Demain à l’Assemblée nationale : vote précipité de la loi sur les transferts de responsabilités de l’État aux collectivités - 2 -

Bertho Audifax se souviendra-t-il du « vote sanction » ?

13 avril 2004

Contrairement à son collègue dionysien (voir “Témoignages” de samedi dernier), le député-maire de la 5ème circonscription, candidat aux régionales, avait été peu bavard suite aux scrutins des 21 et 28 mars derniers. Tout juste avait-il parlé de "contexte de l’élection" et de "vote sanction" au soir du premier tour des cantonales et régionales (le “Journal de l’île” du 22 mars).
On ne peut que partager son analyse. En effet, pour le parlementaire, l’ampleur de la sanction a été considérable. Dans le canton renouvelable de Saint-Benoît, son candidat a été battu dès le premier tour. Le 21 mars, plus de 73% des suffrages adressaient un message clair : non à la politique du gouvernement Raffarin. Une politique soutenue depuis deux ans par le député-maire de Saint-Benoît.
Aux régionales, la liste soutenue par le gouvernement, sur laquelle Bertho Audifax était candidat, n’a pas eu davantage de succès les 21 et 28 mars à Saint-Benoît. Dans la commune du député de l’Est, au deuxième tour, le 28 mars, plus de 76% des suffrages étaient contre la liste Raffarin.
Un bref tour d’horizon de la 5ème circonscription situe l’ampleur du désaveu de la politique du gouvernement Raffarin et de l’un de ses fidèles soutiens : 69% contre à Sainte-Marie, 83% contre à Sainte-Suzanne, 65% contre à Saint-André, 68% contre à Salazie, 74% contre à Bras-Panon, 56% contre à La Plaine des Palmistes.
On constate que les électeurs de la 5ème circonscription en général, et de Saint-Benoît en particulier, se sont prononcés à une large majorité contre la politique du gouvernement et ont sanctionné leur parlementaire : un verdict sans appel.
Demain, Bertho Audifax a une occasion en or de montrer qu’il peut redresser la barre. Il devra dire s’il soutient ou pas un projet de loi contre lequel se sont prononcés un grand nombre de Réunionnais, et en particulier les personnes et collectivités concernées en premier par le transfert : les TOS, la Région et le Département.
En votant contre le transfert précipité, sans concertation et sans garanties financières des responsabilités de l’État aux collectivités, le député-maire de Saint-Benoît pourra être le porte-parole de ceux qui l’ont élu en 2002 et qui ont sanctionné son soutien à la casse des droits des Réunionnais les 21 et 28 mars dernier. Ainsi, le parlementaire montrera qu’il tient compte de la volonté exprimée dans les urnes par une large majorité des citoyens de sa circonscription. Mais à Paris, Bertho Audifax se souviendra-t-il du "vote sanction"... ?

M. M.


Le parti de la majorité parlementaire traverse actuellement une passe difficile

Défaite, divisions, reculades : le grand malaise de l’UMP

La déroute absolue de l’U.M.P. aux élections régionales, suivie d’une reconduction de Jean-Pierre Raffarin à la tête du gouvernement, suscite dans ses rangs des interrogations anxieuses en forme de malaise.

La déclaration de politique générale de “Raffarin III” à la tête d’un gouvernement remanié et condamné par les électeurs a été, la semaine dernière, un signe clair du grand malaise qui règne à l’UMP. Distraits, maussades, absorbés par leur courrier parlementaire ou par leurs conversations personnelles bien plus que par les propos du Premier ministre, les députés de la majorité l’ont entendu - vaguement - plus qu’écouté, et ils n’ont pas ménagé, ensuite, leurs critiques dans les couloirs du Palais-Bourbon.
Des critiques sur un double thème : d’abord, il n’y a plus aucun souffle chez ce malheureux Premier ministre, désormais usé jusqu’à la corde ; ensuite, il aurait de toute façon mieux valu procéder à un renouvellement plus ample, à commencer par Matignon, pour faire suite à la terrible sanction des urnes infligée les 21 et 28 mars.
Plus discrètement (encore que la multiplication des fuites en direction de la presse ne soit pas innocente), la première grande réunion du groupe UMP vient d’en fournir un nouveau signe : ce qui devait être, dans le double dessein de Jacques Chirac et d’Alain Juppé, le grand parti de la droite française, ressemble davantage aujourd’hui à un syndicat de mécontents et de déçus qu’à la belle machine à gagner les élections que le président de la République et celui de l’UMP - pour quelques mois encore - avaient rêvée.

