Air Austral : va-t-on démembrer un fleuron de l’économie réunionnaise ?

29 mai 2010, par Geoffroy Géraud-Legros

Compagnie régionale, Air Austral a su percer dans un contexte où l’industrie réunionnaise est laminée ou encore prise en main par des capitaux extérieurs. Nouvel épisode du bras de fer historique entre l’initiative réunionnaise et les pesanteurs héritées de l’économie coloniale, cet essor est aujourd’hui menacé par la nouvelle direction régionale. Agent traditionnel des monopoles et du libéralisme à outrance, l’UMP prend aujourd’hui Air Austral pour cible.

L’histoire économique de La Réunion montre l’affrontement constant de deux courants contraires. D’une part, l’émergence d’acteurs économiques proprement réunionnais — entreprises, services, industrie. D’autre part, le poids continu d’un capitalisme hérité de l’ancienne métropole coloniale, directement hérité des monopoles ou lié au capitalisme mondialisé contemporain.

Déclin de l’industrie réunionnaise

Sur le plan économique, l’application de l’idéologie "départementaliste" qui a pris le dessus après la décolonisation du 19 Mars 1946 a laminé l’industrie réunionnaise. Les décennies 1950, 1960 et 1970 ont vu disparaître presque complètement le tissu industriel qui subvenait à une part conséquente des besoins réunionnais, au profit des produits importés de l’Hexagone.
Une vague de destruction qui continue de déferler : la prise de contrôle des deux dernières sucreries en activité par des intérêts étrangers à notre île a porté un coup supplémentaire à l’industrie réunionnaise. Passé presque inaperçu, ce transfert de capitaux interrompt une aventure industrielle de presque deux siècles, où les innovations technologiques élaborées à La Réunion avaient dépassé les frontières de notre île. Il signale aussi un recul des capacités de luttes pour les planteurs, les ouvriers et les cadres du monde sucrier. On pouvait faire grève au Gol et à Bois-Rouge, comme il y a un peu moins d’un demi-siècle à Quartier-Français. Comment aujourd’hui s’opposer à Tereos, dont le siège se trouve à des milliers de kilomètres par delà les océans ?

Combats pour un transport aérien réunionnais

Le domaine du transport aérien est sans doute celui où le choc entre initiative locale et poids persistant du monopole colonial apparaît le plus clairement. Dans un rapport dominé de longue date par une compagnie nationale et son héritière privatisée, l’émergence d’une compagnie régionale a été une lutte de tous les instants. Un enjeu largement politisé : l’utilisation de relais politiques locaux constitue de longue date l’un des atouts majeurs des monopoles et des opérateurs économiques qui leur ont succédé.

Air Austral à l’assaut du ciel

Après des échecs largement imputables aux manœuvres politiques des conservateurs, comme celui de la compagnie réunionnaise AOM, Air Austral a fini par relever le défi. En novembre dernier, la compagnie régionale a surclassé pour la première fois Air France sur le segment Paris-Réunion. La perspective de l’acquisition de 4 très gros porteurs A-380 et de la vente de billets à un prix inférieur – de 30% toute l’année — annonçait l’émergence définitive d’une compagnie faite par et pour les Réunionnais.

L’UMP agent des intérêts établis…

Tout porte à croire que les turbulences que subit aujourd’hui Air Austral constituent un nouvel épisode de la lutte entre les forces économiques anciennes et l’entreprise réunionnaise en croissance.
Car l’UMP à la direction de la Région fait sans aucun doute le jeu des monopoles et des intérêts établis : ne s’est-t-elle pas empressée de casser le tram-train, pour le plus grand bénéfice des pétroliers et des influents transporteurs compagnies de bus ? La récupération d’une grève à Air Austral par Didier Robert, avec à l’appui d’un autre ancien monopole — RFO — et son utilisation dans le but évident de déstabiliser le dirigeant Gérard Ethève signalent une offensive politique contre la compagnie régionale.

... au dépens des Réunionnais

À l’horizon de ce coup de force se profile le démembrement d’Air Austral, dans le but probable de fournir les 40.000 billets promis par la campagne populiste de l’UMP avant l’élection régionale. Un "cadeau" qui n’aura lieu qu’une seule fois, et servira avant tout à sécuriser le vote pour les élections à venir.
Les attaques contre la direction actuelle de la compagnie laissent entrevoir à terme sa reprise en main par des entrepreneurs bien moins préoccupés du destin de La Réunion et de la démocratisation des voyages. S’il venait à se réaliser, ce tournant mettrait sans aucun doute fin à la politique de baisse durable des prix engagée par la direction actuelle d’Air Austral par le biais d’une flotte d’A-380 à classe économique unique. Une régression pour les Réunionnais, qui resteraient tributaires des ententes cordiales entre transporteurs de l’air visant à maintenir les billets d’avions à un coût maximum… tout en débarrassant les héritiers des monopoles coloniaux d’un concurrent sur le point de les devancer pour de bon.

Geoffroy Géraud-Legros

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