Budget de la mission Outre-mer

7 novembre 2007

Intervention des élus

Huguette Bello, Députée de La Réunion

« Budget d’attente de la prochaine loi-programme, budget laissant présager la disparition du Secrétariat d’État à l’Outre-mer, budget en trompe-l’œil pour masquer les diminutions de crédits : de toutes les manières possibles, il peine à répondre aux aspirations de l’Outre-mer.

Voyons d’abord l’emploi. Il connaît une transformation lourde de sens. Le secteur solidaire et l’emploi marchand se retrouvent dissociés. L’ensemble des emplois dits « aidés » sont en effet transférés au Ministère de l’économie, des finances et de l’emploi pour, dit-on, « rationaliser l’action publique ». L’objectif, certes, n’est pas contestable. Mais entreprendre ce transfert au moment même où les emplois aidés sont réduits d’un quart au niveau national, n’est-ce pas risquer de mettre à mal dans l’Outre-mer une économie solidaire dont on connaît l’importance vitale ?

Ce n’est pas tout. Nous devons nous interroger sur ce qui sous-tend la décision de transférer l’économie solidaire. Pourquoi le choix ne s’est-il pas plutôt porté sur la compensation des exonérations des cotisations patronales ? Pourquoi n’a-t-on pas renoué avec les dispositions d’avant 2005 ? Contrairement à ce qui existe au niveau national, les emplois aidés ne sont pas, à la Réunion, un appoint. Bien au contraire, ils sont une composante décisive du marché du travail. Ils procurent une activité à des milliers de personnes, ils sont un facteur de cohésion sociale, ils sont le vivier d’une bonne part des emplois pérennes de demain. Cette spécificité qui, par définition, relève du Secrétariat d’État à l’Outre-mer, pourra-t-elle encore être reconnue ? Cela commence mal puisque le transfert s’accompagne d’une diminution des crédits d’environ 20 millions d’euros et de l’abandon, contre l’avis de l’unanimité des acteurs locaux, du dispositif de congé-solidarité. Doit-on donc penser que la loi-programme ne comportera pas de mesures destinées à soutenir ce secteur ?

Le logement social, lui, fait toujours intégralement partie du budget d’Outre-mer. L’état des lieux a été dressé, il ne s’est pas amélioré magiquement. Les listes d’attente pour un logement social ne cessent de s’étirer. L’habitat insalubre refait surface. La perspective d’accéder à la propriété, même pour les classes moyennes, est de plus en plus improbable. L’État y a sa part de responsabilité : rapports parlementaires et missions de Bercy le déplorent régulièrement.

Renverser cette tendance, c’est d’abord repartir sur des bases claires. En effet, une mise au point s’impose. Les dettes accumulées par l’État, ces dernières années, à l’égard des opérateurs sociaux sont loin d’être apurées. Cet état de choses brouille les intentions du gouvernement et nous conduit à nous interroger sur l’affectation des crédits supplémentaires prévus pour 2008. L’augmentation de 25 millions d’euros servira-t-elle à engager de nouveaux programmes de construction ou seulement à éponger les dettes ? Quoi qu’il en soit, on ne peut pas parler d’une augmentation de crédits de paiement pour 2008. Avec 200 millions d’euros, ces crédits sont strictement égaux à la dotation globale de 2007.

Avec ce budget, le logement Outre-mer, une fois de plus, est renvoyé en situation d’attente. Rappelons qu’il n’a pas bénéficié des mesures du Plan Borloo de 2004, qu’il a été exclu de la loi de 2006 portant engagement national pour le logement et que le texte instituant le droit opposable au logement, s’il a programmé le nombre de logements sociaux à construire, n’a pas prévu les moyens financiers correspondants.

On nous dit aujourd’hui que nous devons attendre la loi-programme pour que la défiscalisation apporte une solution à la crise du logement social. La défiscalisation n’est pas la panacée. Au mieux sera-t-elle une source complémentaire de financement. Il serait bien hasardeux de fonder une politique de logement social sur un dispositif soumis à l’arbitrage des investisseurs privés.

