Un nouveau secrétaire d’Etat en visite

Des réponses sont attendues

29 mars 2008

Les perspectives de développement, les grands projets structurants, l’horizon « audacieux » d’une “Réunion 2030”... : c’est un secrétaire d’Etat enthousiaste qui entre en fonction à La Réunion. Mais ne nous y trompons pas, l’ordre du jour reste la LOPOM, et le discours poli(ti)ssé d’Yves Jégo ne parvient pas à tarir les inquiétudes locales. Brigitte Girardin aussi nous avait promis que personne ne resterait « sur le bord du chemin » !

Face à Yves Jégo, jeudi soir à la Préfecture, une cinquantaine d’acteurs locaux (politiques, économiques, institutionnels) écoutent avec attention. Les visages sont graves, les enjeux majeurs. Manquent toujours à l’appel les “gro kèr” de la droite qui ruminent dans leur coin, à l’ombre de la place publique où se jouent les grands dossiers de l’île.

« La rue Oudinot vous attend »

« Il n’y a que les gens qui ne se parlent pas qui ne trouvent pas de solution », soulignera Yves Jégo, insistant encore sur son entière disponibilité au dialogue (spéciale dédicace à son "ex" famille politique). « La rue Oudinot vous attend », « les portes sont ouvertes »... : fidèle allié de Nicolas Sarkozy, il multiplie les appels à la concertation, attentif aux préoccupations de chacun, à l’ouverture, en somme. Il maîtrise son discours. Néanmoins, les marges de manœuvres sont restreintes.
Si le secrétaire d’Etat s’engage à réfléchir sur le retrait, inopiné, de l’agro-nutrition des secteurs prioritaires des Zones Franches Globales d’Activités, à recevoir les représentants des Chambres de Commerce, d’Agriculture et de Métiers en aparté le 17 avril à Paris, eux qui plaident pour une intégration de leurs secteurs dans la dynamique économique annoncée, à confier encore à son « ami » Virapoullé, rejoint par Patrick Lebreton, maire PS de Saint-Joseph, une mission "espéciale" pour réfléchir aux moyens d’intégrer les zones rurales enclavées dans cette dynamique de développement, reste que le budget, laconique sur ses bases et perspectives, est acté : Yves Jégo s’engage à respecter ce solde positif de 100 millions d’euros par rapport à la loi antérieure, sorti de on ne sait où par le Ministère de l’Outre-mer. Sur quelle base ? A partir de quel bilan chiffré des mesures et de leurs effets ? « On veut la transparence sur les chiffres. Il n’y aura pas de tour de passe-passe », entendra encore Yves Jégo, rejoint en ce sens par Pierre Vergès, qui souligne la nécessité d’avoir tous les éléments financiers en main pour démontrer que l’Etat ne se défausse pas.

« Nous devons être économes des deniers publics »

Mais la question financière n’est pas le seul item de cette loi qui suscite « beaucoup de questions, d’interrogations sur le dispositif », comme le souligne encore le bien briefé Yves Jégo. Si l’on adhère à l’objectif énoncé de favoriser le « développement économique et l’excellence outre-mer », la politique du « recentrage des fonds pour plus d’efficacité » plane comme une menace. C’est peut-être parce que cette même prérogative va conduire à la suppression massive de postes d’enseignants, à la remise en cause du service public, du droit du travail...?
Même à près de 10.000 kilomètres, l’on n’est pas exempt des effets directs de la politique nationale, bien au contraire, nous en sommes le tragique laboratoire exilé, avec tous les paradoxes que cela induit : retard chronique concilié à restriction budgétaire.
La Réunion a bien compris que « les finances de l’Etat s’épuisent, comme l’a rappelé Yves Jégo. Ce qui ne veut pas dire qu’on ne dépense plus, mais que l’on dépense bien ».
Miser sur le logement social suffit-il à attester de cette logique ? On prend ici le secteur qui, en termes de productions, souffre d’un retard considérable, avec les préjudices sociaux qui s’en accompagnent. Comment peut-on aller à l’encontre de cette priorité ? Mais la productivité répond-elle à l’impératif conjoint de qualité ? La pérennité et la cohérence des mesures en faveur du logement social sont-elles assurées quand, après des années de désengagement, l’on brandit l’intérêt général comme une évidence, un mea culpa, dans une société insulaire en mouvement ? Le secteur ciblé est plus qu’opportun, mais assurer d’une croissance de la production de logements sociaux de 50% en 2009 n’est-il pas plus qu’ambitieux, risqué, voire démagogique ?

D’autres outils, mais lesquels ?

