Discours de Elie Hoarau pour les funérailles de Paul Vergès

Hommage du Parti Communiste Réunionnais à Paul Vergès

16 novembre 2016, par Parti Communiste Réunionnais

Voici le texte du discours prononcé ce 15 novembre au cimetière paysager par Elie Hoarau, au nom du PCR.

« Madame la Ministre, Monsieur le Vice-Président du Sénat, Monsieur le Préfet, (…) Mesdames, Messieurs, Amis, Camarades, Chers Claude et Edmundo, chère Françoise, chers Pierre et Guylaine, chère Marina, sans oublier vos enfants et petits enfants.

Au-delà de l’émotion qui nous étreint toutes et tous, il m’incombe d’évoquer la mémoire de Paul Vergès.

Et c’est difficile.

Difficile tout d’abord parce que je ne puis me faire à l’idée, pourtant bien réelle, hélas, de l’absence physique de Paul.

Difficile, également, car, comment croire qu’en quelques minutes, il soit possible de rendre compte d’une vie si riche et consacrée toute entière à l’avènement d’une Réunion nouvelle.

Paul Vergès avec de fidèles camarades a été de toutes les luttes dans toute l’île pendant 60 années.

Je retiendrai d’abord de son action le fait qu’il ait été le premier à donner une conscience réunionnaise aux habitants de cette île.

Ces habitants venus de tous les coins du monde, soumis pendant des siècles à l’esclavage, à l’engagisme, à la répression coloniale ne savaient plus qui ils étaient. Paul Vergès a été le premier à leur dire « vous êtes Réunionnais et soyez fiers de l’être sans renier les origines de vos ancêtres ».

Cette déclaration de Paul Vergès a été l’acte fondateur de l’unité du peuple Réunionnais.

Tout le temps, y compris lors de la constitution du Parti Communiste Réunionnais, Paul Vergès a œuvré au rassemblement des Réunionnais et des Réunionnaises.

Cette volonté de rassembler a permis d’apaiser le climat de guerre civile qui régnait tant au Conseil Général qu’au Conseil Régional que dans les mairies.

Mais, pour les plus jeunes, il faut rappeler que, pour parvenir à cet apaisement, 30 années de luttes incessantes, de mobilisation du plus grand nombre, ont été nécessaires. De 1954 et la 1ere victoire de Quartier Français, à 1984, qui a vu la constitution d’un bureau représentatif de toutes les forces politiques au Conseil Régional, 30 années de luttes pour que des Réunionnais d’opinions différentes puissent travailler ensemble.

30 années de luttes contre les violences et la fraude électorale,

30 années de luttes pour rendre toute sa place à notre langue maternelle, le créole,

30 années de lutte pour la liberté de la presse

30 années de luttes pour permettre à chacun de se réapproprier notre culture avec le Maloya, notamment,

30 années de luttes pour rétablir le droit de chacun à la liberté de culte,

30 années de luttes pour le respect de notre dignité.

30 années de lutte pour que toutes et tous soyons fiers d’être Réunionnais.

30 années de lutte accompagnées d’une dure répression dont ont été victimes Paul Vergès lui-même et sa famille ainsi que ses camarades, ouvriers, planteurs et fonctionnaires

Toutes ces avancées ont eu lieu alors même que Paul Vergès était toujours interdit de radio et de télévision.

Durant ces 30 années, Paul Vergès s’est également préoccupé de renforcer les liens avec nos voisins de Madagascar, Comores, Maurice, Seychelles sous le mot d’ordre des Nations Unies : « Océan Indien, zone de Paix ». Grâce à cette initiative de Paul Vergès, La Réunion a pu travailler avec ceux qui devinrent par la suite les dirigeants de leur pays.

Élu député au Parlement européen, Paul Vergès en solidarité des luttes conduites par Nelson Mandela et ses camarades, obtient en 1982 qu’une Commission du Parlement Européen se rende dans les pays dits « de la zone de Front » Angola, Zambie, Zimbabwe, Mozambique et Botswana afin d’enquêter sur les agressions massives et répétées commises par l’armée Sud-Africaine à l’encontre de ces pays où les militants de l’ANC trouvaient refuge.

Porté à la direction du Conseil municipal de la ville du Port, en mars 1971, il n’a cessé de faire preuve d’imagination et de créativité anticipant sur l’avenir de la commune du Port. Maire communiste du Port, il y créera un parc religieux regroupant toutes les confessions de l’île.

A la tête de la municipalité du Port il crée avec ses camarades dirigeants d’autres municipalités la première intercommunalité à vocations multiples tant décriée par ses adversaires. Celle-ci sert pourtant aujourd’hui de modèle à toutes les communes de l’île en matière de coopération intercommunale.

S’il fallait citer toutes les innovations parties du Port et dont les Réunionnais, quelle que soit la couleur de leur municipalité, se sont appropriées, le temps qui nous est imparti n’y suffirait absolument pas.

