Besoin de réconciliation

3 juin

La Réunion est unique. Un constat qui nourrit la principale raison de son génie collectif. Dès lors toute tentative de le comprendre à partir d’un prisme extérieur est voué à l’échec. Il en est ainsi des dégâts cycloniques, des graves inégalités, des erreurs d’aménagement, de la tranquillité vicinale etc. Le vivre ensemble est un concept irréalisable sans réconciliation car les plaies sont trop profondes.

Petit tour d’horizon

Au commencement, il y a une île tropicale dont le relief conique a été façonné par 3 millions d’années d’existence. L’eau dévale les pentes, canalisée dans des ravines et cours d’eau, charriant des détritus, à des vitesses impressionnantes. Elle se déverse dans des étangs, zones lagunaires et lacustres, situées à la base du cône. L’océan sert d’amortisseur ultime. En cas de raz-de-marée, la conjugaison des deux phénomènes est dévastatrice. Le déboisement entre les ravines a supprimé les espaces d’écoulement lent et d’infiltration permanente. La construction des habitations et des équipements à la base du cône et le long du littoral est un piège. Les corrections techniques apportées par la main de l’homme ? Elles sont dérisoires et coûteuses, car elles ignorent le simple bon sens… L’exemple caricatural est la construction d’une route en pied de falaise. Nous en sommes à la troisième version d’une voie destinée à relier deux points, points distants de douze kilomètres seulement, qui séparent la Redoute de la Possession ! Une route sur mer, titanesque, qui a pris la place du Tram-Train, qui serait terminée aujourd’hui si l’on ne lui n’avait pas brisé les rails…

Repli stratégique

L’expression créole « y barre pas la mer avec in botte la paille » prend ici tout son sens. Nous avons perdu la bataille contre les phénomènes naturels. Il y a encore des yeux qui refusent de voir, des oreilles qui refusent d’entendre, des langues qui pinaillent, là où il faudrait d’urgence entamer un repli stratégique, massif et coordonné. Commençons donc, à l’intérieur de La Réunion, par stopper le désordre occasionné par les réfugiés climatiques des villes qui montent à l’assaut de la fraîcheur des « Hauts », bousculent le mode de vie rural en y transposant des normes issues de la bourgeoisie des villes occidentales. Alors qu’aujourd’hui, il est à peine autorisé d’avoir un coq ou un cabri aux alentours d’une villa ; alors qu’aujourd’hui, les mairies donnent des permis de construire mais pas des permis d’habitation... Alors qu’on préserve un arbre mais pas une culture spécifique et une économie de proximité.

Un massacre en peu de temps.

Cette description sommaire est le résultat de 300 ans de peuplement. Faut-il demander pardon pour la destruction d’un écosystème naturel forgé durant 3 millions d’années, pour commencer une introspection, capable de déboucher sur un vivre ensemble entre la nature et l’espèce humaine ? Quel rôle a joué le gouverneur Hubert de Lisle dans la destruction accélérée de la forêt des Hauts ? Cette saignée est irréversible. Malgré tout, n’est-ce pas dans cette zone où on peut atteindre plus rapidement la trajectoire zéro carbone à l’horizon 2050, avec un pic carbone en 2035 ? A cette altitude, c’est un arrache-cœur de constater l’emprise des plantes invasives, qui risque de conduire à la fin prochaine de l’inscription au patrimoine mondial de nos Pics, Cirques et Remparts. La disparition des cultures de rentes, l’abandon des exploitations autrefois bien entretenues et l’inaction des pouvoirs publics concourent à la dégradation générale. Seul un sursaut pourra nous sauver...

Suspendre la cacophonie

L’année prochaine, le 4 septembre, cela fera trente ans que Paul Vergès a lancé l’alerte, sous le mot d’ordre « l’avenir avance en silence », lors d’une conférence en 1996. De la Cité portuaire à la Région et au Sénat, il n’a pas ménagé ses efforts pour observer, étudier, comprendre et partager. Avec la complicité d’Elie Hoarau à l’Assemblée Nationale, le texte de sa proposition de loi sénatoriale dite “Loi Vergès” portant création d’un Observatoire des effets du changement climatique a été accepté en 2001 « sans modification », entraînant ainsi un vote « à l’unanimité ». Ainsi, les deux colonisés faisaient mentir l’adage selon lequel la représentation parlementaire est tellement divisée qu’elle ne peut pas s’entendre. Mieux : ils parvenaient à suspendre la cacophonie en s’inscrivant dans l’Universel et dans la Raison : grâce à la loi Vergès, la France allait se doter des moyens d’observer et de connaître les conséquences du bouleversement climatique. Même Mélenchon répète qu’il a été instruit par Paul Vergès. J’étais présent ; et il est vrai qu’il a découvert beaucoup de choses.

