Quel avenir pour les collectivités locales de La Réunion ? - 3 -

De la société de plantation à la société de consommation : la transition ratée

11 août 2005

Après une description diachronique de l’évolution du rôle des collectivités dans l’économie de l’île depuis 1946 (1) et une analyse de la structure budgétaire des collectivités locales (2), le rapport d’Amine Valy propose une synthèse et quelques visées prospectives sur la situation des collectivités locales. Cette question concerne de près l’avenir de la démocratie locale et, à l’heure où le gouvernement se propose de mettre en œuvre une nouvelle phase de la décentralisation, il faut se demander dans quel état notre île aborde cette nouvelle étape de son histoire administrative.

L’étude d’Amine Valy met d’emblée le doigt sur ce qu’il considère être une situation "relativement inquiétante au regard des enjeux de développement de l’île pour les prochaines années (gestion de l’accroissement démographique, rattrapage structurel des équipements de base, emplois...)".
Avec les éléments mis en relief dans la 2ème partie - faiblesse de l’épargne, faiblesse des investissements et fragilité des recettes de fonctionnement -, comment les communes pourraient-elles jouer le rôle de “locomotive de la démocratie locale” ? Au moment de construire la synthèse, l’auteur reprend les principaux éléments qui ont jalonné les étapes antérieures : en particulier, le déséquilibre budgétaire permanent et la dépendance vis-à-vis des autres collectivités et de l’État.
"Ces caractéristiques des communes sont aujourd’hui devenues structurelles. Ce qui signifie que, seule une réforme en profondeur du mode de fonctionnement de nos collectivités, pourra faire évoluer la situation financière des communes", estime Amine Valy.
La synthèse qu’il propose est donc aussi une invitation au débat sur le contenu de la réforme à proposer. Il est ouvert avec un éclairage sur le rôle des communes et celui de l’intercommunalité.
L’auteur donne à l’intercommunalité une appréciation mitigée, qui demanderait à être approfondie. En effet, s’il admet que l’intercommunalité permet, sous certaines conditions, de réaliser "des économies d’échelle et une structuration cohérente du territoire", il ajoute que cette conception de l’organisation administrative du territoire "est encore inadaptée à La Réunion".
Tout dépend si l’on met en œuvre l’intercommunalité comme une façon de consolider - par la mutualisation, les économies d’échelle - ce "socle de la démocratie locale" que sont les communes, ou si on la considère comme "un palliatif aux difficultés rencontrées par les communes". En faisant observer que "les transferts financiers de l’État sont (...) plus favorables aux EPCI qu’aux communes", Amine Valy semble estimer que l’approche actuelle du pouvoir central est plutôt celle du “palliatif” - d’où ses réserves et le constat que, si elle est poursuivie sur sa lancée actuelle, "l’intercommunalité ne sera “qu’un plâtre sur une jambe de bois”". C’est tout de même faire peu de cas de ce que l’intercommunalité a apporté comme amélioration à la gestion communale depuis vingt ans.
La clé demeure, pour l’auteur, la réforme de la gestion communale. "Sur ce plan - note-t-il à la suite - le projet de réforme de la décentralisation n’apporte pas de solution satisfaisante". À son avis parce que, si les communes, “réceptacles” des projets économiques et urbains, n’obtiennent pas de la décentralisation les compétences et les moyens qui les mettraient en situation de répondre à leurs besoins de développement des infrastructures de base, elles ne pourront pas abonder les financements départementaux, régionaux ou européens. "On risque dans l’avenir d’assister au rapatriement de crédits non utilisés comme cela commence déjà à se produire aujourd’hui", conclut-il sur ce point.

