Visite ministérielle : programme en décalage avec la réalité —2—

Aucune réponse au mal-logement

26 mai 2010, par Manuel Marchal

Après l’emploi, le logement est une des préoccupations essentielles des Réunionnais. Le résultat du non-développement, ce sont 30.000 familles en attente d’un logement social, et 20.000 enfants victimes du mal-logement selon le dernier rapport de la Fondation Abbé Pierre. La visite, la semaine dernière dans notre île n’a apporté aucune réponse à l’urgence sociale qui ne cesse d’augmenter dans ce domaine, avec en toile de fond une aggravation de la crise structurelle du logement social à La Réunion.

Voici un an, quand les États généraux de l’Outre-mer ont débuté, ils étaient une réponse à une crise sociale qui atteignait un pic avec la grève générale en Guadeloupe et en Martinique, et les importants mouvements en Guyane et à La Réunion. Cette concertation lancée par le gouvernement visait à préparer l’annonce de changements structurels. Le plus haut sommet de l’État constatait les limites d’un modèle, la fin d’un cycle historique.
Le 6 novembre dernier, la conclusion des Etats généraux était actée par un Conseil interministériel sur l’Outre-mer. Le CIOM annonçait 137 mesures.
Mais force est de constater que le volet social était le grand oublié. Ce qui relativisait considérablement la portée des mesures prises, car c’est le social qui est en Outre-mer la priorité, et notamment à La Réunion. Cette priorité avait d’ailleurs été formulée à l’échelon réunionnais des États généraux, car le rapport de synthèse des ateliers locaux fixait dans les cinq priorités la mise en œuvre d’un "Plan Marshall" pour le logement social visant à répondre à cette urgence. Mais cette idée n’a pas été reprise par la feuille de route publiée à l’issue du Conseil interministériel sur l’Outre-mer.

52% sous le seuil de pauvreté

Pourtant, depuis des décennies, notre pays est confronté à une pénurie de logements. Cela se vérifie en particulier dans le social. 52% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. Donc la majorité de la population n’a pas les moyens d’aller vivre dans un logement du secteur privé, à moins de déséquilibrer considérablement son budget. Or, comme l’indique la DDE dans son rapport "Le parc social locatif à La Réunion", le logement social représente 20% du nombre total de logements à La Réunion.
Le résultat de cette pénurie, c’est l’explosion du mal-logement. C’est ce qu’a rappelé hier la Fondation Abbé Pierre dans son 5ème rapport annuel consacré à La Réunion. Il précise que 20.000 enfants vivent le mal-logement. Cette situation a de lourdes répercussions dans de nombreux domaines. C’est par exemple un obstacle à la réussite scolaire que ne connaissent pas ceux qui vivent dans un logement décent.
Face à l’aggravation de la pénurie, le rythme des constructions ne s’accélère pas, il va même en diminuant et ramène La Réunion 35 ans en arrière. En effet, entre 2005 et 2008, le nombre de logements livrés a été équivalent à celui de la période 1973-1976, d’après les données fournies par la DDE.

Une crise structurelle

Pire encore, le retard pris dans le traitement des dossiers et le report de plusieurs chantiers de construction pourraient faire toucher le fond à toute la filière, avec un nombre de constructions de logements sociaux proche de 1958, c’est-à-dire proche de zéro. Ce qui démontre que le problème n’est pas un accident de parcours, mais une crise structurelle.
Comme réponse, le gouvernement a proposé de changer les règles de financement du logement social en l’ouvrant à la défiscalisation. Dans le même temps, il a programmé l’arrêt des subventions versées aux promoteurs privés qui ne veulent pas investir dans le social. Malgré le fait que toutes les personnes concernées par ce changement aient fait part de leurs craintes quant à l’impact négatif du dispositif sur l’emploi, cette mesure a été inscrite dans la LODEOM. Quant aux mesures du CIOM, elles ne proposent pas des mesures de fond pour sortir la filière du logement social de la crise structurelle.
Tout comme l’emploi, la visite de la ministre de l’Outre-mer n’a pas pris en compte cette urgence sociale et n’a pas été plus loin que le CIOM. Alors que la situation montre ses limites, alors que la progression du chômage diminue les revenus et augmente le nombre de familles qui a droit à un logement social, alors que la population continue d’augmenter, aucune réforme structurelle à l’horizon, et aucune annonce d’un investissement sans précédent de l’État à la hauteur de la pénurie. Pourtant, le droit au logement est inscrit dans la Constitution, et en 2014, il sera opposable, c’est-à-dire que tout citoyen pourra faire exiger le respect de ce droit devant un tribunal.

Manuel Marchal


Logement social : la plus mauvaise année depuis 1958 ?

La pénurie de logements sociaux n’est pas nouvelle, mais elle ne s’améliore pas et continue de s’aggraver. Alors que le nombre de familles ayant droit à un logement social augmente chaque année, celui de la livraison des logements sociaux stagne voire diminue. Dans son rapport, la DDE précise en effet que pour le logement social, « l’évolution du parc a connu des phases très différentes avec des volumes de livraison de 800 logements en moyenne annuelle pendant les années 70 et 80, de 2.200 logements pendant les années 90 et de 1.350 logements depuis 2000 ».
Et alors que notre île est la région la plus touchée par le chômage de masse et la pauvreté, elle ne se situe qu’au 12ème rang en termes de nombre de logements sociaux pour 1.000 habitants, 65 pour 1000, 5 points en dessous de la moyenne des 22 régions de la République situées en France.
En janvier dernier, "BTP partenaires", revue de la Cellule économique du BTP faisait part de nouvelles inquiétudes quant à la possibilité de réduire cette pénurie. "BTP partenaires" constatait une progression de la LBU, subvention de l’État destinée à financer la construction de logements sociaux, capable de faire sortir de terre 2991 logements neufs… annonce relativisée car, selon "BTP partenaires", « près de 90% des dossiers ayant été traités en fin d’année, leur réalisation n’interviendra pas avant juin 2010 ».
Le 19 mai, à la veille de la visite de la ministre de l’Outre-mer, une délégation de l’Intersyndicale du BTP était reçue par le préfet. À la sortie de l’entretien, l’échéance avancée cinq mois plus tôt par la Cellule économique du BTP était encore repoussée : « comme il fallait s’y attendre, le préfet a prévenu qu’il n’y aurait pas de lancement de chantiers de logements sociaux avant 6 mois », a déclaré Jacky Balmine, représentant de l’Intersyndicale.
2010 sera-t-elle la première année depuis 1958 à ne connaître aucune livraison de logements sociaux ? Il faut en effet remonter à 52 ans pour retrouver un rythme de livraison de logements sociaux neufs équivalent aux cinq premiers mois de 2010, c’est-à-dire proche de zéro.

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