20 ans de stratégie d’union des Réunionnais

4 avril 2007

De 1988 à 2007, ce sont près de vingt années pendant lesquelles s’est construite pierre à pierre une stratégie d’union dont l’objet est de définir un projet d’avenir pour La Réunion, par ceux qui y vivent et qui en font la richesse.
Nous nous proposons ici de faire ressortir les étapes de cette construction au fil des élections présidentielles, rendez-vous politiques à l’occasion desquels s’est affirmée une stratégie de développement contractualisé.

Témoignages du 23 avril 2002.

Le “changement de 81”, préparé ici par des décennies de combat autonomiste, s’est produit dans un climat de presque guerre civile qui a été long à céder le pas au dialogue. Les plus anciens savent qu’en identifiant la demande d’autonomie à du “séparatisme” ou à “l’indépendance”, certains ont ainsi semé dans le pays des graines de division dont les fruits ont longtemps empoisonné les efforts de dialogue. S’ils s’exhibent encore ici ou là, ce n’est plus aujourd’hui qu’en qualité de très rares témoins d’un passé révolu. Mais il a fallu beaucoup d’efforts aux partisans de l’union des Réunionnais, et pratiquement tout le premier septennat de François Mitterrand, pour surmonter les séquelles de ce passé-là. La première occasion en a été donnée avec la création de la première collectivité régionale, dès 1983, au sein de laquelle s’est ébauchée une esquisse de dialogue politique entre les adversaires de jadis.

L’égalité au cœur de la campagne

En 1988, dans un climat qui était encore celui de l’affrontement - entre l’égalité et la parité - le PCR, dont les deux députés avaient démissionné quelques mois plus tôt, en septembre 1987, pour dire leur opposition au projet de ”parité sociale”, a mis la revendication d’égalité au cœur de la campagne pour l’élection présidentielle. L’objectif contractuel qui en est résulté -réaliser “le plus vite possible” l’égalité des droits des citoyens réunionnais - a conduit le PCR à soutenir dès le premier tour le “candidat de l’égalité”, à la fois pour des raisons de politique réunionnaise et de rapport de forces hexagonales.
Cette revendication de l’Egalité a pu donner lieu à des incompréhensions ; mais elle a surtout beaucoup fait pour apaiser les séquelles héritées de la période antérieure et préparer les Réunionnais à écrire une nouvelle page de leur Histoire.
L’apaisement s’est joué notamment dans deux domaines majeurs : politique et culturel.
• Politique : la réalisation de l’égalité dans les quinze années qui ont suivi a montré que rien n’est spontané. Deux septennats de luttes supplémentaires furent nécessaires. Luttes qui, en 2002, ont parachevé avec l’égalité du RMI - six ans après celle du SMIC - la mise en œuvre de la loi du 19 mars 1946, laquelle 50 ans plus tôt avait libéré La Réunion du statut colonial.
• Culture et identité : en stimulant la réflexion sur “égalité et différence”, “égalité ou assimilation”, la conquête de l’égalité a beaucoup fait pour conforter et stimuler sous toutes ses formes l’expression identitaire réunionnaise.

De la crise au développement

L’élection présidentielle de 1995 (23 avril et 7 mai) s’est déroulée dans un contexte de crise aggravée, mise en exergue quatre ans plus tôt par l’explosion du Chaudron. En toile de fond, le chantier de l’Egalité et l’affrontement pas encore totalement éteint auquel il donnait lieu depuis 1988. L’étape suivante devait être celle du Développement. Paul Vergès, Premier vice-président de la collectivité régionale depuis 1992, s’était engagé à faire adopter par la majorité la plus large un plan de développement. Ce fut le PDA (Plan de développement Actif). Basé sur la mise en place de l’égalité sociale comme “socle” du développement, le PDA devint le pivot de la campagne électorale lors de la présidentielle de 1995. La plateforme de rassemblement des Réunionnais s’appelait alors “Egalité et PDA”. Proposée aux candidats républicains, elle n’a eu qu’un véritable adversaire, le Premier ministre sortant Edouard Balladur. Le candidat Chirac, revenu de son erreur de la précédente campagne, s’étant prononcé en faveur de l’Égalité, ce premier essai de rassemblement sur un projet de développement élaboré pour et par les Réunionnais a remporté un franc succès au premier tour, avec 77% des suffrages exprimés. Et il n’a pas été remis en cause par la victoire de Jacques Chirac sur Lionel Jospin au 2e tour puisque l’un et l’autre en avaient approuvé le principe : l’un en proposant une “loi-programme” (ce sera la LOOM, préparée en 2000 avec le gouvernement Jospin), l’autre un “contrat de plan”. Il faut aussi rappeler que cette élection a révélé la profondeur de la crise que traversait La Réunion, au travers d’une participation plus faible : 45% de l’électorat n’a pas participé au scrutin ou a voté pour des “petits” candidats.

