Élections régionales

Entre La Réunion et Paris : quelle confiance accorder aux politiciens du double jeu ?

5 mars 2010, par Geoffroy Géraud-Legros

Un pied à La Réunion, un pied à Paris : telle est la position classique du politicien réunionnais qui a émergé de la colonisation. Une posture qui n’est plus tenable, au regard de l’évolution des mentalités et des désirs de la population.

La nécessité d’aborder les problèmes de La Réunion sous un angle proprement réunionnais s’est aujourd’hui imposée dans le débat. Dans les rangs de la jeunesse, des voix chaque jour plus nombreuses s’élèvent pour réclamer la priorité des jeunes Réunionnais à l’embauche.
D’autre part, le scandale des prix, les contraintes qui pèsent sur l’approvisionnement en marchandises et en carburant, la prise de conscience des problèmes de l’environnement ont fait émerger les questions de l’autosuffisance alimentaire et de l’autonomie énergétique.
Or, bon nombre d’hommes politiques réunionnais, qui doivent des comptes à leurs états-majors parisiens, ont bien du mal à se mettre au diapason de cette transformation des mentalités.

Des partis-succursales

La nécessité d’une pleine participation des Réunionnais à la gestion de leurs affaires au sein de la République a d’abord été affirmée dans tous les domaines par le PCR, indépendant de Paris depuis sa fondation en 1959. Les malentendus, les contresens et incompréhensions trop souvent voulus n’ont pu empêcher l’évidence de faire son chemin, bien au-delà des rangs communistes : l’échec de l’application de modèles de société importés et l’urgence d’y apporter des solutions sont aujourd’hui largement reconnus dans notre société.
C’est cette conscience réunionnaise qui, au-delà des sensibilités politiques, est au fondement de la démarche de l’Alliance. En face, les formations classiques (PS et UMP) continuent d’être les succursales de grandes formations parisiennes mal informées des problèmes de l’Outre-mer. En conséquence, nombreux sont les hommes politiques réunionnais qui balancent sans fin entre la tentative de coller aux désirs des Réunionnais et la tentation de plaire aux états-majors parisiens — ou de les utiliser —, cette instabilité permanente donne une prime aux coups et aux aventures politiques.

Michel Vergoz se pousse en scène

On se souvient ainsi que c’est à la faveur d’un "coup d’État" interne que Michel Vergoz avait ravi la place de Premier secrétaire à Jean-Claude Fruteau, un leader historique des socialistes réunionnais. Se plaçant dans le sillage démagogique de Jean-Paul Virapoullé, le maire de Sainte-Rose avait durement attaqué le projet de bi-départementalisation, pourtant engagé et soutenu par une majorité parlementaire de Gauche et par un Gouvernement socialiste. Après avoir entretenu l’agitation au côté de la Droite, Michel Vergoz n’avait pas hésité à voter avec elle. Cette « trahison » — ces mots sont de Jean-Claude Fruteau — priva Michel Vergoz de la confiance des électeurs socialistes : en 2001, il perdait la Mairie de Sainte-Rose.
Mais peu importait, finalement, à Michel Vergoz : arrivé sur le devant de la scène par un double coup de force, politique et médiatique, l’ancien maire de Sainte-Rose mettait Paris face au fait accompli. Moyennant une courte traversée du désert, il parvint à occuper la place de tête de liste PS aux élections régionales de 2004… et à celles du 14 mars prochain.

Didier Robert claque la porte… et revient

À droite, le parcours de Didier Robert illustre caricaturalement ce jeu d’allers-retours chaotiques entre Paris et notre île. Élu presque anonyme de la commune du Tampon — il était 13ème adjoint — Didier Robert s’est en 2006 emparé de la Mairie aux dépens d’André Tien-Ah-Koon, qui avait été son “père” en politique. Devenu député-maire UMP du Tampon, il lançait l’année suivante une vaste offensive, en vue de renverser la Présidente du Conseil général, pourtant membre elle aussi de l’UMP.
Imputant l’échec de cette tentative à la Direction parisienne de son parti, Didier Robert se mit alors à dénoncer la Direction de l’UMP sur la place publique. Après avoir théâtralement déchiré leur carte de l’UMP, le député-maire du Tampon et ses amis — dont Stéphane Fouassin, Daniel Gonthier, Cyrille Hamilcaro, Jean-Louis Lagourgue — fondaient Objectif Réunion. Gonflements de jabots et de déclarations tonitruantes accompagnaient la naissance de ce nouveau mouvement : à en croire Didier Robert, Paris, c’était fini, et on allait voir ce qu’on allait voir. Ce qu’on vit surtout, c’est que quelques mois plus tard, Didier Robert ouvrait lui-même une voie d’eau dans la coque d’Objectif Réunion… en échange d’in ti plas au Conseil national de l’UMP.

Tournant historique…

Les grands mouvements sociaux de l’année dernière ont profondément modifié la donne : à La Réunion comme aux Antilles et en Guyane, ils ont exprimé à tous les niveaux un refus d’un système encore marqué par la colonisation, basé sur les bricolages au jour le jour et les « petits arrangements » avec Paris.
Surtout, l’ampleur de la mobilisation a contraint le Gouvernement à prendre en compte la réalité sociale et économique des DOM, et à formuler des propositions de développement « endogène ». Ce tournant historique aurait dû montrer que l’homme politique qui a un pied à Paris et l’autre à La Réunion appartient au passé. Or, loin d’épouser le changement des temps, ceux-ci se sont accrochés à leurs archaïsmes.

… et crispation identitaire

Ainsi, alors que Nicolas Sarkozy avait annoncé le 6 novembre une série de mesures envers l’Outre-mer, qui validaient en partie l’action de la Région dans le domaine du développement, Didier Robert, chef d’Objectif Réunion et membre dirigeant du parti présidentiel, réunissait ses troupes, et s’en prenait violemment à Paul Vergès et à son bilan… Dépourvu d’arguments et de projets propres, le député-maire du Tampon avait-il d’autre choix que de relancer la comédie du “je-t’aime-moi-non-plus” avec Paris ?
On sait quelle fin pitoyable eut cette énième “révolte” : le député-maire du Tampon se retrouva investi par le Président de la République après l’inauguration de quelques pieds de palmistes. Moins bruyante, la contradiction n’en est pas moins forte au Parti socialiste : contrastant avec un Michel Vergoz suspendu entre abstention et hostilité aux grands projets de la Région, Martine Aubry a pris fait et cause pour le tram-train, et n’a pas manqué de saluer le travail de Paul Vergès.

Comédie finale

La mascarade a atteint un sommet dans le ridicule avec les dernières gesticulations de Jean-Paul Virapoullé. Homme de l’assimilation par excellence, le sénateur, qui décrétait vouloir « graver dans le marbre de la Constitution » l’impossibilité d’adapter le statut institutionnel, assène aujourd’hui un slogan à tonalité autonomiste : « Paris i commande pa nou ». Là encore, aucun projet, aucune perspective ne fondent ce revirement : comme son ancien colistier Didier Robert, Jean-Paul Virapoullé n’est sensible qu’aux questions de placement et de classement.
Comment la population, et en particulier sa jeunesse, pourrait-elle placer sa confiance dans ceux qui, désespérément, restent suspendus entre Paris et La Réunion ?

Geoffroy Géraud-Legros

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