Route du Littoral

800 Réunionnais demandent l’abandon du projet et veulent voir privilégier des solutions alternatives au tout routier et au tout automobile

3 décembre 2011

L’événement de l’enquête publique relative au projet de route du littoral à six voies a eu lieu hier avec la remise au commissaire enquêteur d’une pétition signée par 800 personnes. Elle demande l’arrêt du gaspillage programmé par la Région, et de privilégier des solutions alternatives au tout-automobile en cohérence avec les orientations du développement durable. Voici le texte de cette pétition.

Contribution dans le cadre de l’enquête publique sur le projet de nouvelle route du littoral

Rappel historique

Le peuplement de la Réunion débute véritablement en 1665 ; aujourd’hui sur ses 2.500 km2 vivent 850.000 individus et dans 20 ans peut être nous serions à 1 million.

Au cours de ses 350 ans, l’île a connu des transformations extrêmement importantes et dans tous les domaines (économie, politique, culturelle… ). La route et les moyens de déplacement ont correspondu à une organisation économique et sociale dans les différentes phases de l’histoire de La Réunion.

Ancienne colonie, l’île a connu d’abord un développement agricole autour du café, mais l’essor économique de la culture de la canne notamment au milieu du XIXe siècle a obligé les responsables locaux à trouver des moyens de communication adaptés, autres que charrettes, diligences… Il s’agissait de pouvoir transporter les tonnages de sucre issus des nombreuses usines réparties partout dans l’île, et de les acheminer vers Le Port pour être embarqués

C’est Hubert Delisle qui lance l’idée d’un chemin de fer en 1858 en créant la “Compagnie des Chemins de Fer” afin de commencer les études. C’est pratiquement à l’unanimité que les Réunionnais à travers leurs représentants donnent leur accord pour ce grand chantier qui débute en 1878.

Tunnels, ponts, pose des rails, administrations firent travailler de manière acharnée de nombreux Réunionnais. Cette infrastructure colossale correspondait au besoin économique du moment et devait durer dans la tête des initiateurs et constructeurs plus d’un siècle ou deux : ainsi fut créé le chemin de fer de Saint-Benoît à Saint-Pierre, avec le percement de la Montagne pour la liaison entre Saint-Denis et La Possession. Le train assurait alors tant le transport des marchandises que celui des personnes.
Malheureusement l’arrivée du tout automobile mettant en scène de nombreux intérêts, réussit à venir à bout du rail ; le « Ti’Train » disparut du paysage réunionnais. La fermeture définitive du chemin de fer (CFR) eut lieu en 1963.

L’abandon du rail amena le développement d’un réseau routier important. Les gens devant se déplacer et répondre en même temps au besoin économique de l’île notamment entre les 2 poumons économiques : Le Port et Saint-Denis, chef-lieu du département, et concentrant de nombreux services et sièges sociaux.

Jaillit à ce moment l’idée d’une route entre Saint-Denis et La Possession. Un débat eut lieu sur le tracé de cette route, opposant principalement ceux favorables à une route de Montagne et ceux d’une route sur le littoral.

C’est la solution du littoral qui fut choisie.

De cette nouvelle route au près et au bas d’une falaise, géologiquement instable tombent régulièrement des rochers notamment en période de forte pluie.

Située aussi auprès de la mer, elle est soumise aux fortes houles notamment en période cyclonique. Elle est un défi permanent à la nature, à l’intersection de 2 forces éternelles : la pesanteur (avec les chûtes de pierre) et la houle !

La combinaison de ces deux éléments naturels a eu pour conséquences des accidents souvent mortels, créant ainsi la psychose de la route dite « en corniche », mais longeant la montagne sur le littoral. (Voir chanson Michel Admette moin la peur mi di a ou).

Le choix de Saint-Denis comme capitale a eu comme conséquence la concentration des pôles administratifs, économiques, sociaux, politiques (conseil général, conseil régional, association des maires, Préfecture…) dans le nord et de ce fait cette route est la plus fréquentée de l’île, mais aussi la plus dangereuse.

