Projet de loi relatif à l’octroi de mer

Huguette Bello : Comment concilier développement et libre circulation des marchandises ?

5 juin 2004

On lira ci-après le texte de l’intervention prononcée hier à l’Assemblée nationale par Huguette Bello dans le cadre du débat sur le projet de loi du gouvernement sur l’octroi de mer. La députée réunionnaise a souligné les différents problèmes que pose le texte gouvernemental. Les inter-titres sont de “Témoignages”. Christophe Payet est également intervenu dans ce débat. Nous publierons lundi le texte de son intervention.

Une fois de plus, le vieil impôt qu’est l’octroi de mer doit être réformé. “Droit de poids” en 1670, “octroi aux portes de mer” à partir de 1819, “octroi de mer” enfin, au milieu du 19ème siècle, cet impôt a traversé tous les régimes politiques sous des appellations différentes, a survécu aux vicissitudes de l’Histoire et constitue désormais le dernier impôt communal indirect du système fiscal français.
Mais, depuis 1989, il se trouve constamment menacé par les institutions européennes qui voient en lui une entrave au principe de la libre circulation des marchandises et une atteinte à l’unicité du territoire douanier communautaire. L’octroi de mer fait l’objet de plaintes récurrentes devant la cour de justice des Communautés européennes ; ces plaintes ont fourni au juge communautaire l’occasion de développer la notion de”frontière régionale douanière”.
À la logique de protection de plus en plus dénoncée, le Conseil, par sa décision du 10 février 2004, a souhaité substituer celle de compensation des surcoûts engendrés par l’ultrapériphéricité telle qu’elle est reconnue par l’article 299-2 du Traité de l’Union.

Il concerne tout le monde

Plus vieil impôt, l’octroi de mer est aussi, sans doute, celui qui a le plus d’incidence sur l’ensemble des départements d’outre-mer. Du fait de ses modalités de prélèvement et en raison des affectations de la ressource collectée, cet impôt, d’une façon ou d’une autre, concerne tout le monde.
Les collectivités locales d’abord. En effet, conformément à l’objectif qui lui a été assigné il y a plus de deux siècles, le produit de l’octroi de mer alimente les budgets des communes des départements d’outre-mer, dont il va jusqu’à constituer la recette principale.
Depuis la loi du 17 juillet 1992, qui, modifie le cadre juridique de l’octroi de mer en étendant son application aux biens produits localement, la recette collectée a une nouvelle destination. Elle sert aussi désormais à financer le Fonds régional pour le développement et l’emploi, le FRDE, créé dans chacune des régions d’outre-mer.
Inscrites au budget des Régions, les sommes collectées sont destinées, selon les termes de l’article 18, alinéa 2 "aux aides des communes en faveur du développement économique et de l’emploi dans le secteur productif et réservées aux investissements".
Depuis plusieurs années, le débat sur l’utilisation de ces fonds revient régulièrement : les comptes-rendus des débats des collectivités concernées, voire de notre Assemblée, en rendent largement compte. L’examen de ce projet de loi, on le verra, n’y échappera pas.
À côté des communes et des régions, les entreprises locales sont tout aussi concernées puisqu’en taxant les produits importés et, depuis 1992, en exonérant les produits locaux, cet impôt a pour objectif de protéger la production locale. Il est d’ailleurs admis que c’est grâce à cet impôt que l’ensemble du tissu industriel des départements d’outre-mer résiste, pour une large part, à la concurrence des produits importés. C’est précisément ce rôle d’instrument de protection qui est constamment critiqué et qui est à l’origine des différentes réformes.
Développement des collectivités territoriales, protection des économies locales : ces deux fonctions ne doivent pas faire oublier que l’octroi de mer concerne aussi directement les populations des départements d’outre-mer . À l’image de la TVA, il s’agit, en effet, d’un impôt supporté indifféremment, au bout du compte, par le consommateur final, quel que soit son niveau de revenus. Ainsi, une modification du taux de l’octroi de mer a-t-elle un impact direct sur le niveau des prix et sur le pouvoir d’achat des ménages.

