Tribune libre

Transports collectifs : fausses économies et vrais problèmes à venir

18 août 2015, par Courrier des lecteurs de Témoignages

J’ai fait savoir en début d’année que je faisais une pause au plan électif, en ajoutant que je me réservais le droit, en tant que citoyen et ancien élu, d’intervenir dans le débat politique. Près de neuf mois ont passé depuis la mise en place du nouveau réseau Car jaune. Il me paraît utile, en tant qu’ancien vice-président du Département en charge des transports, de faire un premier constat, où apparaissent des motifs de satisfaction, mais aussi des sujets d’inquiétude.

Un bref rappel s’impose, pour mieux comprendre mes inquiétudes.

1°- Le plan départemental des transports (PDT) a été validé fin 2012 par tous les élus du Conseil général, après une année de concertation avec la Cirest, la Cinor, le Tco, la Civis et la Casud, autorités organisatrices des transports urbains (AOTU). Ce plan comprend des orientations qui, mises en œuvre, exigent des mesures d’accompagnement.

2°- La délégation de service public relatif au Car jaune a mis en œuvre ces orientations. Le contrat, prévu pour les dix prochaines années a été là encore approuvé mi-2014 par l’ensemble des conseillers généraux membres de la commission permanente.

L’exemple le plus frappant de ces orientations concerne la réorganisation des lignes interurbaines. Le Département ne souhaitait plus assurer des services des AOTU qui, contrairement au Département, perçoivent des recettes du versement transport de plusieurs millions d’euros. Du coup, les nouvelles lignes Car jaune ne desservent plus tous les arrêts qui relèvent de la desserte strictement urbaine.

Des mesures devaient être mises en œuvre par les AOTU. Le Département lui-même devait être vigilant sur l’évolution de la fréquentation de la clientèle.

Une constante apparaît : la progression de cette fréquentation. A telle enseigne que la recette annuelle prévue contractuellement au bénéfice du Département est supérieure dès cette année 2015 de plus de un million d’euros. C’est réjouissant, mais cela signifie que sur certaines lignes, et à certaines heures, les cars sont saturés et on peut apercevoir tous les jours à des arrêts qu’une partie des usagers reste en rade. Aussi, j’avais précisé ceci dans une tribune libre du 7 mai 2015 : « Gageons là encore que la demande de subvention de 10 grands bus et de 5 bus de 20 places faite en mars auprès du Président de Région trouvera rapidement une issue favorable, comme me l’avait assuré la vice-présidente de la région Fabienne Couapel-Sauret. » (sur mon blog avec le lien suivant http://blog.pierreverges.fr/contribution-au-debat/tribune-libre/ma-tribune-libre-envoyee-a-la-presse-a-propos-de-la-carte-reunipass#more-23962).

Un raisonnement surprenant serait opposé au renforcement du réseau par une augmentation des fréquences avec de nouveaux bus : « hors de question de mettre un euro de plus ». Je n’ose croire qu’un tel raisonnement prospère, surtout quand on connaît la détermination de la présidente du Département à offrir un service de qualité en instaurant des bus neufs sans le moindre euro de subvention de la Région, accessibles aux « personnes à mobilité réduite », en maintenant la tarification sociale, et en proposant une carte « Réuni’Pass valable sur tous les réseaux.

En effet, il s’agit d’une recette annuelle supplémentaire qui n’était pas prévue. Cette augmentation risque d’être identique voire supérieure les années suivantes si la fréquentation continue à progresser. La sagesse dicte donc de réaffecter cette somme dans l’acquisition de nouveaux bus. Ne pas le faire conduira inévitablement à la répétition de frustrations d’usagers restant à terre, ce qui va à l’encontre du but recherché de poursuivre les efforts pour offrir une réelle alternative à la voiture par des transports collectifs de plus en plus performants.

Soyons clairs : ce n’est pas la seule exigence. En effet, s’agissant des AOTU, il leur revenait de prendre les dispositions pour accompagner du mieux possible les usagers qui, du fait de lignes plus directes du nouveau réseau Car jaune, doivent prendre des correspondances sur des lignes des réseaux locaux. Et du fait de l’attractivité du réseau Car jaune et de l’incitation à opter pour des abonnements plus intéressant financièrement, la fréquentation va augmenter sur les réseaux locaux. Il sera donc là aussi impératif de renforcer le réseau avec plus de bus, plus de lignes, et une fréquence de passage plus importante. Cela concerne les réseaux Estival, Citalis, Kar’Ouest, Alterneo et Carsud.

Or, en début d’année, le TCO a validé pour le réseau Kar’Ouest, desservant le Territoire de la Côte Ouest, que des portions de lignes seraient supprimées, et que la fréquence de passages serait réduite. C’est là une régression dans l’offre de service public de transports.

Cette situation dommageable pénaliserait les usagers en général, mais surtout les populations

de La Possession, dont une adjointe est membre du Syndicat mixte des transports de La Réunion (SMTR),
du Port, dont le maire s’était plaint que le Département n’effectue plus… gratuitement (!) le service relevant du TCO donc de sa commune,
de Saint-Paul, dont l’importante population sur un territoire très vaste mérite un meilleur service,
de Trois-Bassins, dont le maire souligne la nécessité de renforcer le réseau au profit de sa commune excentrée,
de Saint-Leu, particulièrement touchée par la réorganisation du réseau Car jaune, et dont la population aurait à gagner avec un… renforcement du réseau Kar’Ouest.

Hélas, il n’y a pas que le TCO qui envisage cette régression de l’offre. La démarche serait identique du côté de Citalis en cours de renouvellement de DSP.

Bien d’autres défis restent à relever. Citons pêle-mêle la mise aux normes de l’accessibilité des bus urbains et des gares, au-delà d’un embellissement justifié, des arrêts avec des abri-bus, la centrale de mobilité pour informer les usagers, l’opportunité d’un accompagnateur dans chaque bus pour la sécurité et la convivialité dans un espace partagé, l’implication des taxiteurs pour la prise en charge du « dernier kilomètre », selon le terme employé dans ce domaine. Et je ne parle pas du partage des voies de circulation, aux entrées de villes et à l’intérieur de celles-ci, avec des voies réservées au bus.

Mais si, au nom du rigorisme budgétaire, qui n’est justifié que partiellement par la baisse des dotations de l’Etat, les élus renoncent dans le domaine des transports durables, même pas la peine d’entretenir l’espoir, et tous les efforts déployés auront été vains. Et ce seront de fausses économies et de vrais problèmes à venir.

Pierre Vergès


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