Paris donne un mois aux actionnaires d’Air Austral pour présenter « un plan de retournement » : un concurrent d’Air France sera-t-il éliminé de la liaison La Réunion-France ?

Air Austral : Paris actionnaire d’Air France décide du calendrier et des objectifs de la restructuration de la compagnie aérienne réunionnaise

20 mars, par Manuel Marchal

Le projet de compagnie low-cost long-courrier fut torpillé par un ex-cadre d’Air France nommé par Didier Robert à la tête d’Air Austral. Air France ne pouvait pas supporter cette nouvelle concurrence.
Désormais, Paris actionnaire d’Air France peut se permettre de s’immiscer dans la gestion d’Air Austral au point de décider du calendrier et des objectifs d’« un plan de retournement ». C’est la possibilité pour Air France d’éliminer un concurrent sur la ligne entre La Réunion et la France, et de briser les ailes du projet de Paul Vergès et Gérard Ethève : que les Réunionnais maîtrisent eux-mêmes leur désenclavement avec Air Austral.
Pourtant, Air Austral dispose d’un atout considérable : c’est la seule compagnie à relier Mayotte à la France et à La Réunion. Si Air Austral est liquidée, tout s’effondre. Paris sait que l’annonce d’une rupture des liaisons aériennes avec la France et La Réunion ne peut que susciter des émeutes à Mayotte, et affaiblir considérablement sa position dans l’océan Indien et son prestige international. Comment parler d’un Axe indo-pacifique si une de ses composantes n’a plus de lien aérien avec Paris ?
Face à cette réalité, signer un chèque pour effacer les dettes d’Air Austral sans condition est peu cher payé. Car le service rendu par Air Austral pour le désenclavement de Mayotte rend Paris débiteur de la compagnie réunionnaise.

Ce 19 mars avait lieu à Paris une réunion avec des représentants de l’État au sujet d’Air Austral. Il a été question de la situation financière de la compagnie. Lors du Conseil de surveillance du 7 mars dernier, des décisions drastiques ont été prises. Ses actionnaires ont dû injecter 10 millions d’euros, les salaires vont baisser jusqu’à 25 % et des lignes aériennes vont être abandonnées. Mais cela n’est pas suffisant pour Paris qui donne un mois aux actionnaires pour présenter « un plan de retournement », affirme Outre-mer 1ere, chaîne du service public français. En effet, « l’État est dans une posture d’accompagnement qui sera exigeante vis-à-vis d’Air Austral ». Manifestement, Paris peut se permettre de s’immiscer dans la gestion de la compagnie aérienne réunionnaise, sachant que Paris est actionnaire du principal concurrent d’Air Austral : Air France.
En 2012, le projet de long-courrier low-cost d’Air Austral a été torpillé par l’arrivée à la direction de la compagnie d’un cadre d’Air France nommé par Didier Robert. Air France était en effet incapable de s’aligner sur un prix des billets d’avion 30 % moins cher toute l’année sans subvention.
Maintenant, l’objectif n’est-il pas d’évincer Air Austral du long-courrier entre La Réunion et Paris et de limiter son activité dans ce domaine à la seule ligne Mayotte-Paris qu’Air France ne veut pas assurer ? Comment l’actionnaire d’un concurrent d’Air Austral peut-il se permettre de s’immiscer dans la gestion de la compagnie d’Air Austral ?

L’atout Mayotte d’Air Austral

La gestion de la direction nommée par Didier Robert a conduit la compagnie au bord de la ruine : plusieurs centaines de millions d’euros d’actifs vendus (avions notamment) et des injections de fonds par la Région via l’actionnaire SEMATRA n’ont pas empêché Air Austral d’accumuler plus de 300 millions d’euros de dette, la crise COVID a bon dos !
Air Austral a dans sa main un atout incontestable : c’est la seule compagnie qui relie Mayotte à la France, via La Réunion ou par ligne directe. Jusqu’à présent, Air France n’a jamais assuré ce service, ni d’autres compagnies françaises. Elles n’osent s’y risquer en raison de contraintes spécifiques à cette desserte. Ce sont notamment une piste de moins de 2 kilomètres qui ne permet pas le décollage à pleine charge des gros porteurs d’Air France, le monopole de Total sur la fourniture de carburant qui a des conséquences sur le prix du kérosène, et un marché potentiel peu important par rapport à d’autres destinations.
Si du jour au lendemain Air Austral fermait ses portes, Paris n’aurait plus aucun moyen immédiat d’assurer le pont aérien quotidien entre Mayotte et La Réunion d’une part, Mayotte et Paris d’autre part.
Or, la souveraineté de Paris sur Mayotte n’est pas reconnue par la majorité de la communauté internationale, en particulier par les Comores. Paris a donc besoin qu’une compagnie aérienne immatriculée en France assure une liaison quotidienne vers la France. Ce n’est pas seulement une question de prestige et de revendication territoriale. C’est aussi entretenir auprès des habitants de Mayotte l’idée qu’ils sont des citoyens de la République française afin qu’ils soutiennent le maintien de l’administration française dans leur île.

