Il y a 69 ans, Raymond Vergès et Léon de Lépervanche élus députés

350 ans, la transition démocratique inachevée

21 octobre 2014

Le 21 octobre 1945, le peuple réunionnais désignait 2 Députés du CRADS pour mettre fin au statut colonial. Ce projet de rupture aurait dû accélérer la fin de la transition démocratique commencée par la rupture historique de 1848. L’année prochaine, ce vote par lequel des Réunionnaises et des Réunionnais ont orienté le destin de La Réunion aura 70 ans. D’ici-là, ne nous privons pas d’échanges sur l’avenir démocratique de la jeune société réunionnaise de 350 ans d’âge.

Léon de Lépervanche et Raymond Vergès, les députés du CRADS.

L’abolition de l’esclavage accordait aux affranchis le statut de Citoyens de la République. Normalement, ils disposaient du droit de vote, mais tout sera mis en œuvre afin de les dissuader de s’en servir. La bonne société avait peur de la réaction des nouveaux libres. Sarda Garriga lui-même se permit d’organiser des élections municipales, le 15 décembre 1848, soit 5 jours avant la date du 20 décembre, privant ainsi la moitié de la population (60 000) d’un droit nouveau ! Par cette manœuvre, les possédants étaient rassurés de continuer à détenir le pouvoir. La peur du pauvre par la classe dirigeante était le signe de l’existence d’une conscience de classe qui pouvait s’exprimer par un vote sanction.

L’année suivante le stratagème ne pouvait plus s’appliquer. Alors une campagne de dénigrement d’une violence inouïe vit le jour autour de cette question adressée aux autorités : « sont-ils Français, ces Cafres, ces Malgaches, ces Malais, esclaves de leur pays, qui ont été importés dans la Colonie et qui y ont vécu esclaves ? » Libérés, certes, mais sans revenus et sans toit, ces nouveaux Citoyens ont été interdits d’exercices démocratiques libres. Aussi pour ce premier scrutin d’une ère nouvelle, il n’est pas étonnant que sur un total de 35.032 inscrits, seuls 6.405 personnes ont pris part au vote.

Les clameurs de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen n’avaient toujours pas atteint nos rivages. Quant aux femmes, elles attendront la fin de la 2e guerre mondiale pour pouvoir, enfin, exercer leur citoyenneté.

En 1945, aux élections municipales, cantonales et législatives, les élections étaient plus libres et la majorité désigna le CRADS vainqueur. Sous le slogan « le pouvoir au peuple », il s’agissait de mettre fin au régime colonial et ériger le Département. C’est la tâche à laquelle se consacrèrent les 2 Députés élus le 21 octobre 1945 : Raymond Vergès et Léon de Lépervanche. Ils ont si bien travaillé que la loi créant le Département a été approuvée, cinq mois après leur désignation par le peuple, le 19 mars 1946 ; cette loi d’égalité au sein de la République Française a été obtenue quasiment un siècle après l’année de libération des 60 000 esclaves de 1848. Pas de liberté sans égalité.

L’article 2 de cette loi prévoyait l’extension de toutes les lois sociales en vigueur le 1er janvier 1947, au plus tard. Mais, les dirigeants au pouvoir, en France, ont refusé d’appliquer cette loi, bafouant ainsi la transition démocratique qui peinait à s’installer dans la colonie. Tous les prétextes étaient bons pour ne pas exécuter l’expression démocratique sortie des urnes, le 21 octobre 1945. Il a fallu se battre durant un demi siècle encore pour obtenir le simple alignement des droits sociaux individuels.
Entre temps, le marché économique réunionnais a été pris d’assaut par les puissances financières extérieures, installant de véritables monopoles dont la préoccupation n’est pas l’emploi. Au terme de cette période de 350 ans, du régime esclavagiste au régime départemental, 42% des Réunionnais vit sous le seuil de pauvreté et les inégalités se sont creusées. L’État assure à ses agents 35% de vie chère mais pas aux autres catégories sociales. 170 000 personnes sont inscrites à Pôle Emploi dont 69% des jeunes de moins de 25 ans, sortis du cycle scolaire. Pourtant, le Revenu Disponible Brut des Ménages (RDBM) approche les 20 000 euros par habitant et par an.

Le projet global exprimé clairement en 1945 par le peuple réunionnais, à travers une organisation politique réunionnaise (CRADS), de mettre fin aux conséquences de la politique coloniale a été détourné de ses objectifs fondamentaux, prolongeant indéfiniment la transition démocratique inachevée depuis 1848. Il faudra bien se rendre à l’évidence que la confiscation du pouvoir politique dans les mains d’une seule catégorie de citoyens qui relève des 10% de revenus les plus élevés est contraire à l’esprit de l’abolition de l’esclavage et de l’abolition du pouvoir colonial. Par respect de nos aînés et de leurs luttes, les démocrates d’aujourd’hui doivent reconquérir le pouvoir et le redistribuer le plus largement possible.

Ary Yée Chong Tchi Kan

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