La ligne budgétaire unique doit être préservée. Parce qu’il ne faut pas soumettre la production de logements sociaux aux aléas de la défiscalisation. Parce qu’il y va aussi de la bonne gestion des finances publiques : un logement social produit avec la défiscalisation coûte, en effet, presque deux fois plus cher à État qu’un logement produit avec la LBU.

Le financement du logement social Outre-mer a besoin de sécurité et de lisibilité. C’est pourquoi la programmation pluriannuelle des crédits à hauteur des besoins - comme on l’a fait pour la France continentale - est un préalable indispensable. Pour que ces crédits puissent être mobilisés, il est urgent, parallèlement à cette programmation, de réviser les paramètres de financement du logement social. Déconnectés comme ils le sont de la réalité des coûts de construction et du foncier, ainsi que des nouvelles normes réglementaires, leur niveau actuel pénalise le logement social. La mise en chantier de nouvelles constructions exige aussi que le foncier soit aménagé. Mais équiper les terrains en réseaux d’eau potable et d’assainissement a un coût que les communes sont généralement incapables d’assumer. Il est donc nécessaire de revoir du crédit FRAFU. À défaut, c’est toute la chaîne de production du logement social qui se trouvera enrayée.

LBU consolidée et lisible, paramètres de financement conformes à la réalité, foncier aménagé disponible : voilà ce que nous aurions voulu trouver dans ce budget, voilà ce que nous aimerions voir figurer en priorité dans la loi-programme. »

Pouvoir d’achat

« Comme partout en France - et sans doute plus encore qu’ailleurs - le pouvoir d’achat est une préoccupation majeure pour les ménages réunionnais. Quand toute une population déplore l’augmentation du coût de la vie, on ne peut plus ranger cette question dans les rayons de la subjectivité en prétendant qu’il s’agit d’une impression erronée.

Les prix sont particulièrement élevés à la Réunion, y compris ceux des produits de consommation courante. Les écarts avec la France continentale peuvent dépasser les 50%. Les transformations de l’appareil commercial n’ont pas sérieusement modifiée cette réalité ancienne. Dans une société où la précarité est répandue, il est facile d’imaginer les difficultés des familles.

En attendant que soient prises, au plan national, des mesures destinées à améliorer le pouvoir d’achat, je vous propose trois pistes d’action qui ont le triple mérite de dépendre principalement de votre ministère, d’être faciles à mettre en œuvre et, surtout, de mettre fin à des situations d’inégalité entre les DOM et l’Hexagone.

La première piste concerne la revalorisation de l’allocation-logement. Le forfait charges de cette allocation se situe actuellement au tiers de celui de la France continentale : il est donc très pénalisant pour les locataires d’Outre-mer. Les charges locatives réelles étant largement supérieures au forfait, le locataire doit supporter une dépense plus importante. Pour parvenir à un taux de couverture équivalent à celui existant au niveau national, il faudrait multiplier par 2,5 le montant du forfait charges actuellement en vigueur outre-mer.

La deuxième mesure concerne la carte de famille nombreuse. Depuis juin 2006, la nouvelle version offre aux familles d’au moins trois enfants des réductions sur les biens et services de la vie courante. Contrairement à sa version initiale, cette carte existe désormais dans les DOM. Mais elle ne peut profiter aux familles, faute d’accords avec les enseignes commerciales et les établissements publics. Que comptez-vous faire pour que cette carte soit réellement utile aux 43.000 familles réunionnaises qui y ont droit ?

Enfin la troisième mesure concerne la CMU complémentaire. Avec les nouvelles franchises médicales de 50 euros, se soigner coûtera encore plus cher. Cette nouvelle taxe rend donc plus urgent encore d’étendre la CMU complémentaire aux titulaires du minimum vieillesse et de l’AAH. Il suffirait pour cela de ne pas tenir compte, dans leurs ressources, du taux du forfait logement.