Et certains s’interrogent sur les outils dont Paul Vergès se servait pour sans cesse innover. Il n’y a pourtant aucun mystère disait-il chacun de nous dispose de l’outil essentiel : un cerveau.

Très tôt, contrairement à la plupart des responsables politiques au pouvoir sur la planète, Paul Vergès s’était passionné pour les études démographiques. Le fait était assez rare au point que, ayant échangé avec lui, le démographe Alfred Sauvy, spécialiste s’il en fut de cette science avait adressé, en 1982, une lettre à Paul Vergès lui demandant d’accepter qu’avant sa mort, la Ville du Port, soit le lieu où il souhaitait voir toutes ses archives être conservées. En 1982, la ville du Port, ni aucune autre ville de La Réunion d’ailleurs, ne disposait des installations et des outils permettant d’assumer la responsabilité de la conservation d’archives d’une aussi grande valeur scientifique.

Alfred Sauvy justifiait sa demande pour deux raisons :

1 – D’abord les savoir en lieu sûr puisque Paul Vergès et lui partageaient la même conception du caractère fondamental de l’étude démographique pour établir, avec certitude, des prévisions sur le long terme ;

2 – Ensuite inciter ainsi les chercheurs à venir consulter ses travaux à La Réunion et bénéficier ainsi tout à la fois de l’expérience de Paul Vergès et de la vision prospective qui était la sienne et dont il nous a tous instruits.

Pour Paul Vergès, le visionnaire reconnu, déchiffrer l’avenir était chose simple pour peu qu’on veuille y consacrer sa réflexion.

Plus d’une fois Paul Vergès a démontré que l’étude des données statistiques alliée à une immense connaissance de l’Histoire et des différentes civilisations, permettaient de mieux discerner ce que pouvait être l’avenir selon qu’on utiliserait les enseignements recueillis pour œuvrer en faveur d’un développement solidaire, donc profitant à chacun également, ou selon qu’on continuerait de s’en servir pour opprimer un nombre toujours plus grand d’enfants, de femmes et d’hommes pour le seul bénéfice de prédateurs inconscients de la marche au cataclysme qu’ils ne voient ou refusent de voir venir.

Plus d’une fois Paul Vergès a profité des mandats politiques obtenus pour alerter la France, puis l’Europe, puis le monde.

En septembre 1996 il alertait la presse venue de France à l’occasion d’une élection législative partielle sur les dangers du changement climatique.

En 2001 il obtenait, fait exceptionnel, que soit votée à l’unanimité, par le Sénat et l’Assemblée Nationale, dans les mêmes termes, une loi faisant de l’étude des effets du réchauffement climatique une priorité nationale.

Nommé Président de l’Observatoire National sur les effets du Réchauffement Climatique (ONERC) il préside aux travaux, lui permettant de présenter, chaque année, le résultat de ces travaux afin d’exposer clairement aux gouvernements de la France les dangers encourus.

Dans le même temps, il communiquait ces travaux à l’Union européenne.

En 2009, à Copenhague, lors de la COP 15, il a de nouveau exposé directement aux principaux dirigeants du monde combien il serait suicidaire de persister dans un mode de “développement“aussi peu soucieux du devenir des humains et de l’ensemble de l’écosystème planétaire.

Bien sûr, tout ce que nous devons au travail inlassable de Paul Vergès ne peut être évoqué dans ce très court résumé de son action. De l’âge de 17 ans à samedi dernier, Paul Vergès aura consacré 74 années de sa vie à lutter en faveur du bien commun. En effet, cela a commencé dès 1942. Paul Vergès alors âgé de 17 ans, aurait pu, s’il avait voulu, resté tranquillement à La Réunion et attendre la fin du conflit mondial. Il a choisi, alors qu’il était mineur, de solliciter, ainsi que Jacques, l’autorisation de son père pour aller défendre la liberté et la démocratie.

Aujourd’hui son message est clair :

Partir toujours de la réalité concrète, analyser les causes des échecs notamment depuis mars 1946, répondre aux urgences sociales dans une société en crise, prendre en compte les grands évènements qui vont marquer les décennies à venir comme la démographie, le changement climatique, les échanges capitalistes mondiaux, les progrès scientifiques et technologiques. Telles sont les pistes qu’il nous a ouvertes. Il n’a eu de cesse et ce jusqu’à son dernier souffle, je puis le témoigner, d’appeler les Réunionnais, les Réunionnaises de bonne volonté, à s’unir au-delà des clivages importés, pour ensemble, bâtir et maîtriser leur devenir.

Pour nous Communistes, répondre à cet appel est le meilleur hommage qu’on puisse rendre au Camarade Paul. Part en paix Camarade nous nous engageons résolument à le faire.

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