Quand une route qui ne se fera pas siphonne la commande publique

BTP : une crise plus grave que prévu

4 avril 2015, par Manuel Marchal

L’élection de la présidente du Conseil départemental jeudi vient de clore un épisode d’un temps politique commencé lors des municipales de l’an dernier et qui mènera jusqu’aux législatives de 2017. La réalité prend rapidement le dessus. Le même jour avait lieu le Haut conseil de la commande publique. Il a permis de mesurer l’étendue des dégâts causés par les démolisseurs qui ont emboîté le pas à Didier Robert, après que ce dernier ait décidé de jeter à la poubelle la rocade du Tampon, un projet de 100 millions d’euros.

On est loin de l’âge d’or du BTP à La Réunion, quand Paul Vergès dirigeait la Région.

Jeudi et vendredi, les médias ont accordé une place importante à un moment politique : l’élection de la présidente du Conseil départemental. Ce scrutin vient pourtant de montrer que la fracture entre la population et les dirigeants politiques s’est encore accentuée. Les jours séparant le second tour des départementales de la première séance de la nouvelle assemblée ne vont pas arranger les choses. La bataille pour les places s’est poursuivie jusqu’au jour de l’élection de la présidente. Même nos confrères semblent avoir envie de tourner rapidement la page. « JIR » et « Quotidien » souhaitent que les nouveaux élus se mettent au travail au plus vite. Il est vrai que les défis ne manquent pas.

La question de la canne est à l’ordre du jour. Elle entre dans le champ de compétence du Conseil départemental, et elle est urgente : la coupe commence dans trois mois et le prix de la canne n’est toujours pas fixé. Un autre secteur subit aussi une grande crise, bien plus rapide que celle de la filière canne, c’est le BTP. Il a en effet fallu près de 40 ans pour que le nombre de livreurs de canne passe de plus de 20.000 à moins de 4.000. Le BTP a vu ses effectifs fondre de près de 10.000 travailleurs au cours des six dernières années. Le jour de l’élection de la présidente du Conseil départemental, une autre réunion avait lieu à Saint-Denis, c’était le Haut conseil de la commande publique. Il a permis de faire le point sur la crise.

Il a rappelé que près de 24.000 personnes travaillaient dans le BTP en 2008, c’est à partir de cette date que les coups ont été portés. Au Tampon, Didier Robert a lancé l’offensive en stoppant le chantier de la rocade Sud. Il a été suivi par les socialistes à Saint-Denis qui ont arrêté les travaux du Pôle océan et du Zénith intercommunal. À Saint-Paul, la municipalité fraîchement élue a cassé le projet de l’hippodrome. Conséquence : fin 2009, le nombre de salariés du BTP était passé à moins de 20.000.

Près de 10.000 emplois détruits par les démolisseurs

Quelques mois plus tard, la décision des socialistes d’offrir la Région à Didier Robert allait encore coûter des milliers d’emplois : arrêt du chantier du tram-train, suppression de la Maison des civilisations et de l’unité réunionnaise, remise en cause de la construction de la grande centrale photovoltaïque de la route des Tamarins, coup d’arrêt porté au plan de construction des lycées, remise en cause du projet de nouvelle route du littoral lancé par le gouvernement précédent, transformé en nouvelle route en mer…

Le bilan fait lors du Haut conseil de la commande publique a permis de constater le désastre : un peu plus de 15.000 salariés aujourd’hui. Il décrit un chiffre d’affaires du BTP en constante régression, avec une commande publique qui en représente 90 % ! Cette dépendance aux fonds publics est très inquiétante. Ce qui l’est encore plus, c’est que le projet pharaonique de Didier Robert tend à siphonner cette commande publique au profit d’une hypothétique route de 12 kilomètres, marché juteux pour des groupes extérieurs à La Réunion.

La route en mer siphonne la commande publique

En 2014, le chiffre d’affaires du BTP réalisé dans toute l’île sauf entre Saint-Denis et La Possession est annoncé à 1100 millions d’euro, contre 960 millions prévus pour 2015. Pendant ce temps, le chiffres d’affaires réalisé par les sociétés qui ont obtenu des marchés avec la Région pour la route en mer passera de 200 millions en 2014, à 295 millions en 2015.

Dans toute La Réunion, la commande publique des collectivités va diminuer sauf sur 12 kilomètres entre La Possession et Saint-Denis. La chute la plus spectaculaire est à mettre au crédit de la Région pour ses chantiers menés dans toute l’île. En 2014, elle a investi 389 millions d’euros et prévoit seulement 141 millions en 2015, soit une division par trois ! Les intercommunalités pensent investir deux fois moins en 2015 qu’en 2014 : 53 millions contre 117 millions. Le conseil départemental suit la même tendance : 29,3 millions au lieu de 43,7 millions. Les communes annoncent une légère diminution : 151 millions en 2015 contre 162,2 millions en 2014, tout comme les constructeurs de logements sociaux : 304 millions contre 389 millions.
Le secteur médical fait exception, avec plus de 200 millions d’euros qui doivent payer la construction d’un hôpital dont la première pierre avait été posée voici déjà plus d’un an, lors de la campagne des municipales à Saint-Paul.

Sortons de l’illusion

Pour compenser ce que les professionnels du BTP appelaient en septembre 2010 un « massacre », il n’y a que l’illusion du projet de route en mer. Au-delà de son coût faramineux, rarement projet n’a suscité une telle opposition à tous les niveaux. La protestation ne touche pas seulement les associations d’usagers des transports ou de défense de l’environnement à La Réunion, elle monte jusqu’au Conseil national de la protection de la nature qui a voté à l’unanimité contre la route en mer. Les recours sont nombreux et une enquête est même lancée pour faire la lumière sur l’attribution des marchés, avec une descente des gendarmes à la Région en prime.

L’opinion française est touchée par le scandale, avec des médias qui s’étonnent d’un tel gaspillage, tout cela à un moment décisif : la France organise à la fin de l’année la conférence internationale sur le climat. Le projet de route en mer est précisément à l’opposé de ce qu’il faut faire pour lutter contre les effets du changement climatique.
Les nouveaux élus du Conseil départemental vont-ils oeuvrer pour aider à trouver une solution à ce problème, afin que les travailleurs du BTP puissent avoir des perspectives d’avenir concrètes et pas l’illusion d’une route qui ne se fera pas ?

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Messages

  • Quelle crise ?

    L’illusion n’est elle pas de continuer à nourrir des projets avec un mode de construction dangereux pour l’équilibre vital général ?

    In http://www.arte.tv/guide/fr/046598-000/le-sable

    "(...) Alors que le sable des déserts est impropre à la construction, les groupes du bâtiment ont longtemps exploité les rivières et les carrières. Puis ils se sont tournés vers la mer, provoquant ce qui est en train de devenir une véritable bombe écologique.

    Car le sable joue un rôle essentiel dans la protection des côtes et l’équilibre des écosystèmes marins. Les conséquences de cette surexploitation apparaissent peu à peu au grand jour. Petit à petit, les appétits économiques ont grignoté au moins 75 % des plages du monde, (..)"

    Vous pouvez voir des extraits à :

    https://www.youtube.com/watch?v=FjnJrCwYd2Y


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