Route des Tamarins

Un accident « rarissime » ? Un accident de trop !

17 novembre 2006

Que s’est-il passé lundi, sur la route des Tamarins ? Dans le choc de l’accident qui a coûté la vie à Olivier Mikolajczak, 27 ans, sur le chantier de Stella, les responsables cherchent des causes possibles et se hasardent peu à en parler ouvertement. Une enquête judiciaire est bien sûr en cours. Mais c’est dans l’entreprise, chez les autres ouvriers, que l’onde de choc se fait le plus sentir.

Eric Meder est syndicaliste à la CGTR et Secrétaire du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail à la SBTPC, l’entreprise qui a embauché - par Adecco - le jeune intérimaire métropolitain sur le chantier de Stella.
Il s’est rendu lui aussi sur le chantier (voir encadrés) et attend d’avoir fait le lien avec toutes les données disponibles pour livrer ses conclusions. Mais si la Fédération BTP de la CGTR envisage une conférence de presse pour la fin de cette semaine, c’est qu’il y a sans doute des vérités bien senties à entendre.
Initialement prévue pour ce vendredi, une réunion du CHSCT de la SBTPC - membre d’un groupement sur la route des Tamarins - aura finalement lieu la semaine prochaine.
D’ici là, le magistrat désigné par le Parquet de Saint-Pierre pour enquêter sur l’homicide involontaire aura peut-être désigné l’expert qui doit tenter de déterminer les causes de l’accident.
Olivier Mikolajczak travaillait à la culée côté montagne du pont de Stella qui doit enjamber la RD11, au niveau de l’école du quartier (qui sera détruite). Il s’apprêtait à réceptionner la benne à béton qui, soudain, est lâchée par le système de mouflage double, à conduite automatique. Un moufle est une sorte de gros cabestan fait de 2 morceaux accouplés, qui reçoivent les câbles sur des poulies, par 2 ou par 4. Ils étaient en système double, de 4 “brins”, qui avaient déjà opéré 5 ou 6 fois la même manœuvre. Ils en étaient à la 2ème benne (à béton) du deuxième camion et la grue avait fonctionné normalement. Soudain, elle lâche. Le grutier a vu la benne partir sans pouvoir rien tenter. « C’est comme un cabestan qui se brise ; un câble remonte, l’autre descend avec la charge », explique un témoin. Il n’y a pas eu de “câble cassé”. La zone a été très vite sécurisée par les gendarmes, et les premiers experts sont venus avec des jumelles pour observer la grue. Selon les premiers constats, il y aurait eu désaccouplement - pour l’heure inexpliqué - des 2 composantes de la grue.

Dans les documents du maître d’œuvre, c’est le chantier du PIOH 243 - comprenant un ouvrage hydraulique - situé vers le milieu de la route des Tamarins, c’est-à-dire vers le PK 17. C’est aussi pourquoi le SAMU - qui doit venir de Saint-Denis ou de Saint-Pierre - est arrivé une demi-heure après l’accident. Mais fut-il arrivé plus tôt, il n’y pouvait rien changer. Les pompiers ont mis 3 minutes pour être sur les lieux et ils n’ont pas pu retenir le jeune homme qui a eu le bassin et l’abdomen broyés par une benne de près de 4 tonnes.
D’après des témoignages, il aurait été percuté une première fois au moment de la chute de l’engin qui, en retombant, s’est couché sur lui. « C’est comme une camionnette qui vous rentre dedans à 40-50 km/h », commente un technicien de la Route.
Les collègues - ceux du chantier, de la SBTPC - tous sont choqués. Le chantier de Stella est arrêté cette semaine. Tous ont encore en mémoire l’accident mortel de la ravine Cocâtre, 13 mois plus tôt (octobre 2005), survenu dans un contexte très différent et dont les responsabilités, pourtant établies clairement, n’ont toujours pas donné lieu au procès attendu.

Pascale David


Témoignages

• Alain Igliki, Ingénieur conseil régional (prévention des risques professionnels)

« Intolérable ! »

C’est son rôle d’alerter tout le monde et, d’une façon générale, il est plutôt connu pour le faire avec virulence. Lui, c’est Alain Igliki, Ingénieur conseil au service de prévention de la CGSS. Après l’accident de la route des Tamarins, un des contrôleurs de la CGSS, Christian Bénard, est allé sur les lieux, ainsi qu’un inspecteur du travail de Saint-Pierre, Pierre Mercader.
Alain Igliki, lui, dit avoir alerté « à la cantonade » avant l’accident de Bellepierre, le 17 octobre dernier. « J’ai senti à un moment une baisse de vigilance dans des documents. J’ai même fait des courriers “violents” qui du moins ont été mal perçus... ». Il déplore surtout « la série » : Cambaie, Rivière des Pluies, Bellepierre... Et maintenant Stella.
« Le chef de service ne peut pas donner de précision, ce n’est pas moi qui suis allé sur place. Mais c’est intolérable ! Notre société ne peut pas tolérer qu’on continue à perdre sa vie au travail. Ce n’est pas mon rôle de crier. Mais le citoyen professionnel de la sécurité est tout de même révolté ! », explose-t-il.
Comme après chaque accident, il faudra chercher les causes, établir des responsabilités. « On a des accidents qui mettent souvent en cause l’organisation des entreprises ou des opérations », dit-il en référence aux accidents mortels de Cambaie, Rivière des Pluies et Bellepierre. « Ce sont des questions de formation, de poste occupé, voire de délais », poursuit-il. C’est généralement une pluricausalité, et un facteur plus déterminant que les autres, comme l’ont été les délais dans l’accident mortel de Bellepierre.
Sur la route des Tamarins, le contexte est très différent, très “sécurisé”, sans parvenir à écarter la mortalité au travail. « En 2004, il y avait un coordonnateur de sécurité unique. Depuis le début 2006, ils sont 3 et les entreprises ont une armée de responsables qualité-environnement. On ne peut pas dire qu’il n’y a pas eu une action positive de la part des entreprises et du maître d’œuvre. Mais cela n’écarte pas tout risque d’accident... ».

