En lisant Paul Vergès...

4 octobre 2008

Paul Vergès relève que pendant longtemps « on a dénigré la langue parlée ici et enseigné une autre langue, considérée comme la vraie langue » (’Du rêve à l’action’, page 102).

Notre langue réunionnaise reconnue dans le concert des cultures du monde.

C’est par l’ordonnance Villers-Cotterêts (1539) que le roi François 1er imposa, à la place du Latin, l’usage du Français dans les actes judiciaires et notariés, obligeant ainsi les membres du Clergé à tenir régulièrement les registres de catholicité. C’est donc un acte politique qui a donné force de loi à la langue française sur tout le territoire. Il s’agit bien d’une politique volontariste du pouvoir royal de cette époque. L’hégémonie linguistique du Latin fut contestée et jugulée à la faveur de l’utilisation du Français qui lui-même est d’origine latine. Elevé au statut de langue officielle, le Français a implicitement relégué le Latin au sein des bâtisses cléricales. A la fin du XVIIIe siècle, les pères fondateurs de la République voulaient faire de la langue française le "ciment" de la toute jeune Nation face aux divers idiomes régionaux considérés comme un péril pour l’identité nationale en construction. Avec une volonté farouche, la vision jacobine des patriotes a emporté sur celle des Girondins en ce sens que le Français fut reconnu comme seule et unique langue nationale. Tout fut alors mis en oeuvre pour éradiquer tous les particularismes régionaux qui auraient pu entraver la bonne marche de la politique d’unification linguistique de la France.
Dès lors, comment ne pas voir ici le rejet de notre langue réunionnaise par la classe dominante ? Des femmes et des hommes de la première génération de Réunionnais ont dû se cacher pour parler, chanter leur langue vernaculaire au risque d’être mis à l’index par les autorités. Le titre de "Zarboutans nout kiltir" atteste d’ailleurs des luttes permanentes des artistes et intellectuels pour préserver et transmettre notre patrimoine culturel dont la langue est un des éléments fondamentaux. Que penser de ces dénigrements récurrents du Créole qui viennent s’étaler dans certaines déclarations politiques ? N’a-t-on pas entendu, dans les années 90, une secrétaire d’Etat qualifier notre langue de « patois sympathique » ?

« Que le langage cesse de partager les hommes en deux classes »

Mais, ce serait faire fi des travaux humanistes qui ont élaboré des textes comme la loi Deixonne ( 1951) ou la Charte européenne des langues régionales et minoritaires. En effet, ce Traité prévoit la protection et la promotion des langues régionales et minoritaires. Son élaboration est justifiée, d’une part, par le respect du droit imprescriptible et universellement reconnu de pratiquer une langue régionale ou minoritaire dans la vie privée et publique et, d’autre part, par le souci de maintenir et de développer les traditions et le patrimoine culturels européens. Il contient d’abord des objectifs et principes que les Etats s’engagent à respecter pour toutes les langues régionales ou minoritaires existant sur leur territoire : respect de l’aire géographique de chacune de ces langues, nécessité d’une promotion, facilité et/ou encouragement de leur usage oral et écrit dans la vie publique et privée (par des moyens adéquats d’enseignement et d’étude, par des échanges transnationaux pour ces langues qui sont pratiqués sous une forme identique ou proche dans d’autres États). Par l’inscription des langues et cultures régionales au sein de l’Education Nationale, la République reconnaît la langue réunionnaise comme partie intégrante du patrimoine commun. Notre langue réunionnaise est enfin reconnue comme langue à part entière dans le concert des cultures du monde. Il semble alors judicieux de rappeler que, selon Condorcet, « il est important pour le maintien de l’égalité que le langage cesse de partager les hommes en deux classes ». Nous pouvons nous en féliciter.

Rémy Massain


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  • C’est avec plaisir que je lis chaque samedi votre chronique.J’y apprends beaucoup de choses sur notre île. Continuez M.MASSAIN Rémy. Dommage que ce soit que le samedi.


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