Notre responsabilité

Paul Vergès a présidé l’Observatoire national des effets du changement climatique (ONERC) durant 15 ans, jusqu’à sa mort, le 12 novembre 2016. Une semaine avant son décès, le 4 novembre 2016, le Traité sur le climat entrait en vigueur…Ce qui fait dire à Jules Dieudonné : « a-t-il considéré que l’essentiel de son travail était terminé ? » La question est pertinente au moment où le séminaire du Parti communiste réunionnais consacré au centenaire de Paul Vergès, samedi dernier, a demandé d’instruire et de publier une ratification réunionnaise du Traité universel, opposable aux Etats, Collectivités, Entreprises, Associations et Citoyens. Ce serait une merveilleuse manifestation du génie collectif réunionnais.

Vivre-ensemble et co-responsabilité

La tâche n’est pas insurmontable si nous considérons que les Réunionnais qui auront 80 ans en 2100 sont déjà nés. La jeune génération dispose de nombreux outils de prospection pour se projeter jusqu’à cet horizon. A eux d’imaginer une vie digne, depuis la naissance jusqu’à la mort et de se battre pour l’imposer. J’aborde cette préoccupation dans le livre sorti en 2009, « Réconciliation et Fraternité ». Dans un monde que nous avons réduit à notre échelle, la prise de conscience que la nature des changements qui nous affectent nécessite, désormais, une vision commune de l’avenir, nous a conduits à avancer l’hypothèse d’une ère de co-responsabilité.

La Réconciliation

Le livre repose sur l’accolade entre Paul Vergès et Jean-Louis Debré, intervenue en Mars 2006, « non point évidemment en interrogeant l’accolade en elle-même, mais prenant sa signification comme point de départ d’une réflexion aux caractères politiques assumés quant à l’avenir de La Réunion, et à la manière dont elle peut contribuer aux destinés du monde ». « On sait l’émoi qu’à provoqué ce geste, particulièrement, dans les milieux conservateurs, de gauche comme de droite, quelque peu déstabilisés par une telle remise en cause des convenances traditionnelles. » Pourtant, le monde qui se déchire à vue d’oeil montre que la paix exige qu’on soit deux. Sans de Klerk et Mandela l’Histoire du vivre ensemble en Afrique du Sud aurait été différente. Le vivre ensemble en terre réunionnaise doit s’enraciner dans le besoin de réconciliation qui postule « le dépassement de soi et l’union sur l’essentiel ».

Le livre a été écrit de leur vivant. Qu’y avait-il de commun entre Paul Vergès et Jean Louis Debré ? « Quelle que puisse être l’intensité de la concurrence entre les idéologies et les acteurs qui les portent, des hommes, entre lesquels l’intrigue historique semble avoir creusé un abîme infranchissable, peuvent, se reconnaître, se respecter et se réconcilier autour d’une œuvre commune d’intérêt général. » C’est la clef qui ouvrira la porte au vivre-ensemble…ou la fermera à jamais.

La nouvelle civilisation

Ailleurs des peuples sont exterminés. Le peuple réunionnais, lui, demeure un mystère. Le projet de Maison des Civilisations et de l’Unité Réunionnaise nous aurait bien aidé pour en comprendre les tenants et les aboutissants. Il a été purement supprimé. D’un trait de plume, à la Trump avant la lettre ! Pourtant, ce projet destiné à exalter l’ensemble des civilisations dans cette manifestation unique qu’est la civilisation réunionnaise reposait sur un énoncé humaniste et transnational. Ainsi, Paul Vergès et Marie Claude Tjibaou avaient lancé l’appel de Nouméa en faveur du respect de la diversité culturelle. Pourquoi ne considère-t-on pas qu’il y a urgence à protéger cette urgence-là, alors qu’on considère comme allant de soi de préserver la biodiversité végétale et animale ? Le titre est éloquent : « Non à l’uniformité. Oui, à la diversité ».

En 2023, XI Jinping a lancé :”l’Initiative pour la civilisation mondiale” ; cette initiative doit appeler, au moins, à notre réflexion. Tout comme nous entrons dans la lutte pour préserver le climat, où Paul Vergès nous avait fait prendre de l’avance nous avons une place à prendre pour partager le génie collectif réunionnais, et apporter ici notre contribution au vivre-ensemble mondial.

Ary YEE-CHONG-TCHI-KAN

Paul VergèsParti communiste réunionnais PCR

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