Beaucoup de Réunionnais disaient alors qu’on n’aurait pas dû construire cette route en bas de la falaise. Cette dangerosité et la pression populaire obligent à modifier le tracé de la route et en 1973 commencent les travaux d’élargissement en mer de la route à 4 voies, la 2e route du littoral.

Toutefois, malgré les assurances données par les experts, la nouvelle route demeure exposée aux chutes de pierres, et y surviennent périodiquement des accidents parfois mortels.

Afin de sécuriser davantage cet itinéraire, les travaux de sécurisation sont constants ; on met en place progressivement des systèmes de protection : filet, gabions, potences… Les accidents dus à des chutes de pierres sont alors beaucoup moins fréquents, mais le sentiment psychologique d’insécurité reste très fort.

Évidemment, cette route devient un enjeu électoral et à chaque élection au Conseil régional, notamment, chacun y va de son talent du « y a qu’a ».

La « nouvelle route du littoral » ou « 3ème » route du littoral

Le projet d’une nouvelle route du littoral est donc la 3ème tentative d’une liaison routière sécurisée entre La Possession et Saint-Denis.
Après nombre rapports d’experts jugeant la route actuelle susceptible d’être correctement sécurisée, mais n’étant pas à l’abri, à l’échelle du temps géologique, d’un glissement de plaques de grande ampleur, la décision est prise, après l’accident dramatique de mars 2006, où un pan de la falaise s’est écroulé sur la route, de construire une nouvelle liaison routière sécurisée entre Saint-Denis et La Possession.
Dans le cadre de la décentralisation et notamment lorsque les Régions deviennent gestionnaires des routes nationales, Paul Vergès, président de la Région demande à l’État de sécuriser d’abord la route avant le transfert de compétences.
En août 2006, au cours de l’assemblée plénière du Conseil Régional, la Région se positionne pour la solution proposée par les services de l’État : une nouvelle route à 4 voies encore plus éloignée de la falaise que la route actuelle, avec digues en mer + viaducs.
Cette option privilégiée par l’État est la moins chère à mettre en œuvre et la plus réalisable dans les délais impartis. Les solutions d’une route en Montagne ou en tunnel sont donc une nouvelle fois écartées
Le gouvernement entérine le projet d’une nouvelle route en mer à 4 voies et le ministre des transports et le ministre de l’Outre-mer annoncent que les travaux débuteront courant 2009 et que la route sera composée de digues et d’un tunnel.
Dominique Perben, ministre des Transports, et François Baroin, ministre de l’outre-mer donnent alors mandat au préfet, Pierre Henri Maccionni pour négocier les modalités de financement de cette opération dont le coût est estimé à 930.000.000 millions d’euros.
Paul Vergès président de l’ONERC fortement préoccupé par les changements climatiques et par l’épuisement éventuel des énergies fossiles, propose une alternative au tout automobile en axant sa réflexion sur les économies d’énergie d’une part, et sur la diminution des émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère d’autre part. C’est le projet d’un tram-train de Sainte-Marie à Saint Paul, inscrit dans le même protocole de Matignon, et offrant une autre liaison sécurisée entre Saint-Denis et La Possession par le passage du tram-train par La Montagne.

Le Protocole de Matignon signé en janvier 2007 garantit le financement de cette nouvelle route ainsi que celui du projet de tram-train. Parallèlement aux travaux du tram-train, le premier tronçon de la nouvelle route du littoral aurait pu être livré en 2013, et le tracé total en 2017.
Il faut noter que c’est l’État qui assure l’essentiel du financement acté dans le Protocole de Matignon, lequel prévoyait aussi un péage payé par les usagers, afin de ne pas faire peser le poids de cette liaison entre Saint-Denis et La Possession sur les tous contribuables Réunionnais et de ne pas hypothéquer les capacités d’investissement de la Région.
Les élections de mars 2010 au conseil régional conduisent à une nouvelle majorité. Cette majorité remet en cause les projets de l’ancienne mandature (nouvelle route du littoral, tram-train) . Elle supprime le tram-train et négocie dans les accords de Matignon 2 la réaffectation des crédits sur une nouvelle route du littoral à 6 voies combinant également digues et viaducs. Le coût est évalué à 1,6 milliard d’euros.