« Personne ne sera oublié », soutenait Yves Jégo face à l’assemblée présente jeudi soir à la Préfecture, maintenant quelques minutes auparavant, sur les ondes d’Antenne Réunion, que « tout n’est pas possible pour tout le monde ». La LOPOM ne serait qu’un outil parmi d’autres, mais quels sont-ils, ces autres ? Pour quels secteurs, dans quels délais et pour répondre à quels objectifs ? Rassurons-nous, la LOPOM est « une étape importante, la déclinaison du projet présidentiel qui veut rendre plus efficaces les financements, mais ce n’est pas l’alpha et l’oméga de la politique outre-mer ».
Et si les acteurs s’inquiètent, c’est bien normal, ils sont empreints des angoisses de la mondialisation, dit aussi notre ministre. Mais ce n’est pas d’ambition dont La Réunion manque, sans quoi, elle ne serait pas source d’autant de promesses pour la Métropole, c’est bien de crédibilité en termes d’écoute et des crédits qui l’accompagnent. Car, ne soyons pas dupes, recentrage ou reciblage des fonds, au-delà des intentions, la mise a son enjeu. Le développement endogène ne se construira pas seul, car même en fédérant les responsabilités, se posera toujours la question des moyens. Projet pérenne ? Crédibilité des acteurs qui le portent ? sont les vraies questions. Le rassemblement des forces vives au sein du Conseil général est encore un élément de réponse.

Stéphanie Longeras


Réactions

• Jean-Yves Minatchy, Président de la Chambre d’Agriculture

« ... que l’agriculture soit prise en compte dans la Loi programme »

Jean-Yves Minatchy dit ne pas comprendre que le secteur agricole ait été de la sorte exclu des dispositifs de la LOPOM, sachant que Christian Estrosi, le prédécesseur de Yves Jégo, avait soutenu, lors de son passage à La Réunion, l’intégration du secteur dans les Zones Franches Globales d’Activités. Une garantie prématurée, à l’évidence.
Et le président de la Chambre de Commerce de rappeler que le sucre constitue plus de 80% des exportations, que la filière fruits et légumes sert à plus de 80% le marché local ou encore qu’un chef d’entreprise sur 3 est un agriculteur. « L’agriculture est un secteur économique très important qui rejoint les questions de l’aménagement du territoire, de l’environnement, du social ou encore du tourisme. Il a un rôle important dans l’économie réunionnaise. Le gouvernement doit tenir compte de ces éléments ». C’est ce que défendait encore hier soir Jean-Yves Minatchy à l’un des responsables du cabinet du secrétaire d’Etat avec lequel il s’est entretenu en aparté après l’intervention de Yves Jégo. « On attend que l’agriculture, comme Estrosi l’a dit, soit prise en compte dans la Loi programme », défend Jean-Yves Minatchy, qui plaidera à nouveau ce dossier le 17 avril à Paris. Un secteur à pérenniser, à développer, mais aussi à protéger face aux menaces que constituent les APE et l’ouverture à la concurrence extérieure pour le marché local. « Si on a pas de garanties pour consolider l’agriculture, les filières végétales et animales, l’ouverture aux marchés voisins va causer de gros dégâts ».

• Eric Magamootoo, Président de la Chambre de Commerce et d’Industrie

« Il n’y a pas que la Loi programme »

Le président de la CCI sera lui aussi le 17 avril aux côtés de ses homologues des Chambres d’Agriculture, de Métiers et de l’Artisanat pour défendre la prise en compte du petit commerce particulièrement fragilisé par la concurrence des grandes surfaces. Il ne reste pas fermé à des soutiens et mesures fiscales autres que la LOPOM. « Au-delà, il faut construire un véritable projet sur le développement du commerce de proximité, tant dans les modalités que dans les applications concrètes ». « Il n’y a pas que la Loi programme », défend encore le président de la CCI, qui ne s’ancre pas sur cet aparté parisien. « Je ne suis pas là pour défendre que le commerce, mais dois répondre aux aspirations de l’économie réunionnaise, décrocher un point de croissance supplémentaire ».

• Philippe Jean-Pierre, Directeur de l’Agorah

« Le social n’est pas une variable d’ajustement »

