Bouclier fiscal et minima sociaux

Agir Pou Nout Tout dénonce l’aberration administrative

28 novembre 2007, par Edith Poulbassia

Conséquence inattendue de l’application du bouclier fiscal qui plafonne à 60% (50% dès 2008) des revenus les impôts à payer, l’éligibilité à La Réunion de contribuables bénéficiaires de minima sociaux. Mais ceux-ci sont malgré tout contraints de s’acquitter des impôts, la taxe foncière surtout, avant d’être remboursés. Agir Pou Nout Tout demande tout simplement l’exonération pour ces ménages modestes.

Payez, on vous rembourse. C’est le principe de l’administration fiscale depuis l’application du bouclier fiscal au 1er janvier 2007. Une mesure destinée à plafonner le total des impôts directs (impôts sur le revenu, taxe d’habitation et foncière du logement principal, impôt de solidarité sur la fortune (ISF)) à 60% des revenus perçus l’année précédente. Les contribuables concernés par le bouclier fiscal doivent faire une demande aux services fiscaux pour le remboursement du trop-perçu. Ainsi, un contribuable qui aurait payé des impôts en 2006 d’un montant supérieur à 60% de ses revenus de 2005 a droit à la restitution de ce qu’il a versé en plus. Pour les contribuables les plus fortunés, notamment ceux assujettis à l’ISF, le bouclier fiscal n’est pas passé inaperçu. Une contribuable a pu ainsi se faire rembourser plus de 7 millions d’euros...
Mais pour les autres, l’information n’est pas bien passée. Notamment à La Réunion, où il s’est avéré que le bouclier fiscal avait des conséquences pour certains contribuables bénéficiaires de minima sociaux. Une situation spécifique et inattendue, soutient Jean-Hugues Ratenon, Président de l’association Agir Pou Nout Tout. La Réunion est sans doute le seul département où un grand nombre de bénéficiaires de minima sociaux (RMI, API, AAH, APA, allocations familiales) est propriétaire ou en accession à la propriété, soit par héritage, soit par le droit aux logements sociaux. On avait beaucoup évoqué le cas des habitants de l’île de Ré mais pas de La Réunion. Par conséquent, des familles modestes paient la taxe foncière et d’habitation alors même que leurs revenus fiscaux sont nuls. Le RMI, l’AAH, l’API, l’APA, les allocations familiales ne sont pas des revenus imposables. Avec la mesure du bouclier fiscal, les contribuables qui déclarent ces minima sociaux n’ont donc plus en théorie à s’acquitter de la taxe foncière. En clair, leur revenu annuel est égal à zéro euro, ils ne devraient plus payer d’impôts grâce au bouclier fiscal.

L’administration ne peut qu’appliquer la loi

Dans ce cas, pourquoi ne pas exonérer ces contribuables de la taxe foncière ? C’est la question que l’association Agir Pou Nout Tout est venu poser à Abdul Akhoun, directeur divisionnaire des services fiscaux de La Réunion, hier matin à l’hôtel des impôts de Saint-Benoît. « Je comprends votre demande, mais l’administration est chargée d’appliquer la loi. Je sais que la population de La Réunion a une proportion conséquente de gens défavorisés, mais néanmoins propriétaires. Ils doivent s’acquitter en moyenne d’une taxe foncière de 500 euros alors que leurs revenus sont faibles. Mais la loi a été votée en 2005 », répondait en substance Abdul Akhoun. En fait, la loi ne permet pas aux contribuables d’être exonérés. Ils doivent s’acquitter de l’impôt et faire ensuite une demande de restitution aux services fiscaux. « Une aberration administrative », commente Jean-Hugues Ratenon. D’autant plus que les contribuables ont jusqu’au 31 décembre 2007 pour demander le remboursement de la taxe foncière payée pour 2006.
L’association Agir Pou Nout Tout constate un manque d’information des personnes concernées. Elles ne savent pas comment demander le remboursement, et découvrent souvent grâce à l’association qu’elles y ont droit, et ce à quelques jours de la date butoir pour se faire connaître au centre des impôts. Pour Jean-Hugues Ratenon, l’intervention de l’association auprès des services des impôts s’inscrit dans la lutte pour l’amélioration du pouvoir d’achat des Réunionnais. C’est pourquoi, il demande une modification de la loi permettant d’introduire la notion d’exonération pour cette catégorie de contribuables concernés par le bouclier fiscal.