Qu’en est-il de ce projet pharaonique, tant par sa réalisation technique que par son coût ?

Désastre paysager et atteintes à l’environnement

L’aspect paysager ne saurait être négligé. Vue d’avion ou arrivée par bateau ou pirogue ou voilier, les rivages de la Réunion sautent aux yeux des visiteurs comme encore à l’état naturel où se succèdent végétations, rocs, falaises et des vagues s’échouant sur le rivage.
La construction de cette nouvelle route de 6 voies en mer avec viaduc et digues viendra enlaidir nos côtes de Saint-Denis à La Possession sans compter les atteintes au site historique du Lazaret.
Du chemin des Anglais ou des hauteurs de la montagne, chacun ne verra plus cette vision de cette mer bleue, celle-ci sera entachée de constructions sombres supportées par d’horribles piliers contre nature.
Sa vue, son coucher de soleil, son regard cherchant les baleines ou des poissons volants se heurteront à une barrière mobile de voitures, de camions vrombissant et vomissant du CO2.
Quel désastre dans le cadre de l’aménagement du territoire et du respect de l’environnement. De plus, a-t-on réfléchi à la biodiversité marine, quels seront les impacts quand pendant des mois et des mois on va devoir creuser, mettre du ciment et autres…
Et où va-t-on trouver les matériaux nécessaires à la construction de cette route ?

L’aléa des changements climatiques

Une infrastructure d’une telle ampleur doit être faite pour durer. Or, personne ne peut dire aujourd’hui quelles seront les conséquences des changements climatiques qui vont avoir lieu au cours de ce siècle. Personne aujourd’hui ne sait quelle sera l’importance de l’élévation du niveau de la mer dû à la fonte des glaces notamment.
Devant de telles imprécisions, ne vaudrait-il pas mieux sécuriser certes la route actuelle et réfléchir sur un mode doux de déplacement (train, tram-train…).

Coût et financement

Le nouveau protocole financier de Matignon prévoit un budget de 1.600 milliard d’euros pour la nouvelle route du littoral, selon le plan de financement suivant :

- 532 millions d’euros État

- 151 millions d’euros FEDER

- 248 millions d’euros FCTVA

- 669 millions d’euros Région
Contrairement au premier Protocole de Matignon, c’est désormais la Région qui devra assumer tous les surcoûts de l’opération. Il est bien évident qu’au final, compte tenu de l’évolution des prix, de l’index du BTP, de la survenance inévitable d’aléas pour une route d’une telle complexité technique, le coût sera largement supérieur au coût initial et se situera probablement entre 2,5 milliards et 3 milliards.
Or, on sait qu’une prévision est largement dépassée pendant la réalisation (voir tous les grands chantiers : basculement des eaux, route des Tamarins, etc.)
Comment la Région fera-t-elle pour payer ? Les contribuables Réunionnais n’ont plus les moyens.

De plus, le péage ayant été supprimé, il n’est pas juste que le contribuable non-usager de la nouvelle du littoral soit appelé à la financer.

Comment la Région fera-t-elle donc pour assumer un tel coût ?
Faut-il rappeler que la crise de 2008 continue à frapper l’Europe aujourd’hui de plein fouet : la Grèce pratiquement en faillite, les convulsions en Italie, les difficultés en Espagne, au Portugal et les menaces qui pèsent sur la France amènent partout des mises en place des plans d’austérité. La mobilisation des emprunts va se faire dans des conditions dégradées.
Les présidentielles et législatives de 2012 constituent des éléments de fortes incertitudes quant au financement de l’État.
Les difficultés économiques que connaît notre île ne sont pas de nature à rassurer la Région.

