Lutte contre le chômage et pour le droit d’être respecté dans son pays

Droit des Réunionnais à travailler à La Réunion : l’exemple de la Kanaky-Nouvelle Calédonie

12 octobre 2020, par Manuel Marchal

Pour que La Réunion et d’autres pays ne soient plus des territoires où l’emploi des autochtones dans le pays n’est pas une priorité, il est possible d’agir tout en restant dans le cadre de la République. C’est ce que montrent les avancées obtenues par la Kanaky-Nouvelle Calédonie dans son processus d’indépendance. La France reconnaît dans sa Constitution le droit pour les habitants du pays de décider de leur politique de l’emploi. C’est pourquoi une durée minimale de résidence est imposée afin de casser les réseaux qui favorisent l’emploi des nouveaux arrivants au détriment de la jeunesse du pays.

Les 8 et 9 octobre derniers s’est déroulé le Salon de Paris pour l’emploi. Comme tous les ans, un pavillon regroupait des sociétés qui recrutent pour des postes dans les anciennes colonies intégrées à la République. Force est de constater que parmi ces pays, ceux ayant le statut de département d’outre-mer sont ceux où le taux de chômage est le plus élevé. Ce problème résulte de la volonté du pouvoir parisien de ne pas accompagner le développement de ces pays, mais de s’en servir comme point d’appui stratégique au prix du maintien d’une certaine paix sociale, afin d’empêcher tout mouvement social d’ampleur de remettre en cause un système qui rejette la moitié de la population dans la pauvreté.
Dans notre île, l’organisation d’une telle manifestation n’a pas semblé soulevé de protestations alors que la question de l’emploi des Réunionnais à La Réunion est le problème numéro un depuis plus de 40 ans. Est-ce à dire que la classe politique de cette île considère normal le fait de recruter en France des personnes qui viendront à La Réunion avec un emploi garanti, alors que des Réunionnais au moins aussi compétents devront s’exiler ou accepter un emploi précaire pour échapper au chômage ? Nul doute que dans d’autres anciennes colonies de la République toujours intégrées à cet ensemble, l’idée de recruter en France pour travailler dans le pays ne passerait pas comme une lettre à la Poste.
Cette crise de l’emploi découle d’une orientation politique : au lieu de soutenir le développement d’industries s’appuyant sur les ressources et les besoins, Paris a préféré profiter de l’accroissement démographique de ces peuples à partir des années 1960 pour organiser le transfert de la main d’oeuvre la plus qualifiée vers la France afin de développer ce pays. Cette migration massive organisée a privé ces pays d’une part importante de la jeunesse, c’est-à-dire la couche la plus dynamique d’une société. Aujourd’hui, là où cette politique d’émigration vers la France a été la plus performante, les pays concernés sont confrontés à un vieillissement accéléré de leur population car les jeunes sont partis en masse. C’est le cas en Guadeloupe et en Martinique.
A La Réunion, cet exil a aussi privé La Réunion de considérables forces vives. Cet exil continue encore aujourd’hui, avec un nombre de départ de La Réunion supérieur aux arrivées.

Conséquence d’un processus d’indépendance

En Kanaky-Nouvelle Calédonie, cette politique avait pour but clairement affiché de rendre les Kanak minoritaires dans leur pays grâce à une importante immigration française avec un travail assuré pour les nouveaux arrivants. Cela aboutit à une situation d’affrontements quand la France a voulu utiliser ces immigrés pour qu’ils empêchent le retour de l’archipel à l’indépendance. Pour préserver sa présence dans le pays, la France dut céder sur un point essentiel : les nouveaux arrivants ne peuvent prétendre décider du destin de la Kanaky-Nouvelle Calédonie. En conséquence, pour voter aux élections provinciales, il faut être résident depuis 1998, et depuis 1994 pour voter aux référendums d’autodétermination. Malgré cela, les Kanak ne sont pas majoritaires dans le corps électoral spécifique à ces scrutins.
Mais la création d’un corps électoral spécifique au pays et sa reconnaissance dans la Constitution de la France entérine un fait : le processus de l’indépendance de la Kanaky-Nouvelle Calédonie est enclenchée. Pour une personne qui est arrivée depuis 1998 dans ce pays, la situation est très claire : elle ne peut pas intervenir dans les affaires politiques qui ne la concernent pas. En effet, les Provinces de Kanaky-Nouvelle Calédonie disposent d’importantes compétences. Elles ont permis d’apaiser la situation grâce au partage du pouvoir entre Kanak et Caldoches. Comme chez nos voisins ou comme en France d’ailleurs, les nouveaux arrivants ne peuvent donc pas participer aux élections décisives pour l’avenir du pays. Pour le faire, ils doivent demander et obtenir la nationalité du pays. En Kanaky-Nouvelle Calédonie, une telle demande ne pourra pas se faire avant le retour de l’archipel à l’indépendance.

