro.
Détails remarquables, le tram a été aménagé pour permettre un accès facile aux personnes handicapées se déplaçant en fauteuil. Les poussettes et les vélos sont acceptés à bord. Quant aux automobilistes arrivant des zones non desservies par le tram, ils ont la possibilité de laisser leurs véhicules dans des parkings surveillés spécialement aménagés en bout de ligne. Ce qui leur permet d’utiliser le tramway pour se déplacer en ville.
Alimentation par le sol
Le marché de construction du tramway a été attribué à Alsthom. Le groupe industriel a dû alors se plier à un certain nombre de conditions du cahier des charges du marché. Il s’agissait notamment de mettre en service un équipement non polluant évitant toute dégradation ou modification du paysage urbain du centre historique de Bordeaux par des caténaires (lignes aériennes de contact permettant l’alimentation électrique des rames).
Innorail, filiale Alsthom, a alors mis au point un système d’alimentation par le sol (APS) sur 10 kilomètres des 23 kilomètres du parcours. Totalement innovant, le procédé était utilisé pour la première fois sur une telle distance et en milieu urbain ouvert au public. "Nous avons servi de cobayes et comme tout cobaye nous avons eu quelques mauvaises surprises", commente Didier Maurin. Dès sa mise en service, le fonctionnement du tram est perturbé par des pannes et des incidents techniques. "Les Bordelais avaient fini par en faire un sujet de plaisanterie. Estimant qu’ils n’avaient pas à payer pour un service qui ne leur était pas rendu, beaucoup d’usagers ne payaient pas leurs billets. La situation était devenue difficilement gérable. Alain Rousset, président de la CUB, a fini par mettre adresser un ultimatum à Innorail en le sommant de tout mettre en œuvre pour assurer le fonctionnement du tram", relate Didier Maurin.
L’APS a fini par être fiabilisé "et depuis le début 2006, les choses sont rentrées dans l’ordre. Le tram passant et partant à l’heure, les passagers ont fini par se l’approprier", note le responsable de la mission tramway.
Maillage
11 des 27 communes de la CUB sont desservies par le tramway. Mais grâce au maillage du territoire tissé entre le tracé du tram et un réseau de 488 bus, les déplacements sont aisés sur l’ensemble du territoire de la CUB.
Gérés hors CUB par délégation de service public, "les bus ont été redéployés afin de ne pas chevaucher le tramway", indique Didier Maurin. Cela n’a pourtant pas suffi à les maintenir "à flots". "En 23 kilomètres de trajet, le tram transporte plus de passagers que les bus sur 1.000 kilomètres de réseau", remarque le responsable de la mission tramway. Résultat, les bus affichent un déficit d’exploitation cumulé de 100 millions d’euros en partie compensée par la CUB.
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