’La politique du gouvernement à l’égard des fonctionnaires d’hier et d’aujourd’hui’ —3—

1960 : « les signes avant-coureurs d’un changement »

3 août 2012

Après avoir rappelé la lutte victorieuse menée par l’ensemble des travailleurs pour l’application de l’égalité dans la fonction publique, avancée concrétisée à partir de 1949, les ’Cahiers de La Réunion et de l’océan Indien’ de novembre 1976 ont expliqué que le choix d’un gouvernement d’aligner toute la fonction publique d’État sur le traitement des expatriés avait plusieurs objectifs dont la création d’une nouvelle classe sociale permettant de restructurer l’économie au profit des importations et au détriment de la production réunionnaise. Dans la seconde partie de l’article reproduite hier dans ’Témoignages’, il a été rappelé comment cette nouvelle classe sociale a été utilisée par le pouvoir dans un but politique, celui de rompre l’unité de lutte des travailleurs. Mais dès les années 1960, Paris s’est rendu compte que le prix à payer était de plus en plus lourd. Il changea d’attitude.

Le premier signe annonciateur d’un changement dans l’attitude du gouvernement à l’égard des travailleurs de la fonction publique fut la publication, dans le « Bilan économique social et financier » établi par la Préfecture en 1960, d’un tableau révélateur, accompagné de commentaires non moins éloquents.

Le tableau montrait qu’en 1959 les 46.000 salariés du secteur privé (du journalier agricole, au gérant de propriété, du chauffeur de camion au directeur d’usine, du garçon de bureau au directeur commercial...) avaient perçu une masse de salaires égale à 5 milliards de francs C.F.A. Tout à côté la Préfecture avait tenu à faire figurer le montant total des traitements versés aux 5.449 fonctionnaires soit la somme de 4 milliards 600 millions de francs C.F.A.

5.449 fonctionnaires en 1959

Pour plus de précision, le "Bilan économique social et financier" établissait la moyenne des revenus annuels mensuels, journaliers, perçus par les différentes catégories de travailleurs. Citons seulement, pour faire bref, les revenus journaliers

- 191 francs dans le secteur primaire (agriculture, pêche, élevage)

- 426 francs dans l’industrie, le commerce et l’artisanat

- 277 francs dans l’industrie sucrière

- 358 francs dans le transport

- et 2.340 francs dans la fonction publique.

La moyenne des salaires calculée pour l’ensemble du secteur privé (296 francs) apparaissait huit fois plus faible que la moyenne des traitements du secteur public.

Quant aux commentaires du "Bilan", ils étaient discrets, mais sans ambiguïté.

« Cette dernière décade, par l’intensification de l’appareil administratif, le développement commercial et agricole qui l’ont accompagnée a vu la promotion sociale de 7 à 8.000 individus, représentant environ 40.000 habitants » .

Rappelons-nous que le "Bilan" chiffrait à 5.449 le nombre de fonctionnaires en1959 : ces derniers représentaient donc la très grande majorité des « 7 à 8.000 individus » dont il est question ci-dessus

« L’effort que s’impose la Métropole est lourd. Or il deviendra insoutenable.. »

Le document préfectoral ne s’en tenait pas là. Mettant les points sur les i, il ajoutait que « l’effort social de la Métropole, pour important qu’il soit, ne permet guère mieux que de maintenir 280.000 personnes à leur niveau actuel (c’est-à-dire une certaine médiocrité), alors qu’il a permis l’élévation incontestable du standing de 40.000 privilégiés de la nouvelle classe moyenne, qui profitent des avantages mis à leur disposition..., »

Tout le drame de la départementalisation - de cette départementalisation que voulaient « sauvegarder » les fonctionnaires de l’Association Réunion-département français - se résume dans cette phrase du "Bilan économique, social et financier".

Mais c’est une autre phrase du document qui retint l’attention des observateurs politiques.

« L’effort que s’impose la Métropole est lourd. Or il deviendra insoutenable.., si nous n’abandonnons enfin la voie actuelle qui ne profite qu’à une minorité » .

Ainsi s’amorçait, révélé dans un document officiel « établi en exécution des directives gouvernementales » , le changement de politique à l’égard des travailleurs de la fonction publique.