Politique de l’emploi spécifique

Ce principe est souvent remis en cause par des partisans de la non-indépendance. Ces derniers viennent de subir une ultime défaite. La Cour européenne des droits de l’homme n’a même pas jugé utile de débattre du fond, jugeant irrecevable la demande de remettre en cause l’interdiction de voter des nouveaux arrivants.
Sur un territoire de la République, il existe donc d’autres droits et devoirs. Le corps électoral gelé n’est pas la seule spécificité en Kanaky-Nouvelle Calédonie, où une durée de résidence minimale est imposée avant de pouvoir rechercher un travail dans le secteur privé. Pour qu’une personne venue de France puisse postuler directement, il est nécessaire que soit prouvé l’impossibilité de trouver sur place les compétences nécessaires. Avec l’élévation du niveau de formation, il est clair qu’à terme, ces possibilités de travail assuré à l’arrivée seront toujours plus réduites.
Par ailleurs, la personne qui souhaite faire carrière dans ce pays doit avoir conscience qu’elle n’aura des droits politiques que si elle adhère au projet d’indépendance, et donc qu’elle fasse de la Kanaky-Nouvelle Calédonie un choix de vie pour elle et ses descendants en demandant la nationalité une fois que ce pays aura retrouvé son indépendance.
Tout ceci est très différent de La Réunion, alors que la Kanaky-Nouvelle Calédonie est aussi une collectivité de la République. Ceci montre que sans aller vers la totale souveraineté, il est possible au sein de la République d’obtenir des mesures spécifiques pour que les débats concernant l’avenir du pays ne soient pas pollués par des considérations importées.

M.M.

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Messages

  • Les employeurs peuvent recruter qui ils veulent sur les emplois qui relèvent exclusivement de leur responsabilité . Et si certains employeurs réunionnais préfèrent recruter des personnes venant de métropole au lieu de choisir des réunionnais ils ont sans doute de bonnes raisons et il est difficile de les en empêcher ;surtout si leurs critères de sélection sont avant tout la qualification professionnelle et le sérieux de leurs employés .

    Néanmoins la gestion des emplois dans une région où le taux de chômage est très élevé et touche plus sévèrement les jeunes , sachant que le chômage conduit souvent les hommes à la déchéance personnelle et constitue un des facteurs les plus importants de l’augmentation de la délinquance et de la désagrégation sociale , le recrutement des autochtones pour qui la migration vers la métropole ou vers l’étranger est quasiment impossible ou très difficile devrait être une obligation et même un devoir citoyen pour tous les employeurs y compris pour les employeurs publics .

    Certes , le recrutement sur les emplois publics obéissent à des règles nationales fixées par nos législateurs et par notre gouvernement, et pour la plupart des emplois publics qu’il s’agissent des emplois de l’Etat ou des collectivités territoriales ou de leurs établissement publics, le recrutement doit passer d’abord par l’organisation d’un concours accessible à toutes les personnes qui répondent aux conditions pour concourir quelques soient leur origines géographiques , et il me parait normal que ceux qui ont obtenus les meilleurs résultats soient recrutés avant les autres ; mais les responsables de l’embauche publique devraient avoir la possibilité de donner une priorité aux lauréats qui voudraient travailler dans leur régions d’origine notamment sur les emplois pour lesquels la loi ne crée pas un empêchement spécifique en raison de la nature des responsabilités exercées par les fonctionnaires en poste .( les hauts emplois de la magistrature et des finances....)

    Il en est de même pour les emplois qui relèvent des marchés publics . Les appels d’offres et les adjudications doivent bien entendu être ouverts à tout le monde , mais les attributions des marchés publics devraient être réalisées en fonction du contexte économique et privilégier les entreprises qui permettent de faire travailler le plus les autochtones en s’appuyant sur l’intérêt général de la région ou de la collectivité concernée . Cela devrait être particulièrement le cas pour la marchés de travaux publics situés au dessous de certains montants et qui ne nécessitent pas de moyens techniques exceptionnels et de compétences exceptionnelles . Et dans les cas où il faut faire appel à des entreprises internationales employant de la main d’oeuvre étrangère ou de métropole , il faudrait imposer aux bénéficiaires des marchés non seulement de sous traiter une partie de leurs travaux à des entreprises locales , mais également de s’engager à recruter un certain nombre de personnel autochtone .

    Je ne suis pas certain que les employeurs publics de la Réunion gèrent toujours les emplois qui relèvent de leur compétence ,en essayant de privilégier l’emploi des autochtones à chaque fois que cela est possible . Si c’était le cas on n’aurait certainement pas adopté le passage en mer pour la nouvelle route du littoral mais choisi un tracé qui aurait pu être réalisé par les entreprises réunionnaises et par les réunionnais qui avaient déjà montré leur capacité par la construction de la route des tamarins .

  • Je comprends parfaitement le soutien du PCR au peuple canaque ; leur spécificité de territoire et les luttes ont fait qu’ils ont acquis la situation actuelle, donc un devenir qui serait une indépendance. Statut qui n’est pas gagné, qui demande un travail en profondeur de changement de mentalité des familles canaques, celles qui récemment se sont exprimées par le "Non" et gagner les caldoches de dernière génération à faire pencher la balance. Le statut de Département de la Réunion, n’ouvre aucune opportunité au changement, aucune force politique actuellement n’est capable de proposer aux réunionnais un espace de concertation pouvant sortir des idées d’émancipation. les cris et grincements de quelques uns n’effraient pas le pouvoir centralisé même si il semblerait qu’un homme se disant "bouseux" se trouve chef de gouvernement.

  • De TOM à DOM, comme Mayotte, Kanaky à tout à y gagner : SS, FDJ, Orange, EDF, les 35H, l’Euro, le smic national, bref, la "vraie" égalité dans la République, avec les indexations de vie chère ? A voir. Pour le moment, là bas, c’est +75% à Nouméa et communes alentours (Dumbéa, Mont-Dore, Paita) et +95% pour le reste, la brousse comme on dit là bas. Par contre, côté emplois, il n’y a pas de chômage, on manque même de bras à tous les niveaux de qualifications, pour les mines de nickel, les services, le BTP,, rien à voir avec les situtations des DOM, tout est à faire, en bonne intelligence bien sur, le soucis de l’avenir des jeunes générations. Le béton à tout va, serait une folie, c’est si joli l’Océanie....comme la Réunion lontan. Arthur.


Témoignages - 80e année


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