Ces trois mesures auront un effet direct et immédiat sur le pouvoir d’achat des Réunionnais. Je compte donc qu’elles attireront votre attention. »



Jean-Claude Fruteau, Député de La Réunion

La représentation nationale est aujourd’hui appelée à examiner le projet de budget de la mission Outre-mer : une tâche plus que délicate ! Entre les modifications de périmètres, les redéploiements de crédits entre actions, sans parler de l’étrange ballet des chiffres - + 3%, - 6,8% - entre le Secrétariat d’Etat chargé de l’Outre-mer et le Ministère du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique. Le moins que l’on puisse dire est que cette étrange opacité suscite de l’interrogation, pour ne pas dire de la suspicion.

Ce budget, selon les propres mots extraits de la note du Secrétariat d’Etat présentant le projet, « traduit les priorités du Président de la République et du Gouvernement ». Il faudrait être aveugle en effet pour ne pas y voir l’expression d’une nouvelle philosophie gouvernementale à l’égard de l’Outre-mer, philosophie qu’exprimait d’ailleurs récemment une note ministérielle : « il ne s’agit plus d’un quelconque rattrapage avec la Métropole ».
Ainsi, à l’espoir suscité par l’annonce d’une nouvelle loi programme pour l’Outre-mer, [de loi programme, je le crains, il ne restera au final que le nom] succède aujourd’hui la dure réalité budgétaire.

Comment peut-on en effet prétendre traiter la problématique de l’emploi, alors que l’Etat ne met en œuvre qu’une action publique passive à travers des mesures en direction des entreprises dont l’efficacité suscite quelques doutes - ce sont les indicateurs de performance eux-mêmes qui l’attestent !

Comment peut-on prétendre assurer la continuité territoriale, alors que les crédits alloués à cette action se situent à un niveau dérisoire, et comment accepter que l’effort financier consenti par l’Etat pour la réalisation de cet impératif de solidarité nationale soit, à La Réunion, par habitant, 60 fois moins élevé qu’en Corse ?

Comment peut-on prétendre enfin prendre à bras le corps la question du logement social, en se glorifiant d’une augmentation de 25 millions d’euros en crédits de paiement, quand on sait que le “stock de dette” antérieur de l’Etat dans ce domaine est évalué, par les services ministériels eux-mêmes, à quelque 600 millions d’euros ?

Et cependant, dans ce domaine plus encore qu’ailleurs, nous sommes face à un défi considérable. Rien qu’à La Réunion, ce sont près de 6.000 logements sociaux par an pendant 20 ans qu’il faudrait construire afin de faire face à la croissance démographique et aux besoins de la population, alors qu’à l’heure actuelle, nous en livrons péniblement le tiers.
C’est donc un effort colossal, à la hauteur du défi à relever, que nous sommes en droit d’attendre de l’Etat.

Un budget, Monsieur le Ministre, est l’expression d’une volonté politique.
Celui que vous nous présentez ne fait, hélas, que traduire en chiffres le discours gouvernemental actuel sur l’Outre-mer, un discours où il n’est question que de franchises, de défiscalisations et d’exonérations.
Certes, ces leviers d’action économique peuvent montrer leur utilité, mais ils ne doivent pas constituer l’instrument unique de l’action de l’Etat. Dans le cas contraire, en effet, le risque est grand de voir l’Etat se transformer en un intervenant passif, tributaire du bon vouloir des investisseurs privés auxquels il aura finalement transféré toutes les commandes ! C’est peut-être le choix politique qui dicte l’action du Gouvernement, mais c’est tout le contraire d’une politique volontariste.

Voyez-vous, Monsieur le Ministre, lorsque toutes les semaines, dans ma circonscription, je rencontre des Réunionnais, ils ne me parlent ni d’exonérations, ni de zones franches. Ils me confient leurs difficultés dans la recherche d’emploi, ils évoquent leur impossibilité à se loger, ils me parlent surtout de l’augmentation vertigineuse des prix qui ampute gravement un pouvoir d’achat déjà très faible.

Voilà, Monsieur le Ministre, quelles sont les préoccupations de nos compatriotes d’Outre-mer ! C’est dire à quel point ce budget se trompe de cible : il ne correspond ni aux enjeux et aux défis de l’Outre-mer, ni aux attentes et aux besoins de ses populations, et c’est pourquoi, je ne le voterai pas !



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