Graziella Leveneur

Contribution pour une politique agricole à La Réunion

13 janvier 2007

Depuis le 1er janvier 2005, le Département de La Réunion est la seule collectivité référence sur les questions agricoles animales et végétales. Il cofinance l’organisme de développement qu’est la Chambre d’Agriculture. Graziella Leveneur, Conseillère Générale de l’Alliance, apporte sa contribution au débat qui anime la société réunionnaise à l’approche des prochaines élections à la Chambre d’agriculture.

Quel est l’impact de l’agriculture sur l’emploi ?

- L’impact est positif puisque les emplois directs agricoles s’élèvent à environ 14.000 équivalents temps plein soit 8% de l’emploi total de l’île (6% d’actifs familiaux, 1% de salariés permanents et 1% de travailleurs temporaires) alors que l’agriculture ne participe qu’à 3% du PIB. Les porteurs d’un projet politique agricole à La Réunion doivent se fixer pour objectif d’augmenter cet impact en investissant, entre autres, sur la recherche, les filières créatrices d’emploi, la quête de nouveaux marchés ; leur responsabilité est, dans les années qui viennent, d’effectuer le passage d’une agriculture dont l’objectif premier était la productivité et la quantité de sucre produit, vers une agriculture multifonctionnelle, de qualité, professionnelle... qui reste largement à construire !

Quelle est la place des femmes ?

- Sur les 9.400 chefs et co-exploitants, 1.300 sont des femmes. Il est donc important qu’elles soient présentes dans les instances de représentation du monde agricole.

Quel est le bilan que vous faites ? Que pensez-vous de la politique agricole qui a été menée jusqu’à présent ?

- Je constate, comme tout un chacun, que les efforts pour lutter contre la diminution des terres agricoles sont récents : en effet, environ 12% des surfaces agricoles ont été perdues de 1989 à 2000. Il ne faut pas oublier que 600 hectares de terres agricoles disparaissaient chaque année au début des années 90 et que, seulement depuis l’année 2000, la surface agricole a fini par se stabiliser autour de 44.000 hectares.
Je constate aussi que depuis une vingtaine d’années, le nombre des exploitations agricoles est en constante diminution, que les petites exploitations de moins de 3 hectares n’ont cessé de disparaître, qu’ainsi, entre 1989 et 2000, un tiers des exploitants agricoles ont cessé leurs activités et que, par conséquent, la politique agricole, telle qu’elle a été menée, n’a pas été favorable aux plus faibles exploitants
Je constate également des écarts importants de revenus : l’EBE (Excédent Brut d’Exploitation) varie dans de très larges proportions, et va d’une valeur inférieure à un équivalent SMIC à une valeur supérieure à une dizaine d’équivalent SMIC
La persistance d’inégalités, sans doute héritées de la période coloniale, est visible non seulement dans les écarts de revenus mais aussi dans la répartition de la SAU ( la surface agricole utilisée) : actuellement 150 exploitants possèdent presque autant de terres que 5400 autres : ces 5 400 petites exploitations de 4 hectares occupent 7 500 hectares soit 18 % de la Surface Agricole Utilisée alors que le groupe des grandes exploitations, celles de 15 hectares et plus pour la canne, qui ne compte pourtant que 150 exploitants, occupe 6 500 hectares et possède donc 15% de la SAU. .

Quels sont les défis auxquels est confronté le monde agricole ?

- Il y en a plusieurs, en premier l’augmentation de la population, nous aurons 865.000 habitants en 2015 et l’augmentation corrélative des besoins alimentaires de la population. La concurrence exercée par les importations contre les productions de diversification en progression localement est un défi. Un autre défi à relever est celui de la pression foncière, la pression urbaine, qui contribueront à élever le prix du foncier et à exacerber le mitage des terres. L’agriculture réunionnaise aura besoin d’environ 50.000 hectares dans 15 ans, l’augmentation nécessaire de la SAU est estimée à 7.000 hectares. Les besoins sont estimés à un total de 30.000 hectares pour la filière canne, à 3.500 hectares de plus pour la filière d’élevage, à 800 hectares supplémentaires pour les fruits, légumes et autres productions végétales hors canne. Il faudra pour répondre à ces besoins non seulement une protection forte de l’espace agricole mais aussi améliorer le foncier agricole en se fixant pour objectif 6.000 ha d’épierrage pour la période 2007-2020 et la création de voiries rurales de l’ordre de 20 à 30 Km par an, tout en récupérant des terres en friches.

Vous parliez de la faiblesse des revenus de certains agriculteurs ? Qu’en est-il plus précisément ?

