Raymond Lauret Sur le système indemnitaire des élus

« L’État français autorise et légalise un gaspillage honteux d’argent public »

19 février 2008

S’il garde à 62 ans et après 40 ans de militantisme sa part de pureté nécessaire comme contrepoison au cynisme ambiant, Raymond Lauret, conseiller régional, n’est pas pour autant un naïf. Les questions qu’il soulève, si elles restent aujourd’hui encore un sujet dont on ne parle pas sur les places publiques, touchent au fonctionnement de notre démocratie représentative et à ses curieuses (et graves) dérives. Ici, trop souvent, la légalité couve l’immoralité.

A moins de trois semaines du premier tour des élections municipales et cantonales, quel est votre état d’esprit, vous qui êtes conseiller régionale, premier adjoint au maire du Port et conseiller communautaire du TCO ?
- Mon état d’esprit, sur un plan personnel tout d’abord, c’est que j’ai atteint mes limites. J’aimerais pouvoir me consacrer à mes seules fonctions de conseiller régional. Elles sont très prenantes. Je n’ai pas été - à mes yeux en tout cas - un premier adjoint suffisamment disponible auprès de Jean-Yves Langenier. Certes j’ai rempli quelques tâches. Mais un premier adjoint, je le crois, doit être comme le Maire, à temps plein sur ce poste. Car à côté des tâches quotidiennes, il y a un travail politique qui exige une présence totale. Ces deux dernières années, aux sports et à la commission d’appel d’offres de la commune, je me suis attaché à mettre des jeunes collègues en situation de responsabilité et je pense avoir réussi.

Si vous n’êtes plus être adjoint au maire, vous direz aussi adieu à l’intercommunalité. Sans regret ?

- Mon souhait serait de ne plus être adjoint au maire. Je m’en suis ouvert au maire du Port, il y a environ deux mois déjà.
Mais je ne cache pas que l’aventure de l’intercommunalité va beaucoup me manquer. La vision du développement du territoire à partir de ses micro-régions me semble être la solution équitable pour l’avenir de l’île. Prenez la région Ouest. Il y a là un bassin de population évident. A l’exception de Saint-Leu qui est entre l’Ouest et le Sud, les populations de Trois-Bassins, Saint-Paul, Le Port et La Possession ont un “destin” commun. On peut être Portois d’origine et habiter à Saint-Paul ou à La Possession. On peut être de La Saline ou de Trois-Bassins et travailler au Port. On ne conçoit pas aujourd’hui de faire une piste cyclable qui n’associerait pas au moins les bandes littorales de ces communes. L’USPG gymnastique n’est pas seulement le club des Portois. Des jeunes de La Possession et de Saint-Paul, en grand nombre, en font partie. On peut multiplier les exemples, et pas seulement dans le domaine sportif. La zone artisanale de Trois-Bassins et son développement économique : pensez-vous que cela aurait pu se faire sans l’apport fiscal du Port dans la taxe professionnelle unique perçue par le TCO ?

Depuis l’essor de l’intercommunalité dans notre île, les gens ont pu en découvrir l’utilité et les côtés positifs. Mais vous êtes aussi très critique sur les EPCI. Pourquoi ?

- Je suis critique, tout en ayant prouvé mon attachement au EPCI, qui n’en sont qu’à leurs premiers pas, à leurs balbutiements. Laissons leur du temps pour que les populations concernées sentent combien ils peuvent apporter dans une nécessaire solidarité entre les communes dites “riches” et celles qui sont “pauvres”. Il est évident que Sainte-Suzanne doit profiter autant - sinon plus - que Saint-Denis, de la CINOR. C’est la même chose pour la commune de Trois-Bassins, à laquelle le TCO apporte dix à onze fois le montant de sa participation au “pot” fiscal commun. Il nous faut aussi développer le concept de l’intercommunalité des hommes, dans le domaine de la formation, du sport, de l’éducation, de la culture... Le chantier est énorme. Il faudra de longues années pour qu’il prenne forme. Là où je suis critique, c’est que le législateur, dès le départ des EPCI, a pourri la situation en considérant qu’il fallait en indemniser les présidents et vice-présidents.

Ces indemnités paraissent en effet être de véritables “salaires”, dont vous pensez qu’ils pervertissent le rôle des élus...