Une transition “freinée”

D’un point de vue historique, l’auteur explique que la situation actuelle des communes est très largement tributaire de la “transition ratée” entre société de plantation et société de consommation. Amine Valy appelle cela "l’externalisation des coûts sociaux de la société de plantation vers les collectivités locales et vers l’État". Cette "externalisation" est toutefois inscrite dans la loi de 1946 et, si l’on peut suivre l’auteur lorsqu’il explique que les maîtres de la société de plantation ont tout fait, entre 1946 et 1965, pour freiner la transition, il semble que ceux-ci ne peuvent pas être tenus pour seuls responsables.
En effet, la loi de 1946, en prononçant l’acte de décès du système colonial selon une voie très originale de décolonisation, demandait à l’État français de contribuer pour sa part à impulser la mise en place d’une société moins "totalisante" et plus démocratique - ou rêvée comme telle par les porteurs de la loi. Or les autorités centrales ont freiné au moins autant que les gros propriétaires terriens - leurs alliés historiques - rechignant à assumer leur part de responsabilité dans cette construction nouvelle.
Cet aspect politique dans la “transition ratée” n’est pas pris en compte dans l’étude. On en arrive à la conclusion que "les élus locaux [sont aujourd’hui] dans une impasse budgétaire et politique", ce qui est hélas rigoureusement exact, sans avoir cerné toutes les responsabilités politiques dans cet état de fait structurel.
Et ce n’est pas l’évocation du rapport Laffineur (septembre 2003) - qualifiant de "buvard social" le rôle joué par les collectivités locales dans la gestion du chômage et de la précarité - qui pourrait rassurer les acteurs des collectivités locales. On peut se demander toutefois si l’autorité d’un député UMP est la mieux choisie pour fustiger la “précarité” des emplois dans la fonction publique territoriale des DOM...
À propos de la faiblesse du potentiel fiscal, l’auteur note qu’il est compensé par l’octroi de mer et le fonds de compensation de la TVA (FCTVA), qui est une dotation indirecte de l’État (55 millions d’euros en 2003). L’auteur cite des analystes (rapports d’information de l’Assemblée nationale) selon lesquels "c’est le poids de la dépense qui handicape les collectivités d’Outre-mer et non pas la faiblesse des recettes fiscales". C’est une façon de voir : mais le tableau comparatif de la structure des recettes de fonctionnement dans les quatre DOM montre que La Réunion dispose de recettes anormalement basses par rapport à sa taille et à sa population relatives. Alors que La Réunion représente 42,4% des habitants des DOM, les impôts locaux y “pèsent” pour moins de 25% du total DOM - inférieurs à ceux de la Guadeloupe !
Les autres impôts et taxes (dont l’octroi de mer) - 18% de l’ensemble des DOM, à La Réunion - sont inférieurs de plus de la moitié de ce qu’ils sont en Martinique. Et en ce qui concerne les dotations de l’État, celles allouées à La Réunion - inférieures aux dotations de la Guadeloupe et de la Guyane - semblent comparativement très faibles (moins du quart des dotations DOM).

Moderniser le secteur public

Cette partie analytique et prospective conclut sur l’impérieuse priorité d’une "modernisation du secteur public" outre-mer, tout en indiquant qu’"il est fondamental de ne pas confondre secteur public et fonction publique". Cette modernisation se ramène pour l’essentiel à trois grandes mesures.
La première est un découpage des communes, qui permettrait de dynamiser leur gestion et de rendre du coup plus efficace l’intercommunalité. "Une organisation administrative fondée sur 50 communes n’est pas irréaliste", écrit l’auteur en rappelant que notre île pourrait compter un million d’habitants dans quinze ans. Avec 24 communes actuellement, La Réunion se situe juste devant la Guyane (22 communes, pour moins de 160.000 habitants) et derrière la Guadeloupe et la Martinique (34 communes chacune, pour respectivement 422.000 et 381.000 habitants).
Une autre proposition est de dissocier la gestion des collectivités et la "gestion sociale du chômage". Enfin, la troisième consisterait à rendre aux collectivités locales la maîtrise de leurs dépenses de fonctionnement et de rééquilibrer la structure financière globale au profit des investissements.
Ces propositions correspondent à une vision des collectivités locales comme moteur de la croissance interne de l’économie et de l’efficacité des facteurs de production. Cette vision se refuse à "opposer économie marchande et non marchande, secteurs public et privé" et propose de restaurer (ou instaurer) de nouveaux équilibres entre ces deux derniers.
Rédigé moins de trois ans après le débat faussé sur la “bidep”, ce rapport se conclut par un avertissement : "Ramener et réduire cette réforme à des débats d’ordre institutionnel et idéologique reviendrait à compromettre pour longtemps le développement de l’île".

P. David


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