Plus de 5000 bénéficiaires potentiels

Le directeur divisionnaire des services fiscaux, Abdul Akhoun, estime cependant avoir mené une forte campagne de communication pour informer ce public en particulier, et demande aux associations de relayer tant que possible l’information. « La Réunion est sans doute le département où le plus grand nombre de personnes vont bénéficier du bouclier fiscal », fait-il remarquer. « Nous avons adressé des milliers de lettres aux potentiels bénéficiaires, en nous fiant aux données de notre système informatique. Ces lettres concernent surtout Saint-Pierre, Saint-Benoît et Saint-Paul. A cela s’ajoute notre campagne de communication, des courriers aux institutionnels aussi. Mais nous pouvons prendre d’autres initiatives ». Abdul Akhoun assure que 5000 lettres ont été envoyées, mais que les bénéficiaires du bouclier fiscal sont sans doute plus nombreux. Il reconnaît que l’administration fiscale a reçu peu de demandes avant fin octobre, à l’exception des contribuables « à gros revenus bien informés de leurs droits ». La priorité, explique t-il, est de recevoir dans le peu de temps qu’il reste les contribuables. « Nous avons mis en place un dispositif d’accueil. Les agents recoivent, expliquent les droits, les conditions, aident à remplir le formulaire de restitution. Le formalisme est réduit au minimum. Le système informatique permet de savoir si la taxe a été payée ou pas », assure le directeur divisionnaire. Ainsi, à l’approche de la date butoir, il semble que les contribuables commencent à saisir l’information. Il est arrivé que les agents traitent 300 demandes en un jour.

Edith Poulbassia


Le bouclier fiscal en bref

Depuis le 1er janvier 2007, les impôts (sur le revenu, taxe foncière, d’habitation de la résidence principale, ISF) ne peuvent plus dépasser 60% des revenus perçus par le contribuable l’année précédente. C’est ce qu’on appelle le bouclier fiscal. L’article 1 du code général des impôts de 2006 stipule que « les impôts directs payés par un contribuable ne peuvent ne peuvent être supérieurs à 60% de ses revenus ». Les contribuables qui sont concernés peuvent demander le remboursement du trop perçu par l’administration fiscale pour les impôts de 2006.
Quel public était visé par cette mesure fiscale ? Les catégories sociales les plus aisées, soit 90.000 foyers fiscaux. Seul 2% des ménages éligibles avaient déposé une demande de restitution en avril 2007. « Sur un total de 93.000 foyers fiscaux éligibles, une minorité de 16 000, imposés à l’ISF, vont toucher, au titre du bouclier, 350 millions d’euros. Les 77.000 autres bénéficiaires se partageront 50 millions d’euros », soulignait le journal “l’Humanité”.
Un bouclier fiscal à 60% ne semblait pas suffisant pour le chef de l’Etat. « Un citoyen ne peut pas donner plus de la moitié de ses revenus à l’Etat », avait déclaré Nicolas Sarkozy pendant la campagne présidentielle. Au 1er janvier 2008, les impôts ne pourront pas dépasser 50% des revenus. Ce qui signifie 600 millions d’euros en moins pour l’État. Y compris la CSG (Contribution Sociale Généralisée) et la CRDS (Contribution au Remboursement de la Dette Sociale) qui n’étaient pas prises en compte dans les impôts pour le bouclier fiscal à 60%.

EP


Un appel à modifier la loi

Dans une motion adressée au préfet et aux parlementaires, le Président d’Agir Pou Nout Tout demande que les personnes bénéficiaires du RMI, de l’AAH, de l’API, de l’APA, des allocations sociales et qui doivent s’acquitter d’impôts directs, pour demander ensuite le remboursement soient tout simplement exonérés.
« A cause de la faiblesse du pouvoir d’achat des ménages réunionnais, du taux important d’illettrés à La Réunion, de la lourdeur administrative facteur de découragement, du système informatique performant qui donne accès aux données, d’un manque de personnel au niveau des services fiscaux, nous demandons à Monsieur le Préfet de La Réunion d’intervenir auprès du gouvernement pour : l’envoi d’un courrier pour avertir les contribuables de leur droit, un remboursement automatique du trop perçu par les services fiscaux sans tenir compte de la date butoir du 31 décembre pour la taxe foncière 2006-2007, la suppression de la majoration de 10% pour 2006 et 2007, le calcul direct du plafonnement avant l’envoi des avis d’imposition pour les personnes éligibles dès 2008 ».

EP


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