Comment interprète-t-il la déclaration de Michèle Alliot-Marie qui, mardi, soutenait face aux membres du CES qu’« il appartient au gouvernement de développer l’offre foncière » ? L’économiste reste lui aussi circonspect ! « Le pouvoir foncier est essentiellement communal, rappelle-t-il. L’Etat peut être un facilitateur par le biais de prêts aux opérateurs facilités. On peut encore envisager de modifier un certain nombre de règles d’urbanisme pour rendre accessible, optimiser le foncier, mais le foncier est essentiellement sous l’autorité communale ». Ceci étant rappelé, comme l’appel de Yves Jégo aux maires de l’île, c’est l’économiste que nous interpellons cette fois sur le basculement de la défiscalisation du logement intermédiaire au logement social. « La première réflexion est que ce n’est pas le même produit, donc qu’ils ne sont pas substituables ni en termes de produits, ni en termes de commercialisation. Pour que la substitution corresponde, il faut des aides fiscales à la hauteur des enjeux et des risques. La deuxième réflexion qui me vient est : Attention ! On va bouger un marché, toucher à un dispositif acclimaté depuis 20 ans. Cela ne signifie pas qu’il ne faut rien faire, mais faire en tenant compte d’un certain nombre d’effets induits par la défiscalisation et qui participent au développement durable. Corriger ne signifie pas faire brutalement. Pour convaincre les opérateurs privés de financer du logement social qui représente un risque de détérioration accru, il faut adapter le processus et assurer sa pérennité. Il faut réfléchir à la durabilité du processus. Qui dit social ne doit pas signifier défiscalisation de bas niveau. Le social n’est pas une variable d’ajustement où l’on met dans social tout et n’importe quoi. L’ambition doit être là : faire des logements agréables à vivre, en rupture avec ceux qui se faisaient il y a 30 ans, qui prennent en compte l’aménagement du territoire, la mixité, les questions environnementales, la modernisation attendue du logement social ».
Alors, lorsque Yves Jégo affiche un objectif d’augmenter de 50% d’ici 2009 la production de logements sociaux, Philippe Jean-Pierre se prévaut plus raisonnable et préfère éventuellement tabler sur 20% afin de favoriser une mise en exécution progressive et non une emballée tout crin qui, en cas de moindre échec, risquerait de dissuader les investisseurs.

• Jean-Marie Lebouvellec, Président de la FRBTP

Pour une progressivité accrue

S’il se satisfait de la suppression des effets de seuil de la loi précédente (voir "Témoignages" de jeudi) qui ont, selon lui : « déstructuré le secteur en favorisant la multiplication des petites structures, affaibli la capacité de construire de façon autonome et amené une concurrence déloyale », en revanche, la suppression des mesures de défiscalisation sur le logement intermédiaire et privé (sauf pour les primo-accédants) ronge Jean-Marie Lebouvellec : « J’ai bien entendu le ministre quand il dit qu’il n’y aura pas de changement brutal, car on ne casse pas une machine qui marche, mais... ». Mais voilà, cette transition représente un risque de 8.000 suppressions d’emplois, a déjà calculé le président de la FRBTP, qui ne dit pas, en revanche, le manque à gagner pour la profession, pour qui il a toujours été plus rentable d’investir dans le privé que dans le social.
Ce n’est pas un secret. Il prône une progressivité accrue, estimant que le foncier aménageable n’est pas là et qu’il faudra adapter aussi les modèles de constructions aux attentes et au déficits : « Une telle mutation ne se fait pas du jour au lendemain ». Le secteur va encore défendre auprès du gouvernement la mise en place de mesures de défiscalisation qui permettent un glissement du logement libre et intermédiaire au social. On pourrait maintenir ces mesures si les logements étaient assujettis à des conditions d’énergies renouvelables, cela répondrait parfaitement aux objectifs du projet “Réunion 2030”. Et pour désengorger le parc locatif social, il faut encore produire de l’intermédiaire. Donc, pas de brutalité. La loi aura réussi quand le secteur sera passé de 24 à 30.000 salariés. Qu’on ne casse pas une branche qui fonctionne. Alors que l’on commence à enregistrer une baisse des loyers, il ne faudrait pas que la rareté du locatif intermédiaire suscite une nouvelle hausse.

• Pierre Vergès, Président de Ile Réunion Tourisme
Objectif : « réussir le développement durable »

« C’est bien évidemment une excellente chose que le tourisme soit inscrit parmi les secteurs prioritaires des ZFGA. Mais comment cet appui va-t-il concrètement se traduire ? ».
Selon Pierre Vergès, l’intérêt d’une intégration à la ZFGA est qu’il n’y a pas de contrainte territoriale et que les perspectives d’implantations vont au-delà du dispositif financier. « Il faut réfléchir aux dispositifs légaux et réglementaires qui permettront de concilier intérêt économique et nécessaire protection de l’environnement. Avant, on imaginait ce que peut apporter l’Etat, mais La Réunion a fait montre de développer des outils tels que la Réserve marine, le Parc national. L’objectif est de réussir le développement durable pour peu que les contraintes soient appréciées », confie-t-il.
Et de défendre ainsi qu’il est impératif que la LOPOM ne constitue pas des mesures globalisantes à l’échelle des DOM, mais que les spécificités de chaque territoire soient prises en compte. « C’est à ce prix que le “projet Réunion 2030” aura un sens. A nous de faire des propositions tenant compte des problèmes sociaux qui peuvent faire obstacle. A l’ensemble des acteurs encore de faire pression, en tenant compte des schémas structurants, pour optimiser les capacités foncières, avec la préoccupation du développement économique sans jamais délaisser celui de l’humain et de son épanouissement ».

SL

LODEOM - Loi d’orientation pour le développement de l’Outre-mer

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