Quelque chose de pathétique

En effet, quelque compassion que l’on éprouve à l’UMP pour le Premier ministre, on murmure à droite que la modestie bonhomme du chef du gouvernement (certains n’hésitent plus à dire : la médiocrité) ne fait pas une politique. Même et surtout à grand renfort de platitudes qui semblent sorties en catastrophe de l’éloquence parlementaire d’un autre âge.
La majorité gouvernementale a conscience d’affronter une très rude tempête avec, à la barre, un Jean-Pierre Raffarin qui ne sait plus à quel vent se fier. Si nul n’envisageait de faire, après les élections régionales, comme s’il ne s’était rien passé, l’empressement mis par le pouvoir à faire droit aux revendications qui lui ont coûté si cher a, pour ses supporters même, quelque chose de pathétique, et donc d’embarrassant.
Les chercheurs ont eu gain de cause à peu près instantanément, avec la création de mille nouveaux postes qu’on expliquait, il y a encore quinze jours, impossibles à financer. Les dispositions tendant à réduire le coût de l’indemnisation du chômage sont abandonnées dans la précipitation. Et l’on parierait presque que la réforme du régime des retraites ne survive bien longtemps à cette soudaine fièvre de la droite d’accéder à toutes les exigences de la gauche.
Bien des élus de l’UMP en éprouvent un secret soulagement. Mais comme le dit amèrement un élu de droite battu aux régionales : "Ou nous étions dans l’erreur hier, et alors il fallait changer de Premier ministre ; ou nous faisons n’importe quoi aujourd’hui, et il va falloir l’expliquer à nos électeurs".

Ambiance exécrable à l’U.M.P.

La seule manifestation volontariste de Jean-Pierre Raffarin tient, il est vrai, en une réforme à laquelle il était très attaché : celle, justement, des pouvoirs régionaux. Après avoir différé l’examen du projet de loi transférant aux Régions de nombreux pouvoirs, il tentera finalement de faire passer en force son texte cette semaine.
Le problème est que l’UMP est, après ce scrutin calamiteux pour elle, plus que réservée sur un tel transfert ; et que les élus de gauche, de leur côté, rejoints d’ailleurs par bon nombre d’UDF, estiment que l’on va ainsi tenter de leur faire porter le chapeau de lourdes difficultés budgétaires à venir, l’Etat étant plus prompt à se délester sur les collectivités locales de certaines responsabilités que des crédits exigés par leur bonne mise en œuvre.
Au point que mercredi dernier, lors de la réunion de groupe de l’UMP, certains élus de la formation présidentielle n’ont pas ménagé leurs critiques au projet de loi sur la régionalisation. Et que l’on commence à se demander si certains suffrages présumés sûrs ne manqueront finalement pas au texte gouvernemental.
L’ambiance est, à l’évidence, exécrable. On devrait s’en rendre tout particulièrement compte lorsqu’il s’agira, dans quelques semaines, d’élire un nouveau président du groupe, le titulaire actuel, Jacques Barrot, devant prendre la succession à la Commission de Bruxelles de Michel Barnier, nommé ministre des Affaires étrangères. D’ores et déjà, certaines candidatures radicalement opposées se profilent, entre sarkozystes et chiraquiens. Mais beaucoup commencent de toute façon à se demander à voix de moins en moins basse "s’il est vraiment nécessaire de sauver le soldat Raffarin", selon la formule de l’un d’entre eux.

Un nouveau cauchemar en vue

D’autant plus que dans guère plus de deux mois, la majorité parlementaire redoute de vivre un nouveau cauchemar : celui des élections européennes. C’est d’ailleurs très probablement pour essayer de limiter les dégâts que l’UMP vient d’annoncer, par la voix d’Alain Juppé, que tout compte fait, elle est hostile à l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne. Une adhésion qui n’est pas très populaire en France, pour des raisons religieuses chez les démocrates-chrétiens de l’UDF, pour des raisons culturelles ailleurs, pour des raisons économiques et sociales un peu partout, sans parler des raisons que l’on devine à l’extrême droite.
On notera que c’est la première fois que, sur un sujet majeur de politique étrangère, l’UMP prend ainsi le contre-pied des positions maintes fois réaffirmées (et encore le 26 mars dernier au sommet européen de Bruxelles) par Jacques Chirac lui-même. Au point que Michel Barnier a été contraint, la semaine dernière, à une mise au point aussi vague qu’embarrassée, sur le thème : la politique de la France n’a pas changé, mais il faut écouter tout ce qui se dit sur le sujet, notamment dans la majorité.

L’après Chirac

En attendant, l’UMP commence à voir se constituer en son sein de véritables courants, semblables à ceux qu’a connus le Parti socialiste (et qui subsistent encore en réalité). Les libéraux, les démocrates-chrétiens, peut-être demain des gaullistes fidèles, les souverainistes, etc... en sont à réfléchir à la meilleure façon de se manifester collectivement, voire de se structurer formellement. Cela signerait la fin officielle de l’ambition fondatrice de l’UMP, qui était de fédérer toute la droite, une ambition à laquelle la persistance d’un noyau UDF avait déjà commencé de faire obstacle.
Mais au-delà de la crise de confiance à l’égard du Premier ministre, qui est d’ailleurs davantage plaint que condamné, et qui ne fait même plus figure de fusible du président, commence à s’esquisser un détachement - encore timide - de l’UMP à l’égard du président.
Cela se passe comme s’il s’agissait déjà de songer à la suite. Et cela de façon d’autant plus pressante que, même s’il obtenait en appel un verdict nettement moins sévère qu’en première instance, l’avenir personnel de celui qui fit longtemps figure de dauphin naturel, Alain Juppé, ne peut plus servir de boussole, de point de ralliement.
De ce point de vue, le malaise très profond que traverse l’UMP n’annonce même plus seulement l’après-Raffarin, mais préfigure déjà, d’une certaine façon, l’après-Chirac.


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