A-t-on prévu ensuite le coût de maintenance d’une telle structure ?
Cette nouvelle route pourrait devenir un gouffre financier obérant par la même occasion toute possibilité de construction de routes nouvelles ou d’amélioration du réseau actuel, alors que beaucoup d’argent a déjà été dépensé pour sécuriser la route actuelle.
Il est certain que la participation de l’État n’augmentera pas ; soyons réalistes, quand on parle d’un budget 2012 le plus rigoureux depuis 1945, et que l’objectif est de réduire à 0 le déficit de l’État d’ici 3 ans, il y a des craintes à avoir sur les capacités de La France à intervenir au-delà de ce qui est prévu, sur ce grand chantier.

Coma circulatoire

Une chose est certaine : dans les conditions de financement actuel et de coût de cette nouvelle route du littoral, tous les moyens financiers de la Région seront épuisés, au détriment des autres priorités routières et surtout d’un futur transport ferroviaire. Si l’on fait cette route du littoral à ce coût, l’on aura plus les moyens de financer un train. Or, la nouvelle route du littoral ne concerne que 12 km, de Saint-Denis à La Possession. Sans une alternative au tout automobile à l’échelle de l’île, c’est le coma circulatoire assuré dans quelques années, avant et après la livraison hypothétique de cette nouvelle route du littoral. Imagine-t-on également l’augmentation considérable des embouteillages qui se produiront aux entrées de La Possession et surtout de Saint-Denis puisque le projet actuel ne prévoit aucun financement pour la traversée des villes ?

Cette nouvelle route du littoral représente un immense gâchis qui hypothèque l’avenir de toute la politique des déplacements à La Réunion

En conclusion, le groupe signataire de ces observations demande à la Région :

- Dans un souci de gestion prévisionnelle et rationnelle des moyens financiers,

- Dans un souci de respect de l’environnement et de protection de la biodiversité marine,

- afin de ne pas concentrer tous les crédits sur cette route,

- d’avoir une vision globale des déplacements à la Réunion, et par conséquent,

D’abandonner ce projet de nouvelle route du littoral de 6 voies en mer, qui constitue une erreur historique, et d’être en cohérence avec les principes du développement durable en privilégiant des solutions alternatives au tout routier et au tout automobile.

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Messages

  • Ce projet a la hauteur de celui qui l’engage et de son incompétence a gérer l’avenir de la réunion, DIDIER=NICOLAS les deux TOPS de l’année, autant que son maitre a penser unique, ou au lieu de mettre en referendum on fait semblant.

  • Très bon article, merci !

    Je n’ai pas eu l’occasion de signer la pétition aussi, je le fais maintenant :)

    Je demande d’abandonner ce projet de nouvelle route du littoral de 6 voies en mer, qui constitue une erreur historique, et d’être en cohérence avec les principes du développement durable en privilégiant des solutions alternatives au tout routier et au tout automobile.

  • Il n’est que de voir en métropole le nombre de villes et de collectivités qui réhabilitent ou développent le transport par rail pour s’apercevoir de l’ineptie du plan de Didier Robert ! pour s’en convaincre sur internet ,de youtube à daylimotion et de Nantes à Strasbourg en passant par Mulhouse ,trams et tram-train n’en finissent plus de se construire ! sans compter qu’a la Réunion des bretelles de voies férrées reliant balances et usines sucrières soulageraient le trafic routier et que dire d’une desserte de gillot ,comme l’aéroport de Strasbourg Entzeim ,qui verraient les touristes voyager confortablement après un long périple en avion .Vraiment ,l’on ne comprend pas pourquoi le tram-train à été abandonné au profit de la route super saturée !


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