Sans Air Austral, plus de liaison entre Mayotte et la France

Après le départ de la direction nommée par Didier Robert, il était impossible de redresser avec les seules ressources de l’entreprise. La SEMATRA et les nouveaux actionnaires ne pouvaient prendre en charge un passif de plus de 300 millions d’euros. La méthode choisie fut de négocier une prise en charge d’une grande partie des dettes par l’État en passant par le une institution contrôlée par le gouvernement français. Mais Paris a mis des conditions lui permettant d’intervenir dans la gestion d’Air Austral.
Malgré la recapitalisation et l’arrivée de nouveaux actionnaires, le déficit structurel hérité de l’époque Didier Robert est toujours présent. D’où la rencontre d’hier à Paris, alors que les décisions prise par le Conseil de surveillance du 7 mars imposent pourtant d’importantes économies dans le fonctionnement d’Air Austral.

Avec en main l’atout Mayotte, Air Austral peut très bien dire à Paris : « nous ne pouvons plus continuer à cause d’une dette trop importante. Nous allons donc demander la liquidation de la société. Par conséquent, la liaison de Mayotte avec La Réunion et la France ne sera plus assurée, Mayotte sera isolée sur le plan aérien ».

Face à un tel discours, Paris est dans une position de faiblesse, lui rappelant la réalité : Paris est un débiteur d’Air Austral. Le temps des messageries maritimes est terminé, l’avion est le seul moyen d’aller en France. Paris sait que l’annonce d’une rupture des liaisons aériennes avec la France et La Réunion ne pourra que susciter des émeutes à Mayotte, et affaiblira considérablement sa position dans l’océan Indien et son prestige international. Comment parler d’un Axe indo-pacifique si une de ses composantes n’a plus de lien avec Paris ? L’opinion publique mahoraise ne manquera pas de constater l’impuissance de Paris dans un domaine stratégique.
Face à cette réalité, signer un chèque à Air Austral sans condition est peu cher payé pour Paris.

Paris brisera-t-il les ailes d’Air Austral ?

Paris est actionnaire d’Air France, principal concurrent d’Air Austral sur la ligne entre La Réunion et la France. Et Paris met la pression pour sur les actionnaires d’Air Austral pour que la compagnie réunionnaise réduise encore la voilure. Paris peut même se permettre de fixer le calendrier et l’objectif : un mois pour présenter un « plan de retournement » donnant une visibilité sur trois ans.
L’ambition de Paul Vergès et de Gérard Ethève était de faire d’Air Austral la compagnie aérienne au service du désenclavement de La Réunion vers l’Europe, mais aussi l’Afrique, l’Asie et l’Océanie. Grâce à une compagnie réunionnaise, les Réunionnais étaient en contact direct avec le monde en plein développement sans dépendre d’une compagnie française. Cette ambition est compromise, car elle n’est manifestement pas soutenue par Paris, actionnaire d’Air France.
Le risque est qu’Air Austral redevienne une compagnie uniquement régionale, alimentée par des passagers amenés par des transporteurs extérieurs à La Réunion. La seule exception serait la liaison entre Mayotte et la France qui resterait à Air Austral, car elle n’intéresse pas Air France. Air Austral sera-t-il le suivant d’une longue liste de concurrents d’Air France à disparaître de la liaison entre La Réunion et la France ?

M.M.

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Messages

  • MM vous manquez d objectivité. De mémoire DR avec son cadre avait redressé la boîte en un an à peine après la débâcle de la gestion de Gérard Etheve.

  • Vendre le Boeing 777-200 LR et d’autres avions et actifs, être mis sous perfusion des aides de la Région présidée par Didier Robert pour aboutir à une dette de plus de 300 millions d’euros, où est le redressement ?