L’élection présidentielle de 2002 (21 avril et 5 mai) s’est préparée à La Réunion dans une configuration qui rappelait celle de 1988, avec dès avant le premier tour, une entente contractuelle appelée “Pacte pour l’emploi et le développement”. Les raisons de cette mobilisation des Réunionnais autour du candidat Premier ministre sortant, sont sans doute à rechercher dans le revers électoral des municipales et cantonales de 2001. Dans le contexte politique du moment, Lionel Jospin avait été jugé, parmi les 17 candidats - un record, dans une élection présidentielle - le mieux placé pour porter les aspirations des Réunionnais à un programme contractuel scellé au plus haut niveau de l’État. Il avait créé la surprise en 1995, en se plaçant devant Jacques Chirac au 1er tour de l’élection présidentielle et, porté par le désir de revanche des forces de progrès, il arrivait aussi en tête des sondages - y compris ceux qui rappelaient prudemment qu’un sondage ne vaut pas élection. À l’inverse de ce qui se passe dans l’Hexagone, le 21 avril 2002 Lionel Jospin remporte à La Réunion 38,97% des suffrages exprimés, devant Jacques Chirac (37,09%) pour la deuxième fois. « Les Réunionnais ont mis au centre de l’élection les graves problèmes du pays et de son avenir » commente Témoignages, en soulignant que la forme du duel au second tour met l’Outre-Mer devant « une situation totalement inédite ».

Depuis le séisme politique de 1991 et l’élaboration du Plan de Développement Actif (1992), chaque rendez-vous électoral a vu se renforcer cette dynamique de rassemblement. En 1994, une majorité de rassemblement a porté pour la première fois à la tête du Département une majorité progressiste présidée, sur proposition d’Élie Hoarau, par Christophe Payet, élu sudiste. En 1998, le Rassemblement MDL-FT, PCR, PS, auquel s’associe FreeDom, porte Paul Vergès à la présidence de la Région. En 2004, au terme d’un patient travail de concertation et d’actions avec les plus larges couches de la société, Paul Vergès conduit une liste - l’Alliance - représentative de cette volonté d’ouverture associant forces progressistes et personnalités de la “société civile” n’appartenant à aucune organisation ou parti. On observe ainsi une géométrie variable des formes du rassemblement, selon que le scrutin est national, régional ou local par exemple, mais avec une constante : la volonté d’unir le plus grand nombre autour d’un programme réunissant les conditions - dans le cas d’élection présidentielle - permettant sa contractualisation avec un ou plusieurs des candidats, selon les contextes. En 2007, la Plateforme de l’Alliance a reçu le soutien de 10 des douze organisations politiques ayant un candidat à l’élection du 22 avril. Cette situation originale permet d’envisager un niveau de rassemblement encore jamais atteint.
Certains insistent sur le caractère disparate des soutiens apportés à la Plateforme de l’Alliance, en oubliant que l’essentiel est dans la démarche de rassemblement des Réunionnais eux-mêmes.
Cette démarche est constante et porteuse de succès. Elle n’a cessé de se renforcer depuis vingt ans. Elle n’abolit ni les luttes sociales, ni la compétition électorale, mais elle accrédite toujours plus l’idée que rien de tout cela ne doit entraver la nécessité - vitale pour l’avenir de La Réunion - de s’unir autour de l’essentiel : la recherche de solutions partagées aux problèmes les plus aigus de la société réunionnaise.

P. David


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