Une faible marge de manœuvre

On aura compris que, loin de se résumer à un problème de spécialistes et de techniciens, réformer l’octroi de mer conduit à intervenir au cœur même du fonctionnement des sociétés ultramarines. Et c’est précisément parce que cet impôt est un enjeu politique, économique et social que je souhaite, Madame la Ministre, vous poser un certain nombre de questions sur le projet de loi qui nous est proposé.
J’ai bien conscience de la faible marge de manœuvre de notre Assemblée puisqu’il s’agit surtout de la transcription dans le droit national d’une décision du Conseil européen et que, de plus, puisque la réforme doit entrer en vigueur le 1er août, le temps nous est compté.
La première interrogation porte sur le nouveau dispositif qui sera appliqué aux entreprises de production dont le chiffre d’affaires annuel est inférieur à 550.000 euros ; celles-ci représentent, on le sait, la grande majorité des entreprises d’outre-mer. Contrairement à ce qui se passe actuellement, elles seront désormais assujetties, sans exception, à l’octroi de mer et devront, pour être exonérées, se déclarer auprès des douanes.
Ces nouvelles formalités risquent de compliquer singulièrement le fonctionnement de ces petites structures, notamment dans le secteur agricole ou artisanal. Est-il envisagé de leur apporter une assistance ou de réduire, autant qu’il est possible, leurs démarches, cela dans la logique de la réforme en vue de la simplification administrative ?
La deuxième interrogation porte sur les écarts de taux, particulièrement lorsqu’il s’agit de productions non listées. Il est à craindre que l’écart de taxation de cinq points de pourcentage ne soit pas suffisant pour que ces produits, dont on ignore même le nombre aujourd’hui, puissent faire face à une éventuelle concurrence venant de l’extérieur.
Par ailleurs, ce faible écart ne risque-t-il pas aussi d’entraver l’apparition, et surtout la production, de nouveaux produits ? Ce risque est d’autant plus fort que la nouvelle procédure prévue par l’article 3 de la décision du Conseil est moins souple et moins rapide que celle qui est en vigueur aujourd’hui.
En effet, aux termes de la décision de 1989, les projets d’exonération devaient être soumis à la Commission. Celle-ci devait se prononcer dans un délai de deux mois, à défaut de quoi le projet était réputé approuvé. Avec le nouveau dispositif, la procédure d’actualisation des listes est plus complexe et devrait se dérouler selon un processus qui fait intervenir davantage d’acteurs et d’institutions : Région, Préfet, Commission, Conseil.
La troisième interrogation concerne le taux d’octroi de mer régional créé par ce texte en remplacement du droit additionnel à l’octroi de mer prévu par la loi de 1992. Ce DAOM est collecté au bénéfice exclusif des Conseils régionaux. Peut-on envisager, en fonction des produits, une application variable de ce taux dans la limite du maximum autorisé, qui est fixé à 2,5% ?
Des taux variables selon les productions seraient une façon d’harmoniser l’octroi de mer régional avec les trois écarts de taux prévus par la réforme. Aux différentes catégories de l’octroi de mer de base pourrait par exemple correspondre une modulation de l’octroi de mer régional. J’ai déposé un amendement en ce sens. (voir notre édition de lundi prochain - NDLR)

Quelle articulation avec des réformes européennes ?

Avant de conclure, je souhaiterais avoir des précisions sur l’articulation de ce nouveau dispositif d’octroi de mer avec deux grandes réformes européennes. J’ai bien noté que ce dispositif a été notifié, à la demande de la Commission, au titre des “Aides d’État” et que la décision est prévue aux alentours du 16 juin prochain. Mais doit-on s’attendre à un nouvel examen, voire à une remise en cause, de l’octroi de mer après l’adoption, en 2007, du nouveau règlement sur les aides d’État qui sont actuellement en cours de réforme ?
À cet égard, les prochaines délibérations que vont prendre les Conseils régionaux pour fixer les taux devront-elles, à leur tour, faire l’objet d’une nouvelle notification à la Commission au titre des aides d’État ?
Parmi les grandes réformes européennes, il y a aussi les Accords de Partenariat économique régionaux (les APER), dont la création est encouragée par l’Union, notamment dans les environnements des départements d’outre-mer. Ces Accords doivent être conclus d’ici 2008. Quelle incidence auront-ils sur l’octroi de mer ?
Il est d’autant plus légitime de s’interroger à la lumière des conditions proposées par l’Union aux pays ACP - et en particulier aux pays dits les moins avancés, les PMA.
On le voit, le défi lancé par le statut de l’octroi de mer de concilier le développement économique des départements d’outre-mer avec le principe, de plus en plus affirmé, de libre circulation des marchandises est plus que jamais d’actualité. Cette réforme ouvre une nouvelle piste pour les dix prochaines années. Elle nous incite aussi à ouvrir, ou à poursuivre, la réflexion sur le devenir de cette taxe séculaire.

Octroi de mer

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