Révélations du “Monde” sur un marché de vente d’armes de 7 milliards d’euros à l’Arabie Saoudite

Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy s’accusent mutuellement de trafic et de corruption

16 avril 2004

Dans son édition d’hier, “Le Monde” lève le voile sur une affaire qui oppose le président de la République à son rival de 2007 et actuel ministre de l’Économie. « À la mi-décembre, l’Elysée a dépossédé le ministère de l’intérieur d’un projet de fourniture d’équipements de surveillance des frontières à l’Arabie Saoudite, pour imposer son propre réseau. Le chef de l’État et le ministre se soupçonnent mutuellement d’arrière-pensées financières », affirme “Le Monde” dans un article dont nous reproduisons de larges extraits.

L’affrontement dure secrètement depuis des mois. Il oppose, une fois encore, le président de la République au plus puissant de ses ministres, Nicolas Sarkozy. Mais son théâtre n’est plus, cette fois, la politique intérieure, avec ses jeux partisans et ses rivalités d’ambitions. C’est une guerre de position tenace, où la méfiance réciproque se nourrit des pires suspicions, à la confluence de la haute diplomatie, des intérêts financiers et du secret-défense. Son enjeu est lointain, mais colossal : un contrat d’équipements de sécurité en cours de négociation entre la France et l’Arabie Saoudite, dont le montant est estimé à 7 milliards d’euros. Ses arrière-plans, eux, constituent l’envers du décor d’un duel très apparent, mais dont la violence cachée laisse médusés ceux qui en sont les - rares - témoins.
La crise s’est nouée le 12 décembre 2003, lorsqu’un ordre venu de l’Elysée a contraint M. Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, à renoncer in extremis au voyage qui devait le conduire à Riyad, où il espérait conclure un accord définitif avec son homologue, le prince Naïef Ben Abdel Aziz, sur la fourniture au royaume saoudien d’un système de surveillance de ses frontières. Le veto personnel de M. Chirac imposait, surtout, à M. Sarkozy de se dessaisir du dossier au profit de l’entourage présidentiel. (...) À compter de cette date, le ministère de l’Intérieur, interlocuteur naturel des Saoudiens depuis l’origine du projet (initié en 1994 par Charles Pasqua, sous le gouvernement Balladur), a été tenu à l’écart - en tout cas jusqu’à ce que Dominique de Villepin y succède à M. Sarkozy.
Aucune explication officielle n’est venue justifier ce dessaisissement soudain, puisque l’ensemble de la procédure franco-saoudienne - baptisée du nom de code "Miksa" - est frappé du sceau de la plus haute confidentialité. Sollicitée par “Le Monde”, la présidence de la République a néanmoins indiqué avoir répondu à "une demande des dirigeants saoudiens", qui auraient exigé que l’accord soit signé "d’État à État" et par "la plus haute autorité" française. (...) L’entourage du chef de l’État invoque, en outre, l’opposition formelle qu’aurait exprimée le prince Abdallah, actuel régent du royaume, au "versement de toute commission"dans cette affaire, suggérant ainsi que le respect de cette prescription nécessitait la mise hors jeu de M. Sarkozy et des siens. En clair : l’Elysée jugeait que le montage juridique et financier préparé par le ministère de l’intérieur n’offrait pas toutes les garanties de transparence. Certains protagonistes et observateurs de la négociation, revendiquant leur proximité avec la présidence, émettent crûment le soupçon de "dérivations financières" qu’aurait pu dissimuler le contrat saoudien (...)
Prenant acte de leur dépossession, les proches de M. Sarkozy n’hésitent pas à renvoyer vers l’Elysée ses propres soupçons, soulignant que la présidence de la République s’est assuré, dans cet ordonnancement inédit, la haute main sur le plus gros marché de matériels sensibles actuellement négocié par l’industrie française, hors le contrôle du gouvernement. Ils estiment aussi que l’intervention de l’Elysée a retardé la conclusion du projet. (...) Mais à en croire plusieurs témoins, la mise au ban des équipes de M. Sarkozy a coïncidé, au début de l’année, avec certaines tentatives du groupe industriel et financier du Premier ministre libanais, Rafic Hariri, dont les relations personnelles avec M. Chirac sont notoires, de s’immiscer dans le projet - soit via l’une des banques qu’il contrôle, soit par sa société de travaux publics en Arabie Saoudite. Ces initiatives seraient, à ce jour, restées infructueuses.
Furieux d’avoir été évincé, M. Sarkozy a refusé, quant à lui, de se rendre à Riyad pour signer, le moment venu, le protocole d’accord au nom de la France, comme M. Chirac le lui a demandé au cours d’un de leurs tête-à-tête réguliers, le 14 janvier (...)


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