(à suivre)

1960 : un rapport parlementaire demande la suppression de la prime de vie chère versée « aux fonctionnaires locaux »

En 1960 à l’Assemblée nationale, un rapport demandait de recréer la discrimination existant avant 1949 au sein de la fonction publique d’État. Il préconisait notamment de supprimer la prime de vie chère pour les fonctionnaires originaires des DOM servant dans leur pays d’origine : « la majoration de 40% (35% à La Réunion) de leurs traitements perd tout son sens de prime spéciale du moment qu’elle est aussi payée aux fonctionnaires locaux ».

La seconde alerte sérieuse vint d’un Rapport d’Information rédigé par le député Clermontel au nom de la très influente Commission des Finances, de l’Économie générale et du Plan, présidée alors par Paul Reynaud (NDLR - ancien président du Conseil des ministres) . Le Rapport Clermontel fut annexé au procès-verbal de la séance du 22 juin 1960 de l’Assemblée Nationale.

« Il faut, lisait-on dans ce document, repenser la situation qui est faite aux fonctionnaires... » Pour remédier à la « sous-administration » des DOM et, sur le plan de l’enseignement, obtenir « un relèvement progressif du niveau qualificatif des maîtres » , le Rapport proposait d’intensifier le recrutement de fonctionnaires métropolitains. « Pour avoir des volontaires de valeur », il suggérait une augmentation des indemnités de fonction » , le « renouvellement de la prime d’installation pour une deuxième et même une troisième période » , « la généralisation des vacances annuelles pouvant être prises en Métropole » .

Pour les fonctionnaires originaires des DOM, le Rapport Clermontel préconisait par contre

1) - « Un aménagement de cet avantage excessif qui consiste actuellement à prendre en charge les frais d’un voyage en Métropole, tous les cinq ans, des fonctionnaires Antillais, Guyanais (et Réunionnais), en fonction dans leur propre département, et avec toute leur famille » .

2) - La suppression de l’indemnité de vie chère car, aux yeux des métropolitains « la majoration de 40% (35% à La Réunion) de leurs traitements perd tout son sens de prime spéciale du moment qu’elle est aussi payée aux fonctionnaires locaux » .

3) - « L’unification des signes monétaires » entre la Métropole et les DOM, où « on a tout simplement oublié d’introduire le nouveau franc » . Ce qui, sans que toutefois le mot soit prononcé, visait l’index de correction lié, juridiquement et dans l’esprit du Gouvernement, Olivier Stirn (NDLR - ministre des DOM-TOM en 1976) ne perd jamais une occasion pour le rappeler, à l’existence du franc C.F.A.
Les pressions du patronat et la surémunération dans les banques

« Mais les pressions les plus fortes exercées sur les pouvoirs publics pour obtenir une « harmonisation des rémunérations » vinrent du patronat. Et ce pour des raisons bien compréhensibles. D’une part l’écart entre les rémunérations du secteur public et celles du secteur privé provoquait une véritable migration des cadres de l’industrie vers les administrations publiques. Souvent des cadres, après un stage de formation dans le secteur privé, passaient avec armes et bagages dans le secteur public au moment même où ils allaient devenir "productifs".

Par ailleurs la comparaison avec les traitements publics entraînait chez les cadres du privé des revendications jugées excessives par les patrons. On se rappelle notamment la longue grève victorieuse des cadres et employés de banque en 1969 pour obtenir un index de correction aussi rapproché que possible de celui des fonctionnaires. Ils finirent par obtenir 1,50 et les banquiers durent "casquer".

Il était donc inévitable que les chefs d’entreprise, à la fois pour éviter l’hémorragie de leurs cadres et freiner les revendications de salaires de leurs personnels, poussent le gouvernement à bloquer les traitements de la fonction publique. »
« L’intégration des fonctionnaires réunionnais dans le "cadre métropolitain" ou "inter-colonial" répondait à trois objectifs du gouvernement :

1)- créer les conditions de la venue massive de fonctionnaires métropolitains à La Réunion (objectif administratif)

2) - favoriser la constitution artificielle d’une couche sociale privilégiée, grosse consommatrice de produits importés (objectif économique)

3) - enfin et surtout diviser et briser le mouvement syndical et par contre-coup affaiblir le mouvement populaire (objectif politique). »

"Cahiers de La Réunion et de l’océan Indien", novembre 1976.

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