Etat de guerre, déchéance de nationalité, recul des libertés et des moyens pour répondre aux besoins de la population

L’état de guerre renforcera l’urgence sociale à La Réunion

30 décembre 2015, par Manuel Marchal

Depuis le 13 novembre dernier, des perquisitions peuvent avoir lieu à n’importe quelle heure sans autorisation d’un juge. Cette mesure contestée a déjà donné lui à des dérives qui ont touché La Réunion. L’état de guerre va peser pendant encore longtemps, avec des mesures qui seront inscrites dans la Constitution : état d’urgence et déchéance de nationalité. Tous ces moyens engagés ne seront pas sans conséquences sur d’autres politiques bien plus prioritaires à La Réunion.

Plus de la moitié des Réunionnais vivent sous le seuil de pauvreté. L’état de guerre n’arrangera pas leur situation. (photo Toniox)

Le 16 décembre, le ministère de la Justice annonçait « 2 700 perquisitions administratives effectuées, 488 procédures judiciaires ». Hier la même source indique qu’« à la suite des perquisitions administratives effectuées depuis le 13 novembre dernier, 524 procédures judiciaires ont été engagées sur l’ensemble du territoire français ». Le nombre des perquisitions n’est plus annoncé. C’est une donnée que les services du gouvernement ne peuvent pas ignorer et c’est précisément la mesure qui suscite le plus de controverse.

Décrété par le gouvernement puis prolongé pour une durée de trois mois par un texte de loi que Paul Vergès n’a pas voté, l’état d’urgence permet des perquisitions à toute heure du jour et de la nuit, sans autorisation d’un juge. Ces procédures d’exception ont malheureusement plusieurs fois abouti à des dérives, même à La Réunion. Deux familles ont ainsi été perquisitionnées sans ménagement en pleine nuit, ce qui cause des traumatismes qui seront difficiles à réparer.

La longue conquête des libertés

Dès le départ, le Parti communiste réunionnais avait mis en garde contre ce recul des libertés dans un communiqué publié le 19 novembre : « À La Réunion, la conquête des libertés publiques est le résultat de longues luttes. Des militants communistes ont donné leur vie pour que ces libertés soient respectées. Aujourd’hui encore, ce combat reste toujours d’actualité, comme le rappelle le climat de répression permanent subi par des travailleurs employés en contrat précaire dans certaines collectivités ».

Dans notre île, le respect des droits fondamentaux n’est donc pas allé de soi. Il a fallu lutter pour que le droit de vote soit respecté, pour que les citoyens puissent exprimer librement leur opinion, pour faire respecter le pluralisme dans les médias, pour que les Réunionnais ne soient pas réprimés parce qu’ils utilisent leur langue maternelle, ou s’adonnent à leurs pratiques culturelles.

Priorité au « Pacte de sécurité »

Maintenant, le débat franchit une étape supplémentaire avec une révision constitutionnelle qui prévoit d’inscrire l’état d’urgence et la déchéance de nationalité dans le texte fondamental de la République. Il est à noter que ces mesures ne sont que des réponses répressives après coup, elles ne sont pas destinées à s’attaquer à la racine du problème : comment expliquer que des Français qui ont grandi dans l’école de la République décident de prendre les armes et de se suicider en tuant le plus possible d’autres Français ?

Cette orientation fait de l’état de guerre la priorité, confirmant le discours du président de la République le 16 novembre au Congrès mettant en avant le concept de « pacte de sécurité ».

Elle fait donc passer au second plan la mission principale de la puissance publique, celle de répondre à la crise sociale provoquée par un système ultra-libéral qui ne cesse de creuser les inégalités. Cela est particulièrement vrai à La Réunion. Dans notre île, les 10 % les plus riches ont des niveaux de revenus comparables à leurs homologues de France. Mais tous les autres sont bien en dessous, les pauvres n’ont quasiment rien. Près de la moitié des Réunionnais vivent sous le seuil de pauvreté. Le taux de chômage global est proche de 30 %, et plus de 50 % des jeunes sortis de l’école sont exclus du droit à un travail.

Quels moyens pour l’urgence sociale ?

Pour régler cette question, des moyens considérables doivent être mobilisés. En France, s’il y avait 10 millions de chômeurs et 30 millions de personnes sous le seuil de pauvreté, la question ne ferait même pas débat. Même si des terroristes frappaient, la priorité serait donnée à l’urgence sociale. Cela passerait sans doute par d’importants plans de réindustrialisation et un soutien à la création de nouveaux services.

Force est de constater que cela n’a pas été le cas à La Réunion, et cela depuis des décennies. Les crédits actuellement engagés risquent d’être rabotés par des arbitrages au profit de l’effort de guerre de la France. Elle est engagée militairement en Afrique et au Moyen-Orient, et elle doit en plus financer le déploiement permanent d’importantes forces militaires et policières sur son territoire.

Le recul des libertés va donc probablement s’accompagner de celui des droits sociaux : emplois, logement, santé notamment. Cet état de guerre va durer longtemps, ce qui renforcera l’urgence sociale.

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