• Pierre Mercader, Inspecteur du Travail

Que des hypothèses

À ce stade de l’enquête, l’inspecteur du Travail de Saint-Pierre n’en est qu’aux hypothèses. La grue en cause, une grue Pothin de la STEMH en location, aurait été vérifiée après son montage, il y a environ 1 mois et demi. La compétence du grutier n’est pas en cause, et comme tous ses camarades, comme Olivier Mikolajczak, en poste sur ce chantier depuis environ 6 mois, ils avaient tous reçu une formation à la sécurité au sein du Groupement qui les emploie. Était-il à sa place au moment de l’accident ? Y a-t-il un “périmètre de sécurité” à observer ? « Il y a toujours un moment critique où les ouvriers doivent être à proximité des charges », observe l’inspecteur du Travail. Était-il au bon poste, compte tenu de son expérience, de sa qualification ? C’était a priori « quelqu’un de qualifié », comme ils le sont tous sur les chantiers des Tamarins.
« Pourquoi y a-t-il eu rupture dans le système de mouflage ? ». C’est ce qu’il faudra déterminer. Selon l’Inspecteur du Travail, il n’y aurait pas de système de sécurité sur ce type de grue. « Le système automatique de double mouflage a-t-il pu être mal enclenché ? Ou est-ce qu’en cours d’utilisation, les deux éléments se sont désolidarisés ? Et comment ? ».
Défaut d’automatisme ? Comment le système, qui travaille en tension, aurait-il pu fonctionner sur plusieurs opérations pour céder à la sixième ?
« C’est assez rarissime ce type d’accident », commente Pierre Mercader qui participera à d’autres réunions prévues avec les entreprises.
Problème mécanique ? Erreur humaine ? Ou les deux ? Ou pourquoi pas un défaut de conception ? « Pour l’instant, il est difficile de dire qu’il y a eu faute de l’entreprise. Cela relève plus de la responsabilité pénale que générale », conclut l’inspecteur du Travail dont les conclusions sur les circonstances de l’accident vont remonter au ministère, pour analyse. Et souhaitons-le, pour une meilleure prévention.


Réactions

Lutte Ouvrière

Encore un travailleur tué au travail

« La mort d’un travailleur sur le chantier de la route des Tamarins n’est pas le fruit d’une fatalité. C’est le 2ème décès en moins de d’un an sur ce chantier.
Depuis le début de l’année, 5 travailleurs ont perdu la vie sur leur lieu de travail. Sans compter le nombre d’accidents heureusement non mortels mais qui vont laisser des travailleurs handicapés.
Pour préserver leurs profits, les patrons mettent en danger la vie de leurs employés en les faisant travailler dans des conditions qui, souvent, ne respectent même pas les règles de sécurité existantes. De plus, ils mettent la pression sur leurs salariés pour accélérer la cadence en prenant le risque des accidents.
La course au profit est criminelle. »


Accidents du travail dans le BTP

Ce qu’en pense la CFDT

Les accidents graves voire mortels de ces derniers jours dans le Bâtiment mettent en lumière les graves dysfonctionnements des dispositifs de prévention jusqu’alors pratiqués. La fréquence ne diminuera pas tant que des mesures draconiennes ne seront pas prises. Tous ceux qui espéraient que la venue des Coordonnateurs de sécurité dans ce secteur d’activité allait ralentir la cadence des accidents ou du moins diminuer les risques les plus graves, s’étaient trompés lourdement.
Devant ce qui s’y passe actuellement nous compatissons à la douleur des familles touchées par le deuil.
Mais enfin, dans ce monde de profit, arrêtons d’avoir la langue de bois. (...) Les maîtres d’ouvrage, les maîtres d’œuvre et autres donneurs d’ordre ne se sont jamais posé la question de savoir qui fait quoi sur les chantiers. Les Coordonnateurs de sécurité, où sont-ils ? Coordonnent-ils un vrai service d’aide et de formation à la prévention entre toutes les composantes qui interviennent sur les chantiers ? NON. Trois fois NON !!!
S’inquiètent-ils de la non formation de tous ces travailleurs précaires : intérimaires, CDD et autres contrats de chantier ? NON.
(...)
Les entreprises qui enregistrent des accidents graves ne devraient pas bénéficier des exonérations de charges. Au contraire, elles doivent êtres sanctionnées financièrement.
La CFDT-BTP est toujours étonnée de la sous-représentation des salariés des entreprises qui interviennent sur les chantiers de la route des Tamarins. La plupart de ces entreprises, en effet, n’ont pas l’ancienneté prévue par la loi pour la mise en place des institutions représentatives du personnel (...) Les chantiers, de manière générale, souffrent d’un manque d’Agents de sécurité, car les employeurs n’ont pas la volonté d’investir le moindre argent à leur embauche. Il est courant enfin de constater que certains employeurs organisent de plus en plus des simulacres d’élections professionnelles en dissimulant l’information, voire en faisant pression sur les salariés pour qu’ils ne puissent s’exprimer et l’administration du travail, sans moyens de contrôle, se contente de recevoir des procès verbaux de carence.
Cette méthode est condamnable et ne concourre pas à aider la protection des travailleurs du Bâtiment.

Pierre Savigny

Route des Tamarins

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