- Pour une exploitation moyenne de 7 ha en monoculture canne, les revenus vont de 0.75 SMIC en zone difficile de bas rendement à 1.5 SMIC en système irrigué. Pour arriver à 2 SMIC par exploitation, il faut au moins 9 ha en système irrigué sinon 16 hectares en système pluvial. Le revenu est fonction de la surface et de l’équipement de la zone. Comme à La Réunion, l’exploitation cannière moyenne a une superficie de 5.5 hectares, par conséquent les revenus dégagés sur cette superficie en monoculture canne ne suffisent pas pour les familles des petits et moyens exploitants
La faiblesse de leurs revenus empêche le recours à la main d’œuvre salariée : Il y a l’impossibilité pour ces petits planteurs de recourir à la main d’œuvre salariée à cause de la faiblesse de leurs revenus et parfois parce qu’ils sont endettés car en phase d’installation et donc durant toute la période de démarrage ils sont obligés de compter sur leurs propres forces : la coupe doit alors être assurée par la main d’œuvre familiale donc au prix d’une lourde charge de travail dans les petites exploitations.
Pour augmenter le revenu de l’exploitation, les exploitants et souvent les femmes d’exploitants ajoutent et exercent une activité supplémentaire sur l’exploitation en y insérant par exemple une table d’hôte ou encore un atelier d’engraissement (c’est-à-dire en élevant des taurillons : avec 20 taurillons il est possible alors d’atteindre le niveau de 1.5 ou 2 SMIC)

Est-ce que les exploitations qui obtiennent les meilleurs résultats économiques sont les grandes exploitations cannières ?

- Non, ce sont les systèmes d’élevage et d’horticulture dont certains sont fortement diversifiés. Par contre, les grandes exploitations ont des rentes de situation : près d’un tiers des aides est attribué à 10% des exploitations cannières livrant plus de 700 tonnes : le dispositif d’aide étant couplé au volume produit d’où une course à l’intensification qui du reste peut nuire à l’environnement

Les subventions sont donc inégalement réparties ?

- On peut en effet constater qu’elles sont en quelque sorte “accaparées” par la canne à sucre qui absorbe 80% des subventions, les 20% restant allant essentiellement à l’élevage et par les plus gros exploitants : dans la mesure où u comme je le disais précédemment, un tiers des aides est attribué à 10% des exploitations cannières livrant plus de 700 tonnes.

Un exploitant sur 2 cultive la canne alors comment faire pour maintenir et accroître le revenu de ces petits ou moyens planteurs de cannes ?

- J’ajouterai à votre question, comment faire dans un contexte d’augmentation des coûts et de stagnation du prix de la canne ? Il faut que soit poursuivi l’objectif de 2.500.000 tonnes de cannes susceptible de permettre à chaque planteur d’atteindre un revenu équivalent à 2 SMIC par exploitation or on constate la stabilisation de la production cannière à 1.850.000 tonnes en moyenne depuis 5 ans. De plus, il faut que l’effort d’aide à la diversification qui concerne déjà 40% des exploitations cannières de plus de 4 hectares soit intensifié et dirigé vers les plus faibles exploitants. Par ailleurs, il faut que soient développées la mécanisation et l’irrigation qui permet des gains en revenu (en diminuant les besoins en main d’œuvre dont le coût devrait continuer d’augmenter d’ici à 2015) et en productivité (en libérant du temps pour l’agriculteur). Il nous faudra passer de 7.000 ha de cannes irrigués actuellement à 14.000 ha à terme et aider les agriculteurs à l’acquisition de matériels informatiques pour l’irrigation.
Et aussi construire des retenues d’eau : 20 par an de 2000 m3 ! La tâche est immense mais à mon avis, la préoccupation première de la politique agricole réunionnaise doit porter sur l’augmentation des revenus des exploitants, il est donc indispensable que tout soit mis en œuvre pour assurer une vie digne et une retraite digne aux femmes et hommes qui travaillent dans le secteur agricole, la dignité c’est aussi le logement : on évalue les besoins dans ce domaine pour les familles d’agriculteurs à 1.000 logements à construire de 2007 à 2015 ! sans négliger la nécessité de mettre aux normes et rénover les bâtiments d’exploitation !


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Messages

  • Enfin une vision du quotidien des agriculteurs et agricultrices comprise par une responsable politique. Mme LEVENEUR a saisie les attentes du monde agricole d’aujourdhui et de demain. Maintenant nous devons passer de la théorie a la pratique, cette vision du Conseil Géneral doit etre communiquée a l’ensemble de la population Réuonnaise afin que chaque citoyen participe a l’élaboration d’une Agriculture Réuonnaise forte d’une identitée culture et social qui peut s’affirmer face a la Mondialisation et l’uniformitée d’une pensée unique.

  • cet article invite à d’autres questions : serait-ce la canne à sucre et donc les industriels du sucre qui font la politique agricole ? En fixant un quota de production de plus en plus important, en réclamant de plus en plus de terre pour la canne, en étant les principaux bénéficiaires de subventions, est-ce qu’ils n’empêchent pas cette agriculture multifonctionnelle d’exister ?


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