- Effectivement. Prenons le TCO. Son président reçoit 3.750 euros d’indemnité, qui viennent s’ajouter à l’indemnité du maire de Saint-Paul, ville de près de 100.000 habitants. Il y a 29 vice-présidents, dont l’indemnité est de plus de 2.000 euros par mois. Le citoyen est dans son droit quand il se demande à “quel travail” peuvent correspondre de telles rémunérations ! Il est dans une réelle logique quand il considère que “le poste” de membre de l’EPCI est une fonction honorable, qui découle de celle de l’élu municipal. Il n’est pas loin du vrai s’il se dit que ces postes-là sont recherchés, non pas pour le travail qu’ils supposent, mais pour le mandat qu’ils rapportent.

Le problème est qu’il s’agit d’un système légalisé. Comment un élu pourrait-il refuser cette indemnité ?

- Au PCR, nous proposons « un espace de moralité » à nos élus. Au Port par exemple, où j’ai été élu depuis 1971 pendant plusieurs mandats, je puis vous dire que les élus n’occupent pas de postes pour de l’argent. C’est vérifiable... Je puis dire aussi qu’Elie Hoarau, à Saint-Pierre, fait de cette question une préoccupation de premier plan. Le docteur Raymond Vergès disait que « Le roc de notre patrimoine est taillé dans une multitude de vertus obscures qui n’ont pas besoin de l’appât des récompenses pour s’épanouir... ». Et pour le Secrétaire général du PCR, il importe que cette maxime garantisse, aujourd’hui encore, notre redressement.

« Notre redressement »  ? Il y a des entorses à la règle ?

- La règle existe dans notre parti. Chacun se doit de la respecter, et chacun est devant sa conscience, par rapport à cela.

Cela peut aussi faire l’objet de débats internes, au PCR. Mais les autres élus, vous ne pouvez pas leur dicter leurs conduites ?

- Non, bien sûr. Cela justifie-t-il pour autant que la République - notre République - consente à indemniser des élus avec une facilité déconcertante - comme s’il s’agissait d’un emploi - alors que ceux qui en profitent exercent une responsabilité politique ?!!! Quel mépris pour ces T.O.S ou ces jeunes que l’on renvoie aux ASSEDIC, pour faire des économies !
Des économies pour verser, chaque mois, seulement à La Réunion, 180.000 euros à 5 présidents et 68 vice-présidents d’EPCI ? C’est gros. Et cela finira un jour par ne plus passer.

Vous soulevez également, pour la critiquer, la question du “quorum”...

- Effectivement. Les deux problèmes sont liés, parce que ces indemnités que perçoivent les élus, c’est au mieux pour voter des dossiers préparés par d’autres ! Ce sont les administratifs - et ils sont particulièrement compétents - qui font le travail, pas les élus, faut-il le rappeler ? Et quelquefois, les élus ne sont même pas obligés de venir ! Prenons l’exemple d’une assemblée qui compte 97 membres. Pour qu’elle puisse délibérer valablement, il faut que le “quorum” soit réuni - ce qui fait 50 membres (la majorité plus un). Cela veut dire que, sur 97 élus, 47 peuvent ne pas venir ! Et parmi ces 47 qui peuvent ne jamais venir, il y en a qui sont indemnisés mensuellement à plus de 2.000 euros !

Vous n’avez pas donné le nom d’un seul de ces élus alimentaires. C’est aussi un principe ?

- Ils ne sont pas les premiers coupables. La République les paie ! C’est elle la première fautive. C’est elle qui est critiquable dans ce laxisme qui frise le proxénétisme politique et qui plonge dans l’indécence. Il appartient aux citoyens électeurs de se renseigner sur ce qui motive en réalité beaucoup de détenteurs de postes électifs. Et là, ce n’est pas simple. Car il y a des élus qui se consacrent pleinement - à temps plein - à leurs fonctions. Ceux-là devraient avoir, quand ils ne sont plus chargés des affaires publiques, la garantie de retrouver leur métier.
Je vais prendre deux exemples. D’une part, un enseignant en disponibilité - et donc sans salaire - qui exerce à temps plein une importante charge élective : cette personne a une indemnité qui compense le salaire non perçu.
D’autre part, l’adjoint au maire d’une importante commune, également vice-président d’EPCI, conseiller général et président d’une SEM : d’importantes fonctions cumulées, donc, qui, si elles étaient remplies à la mesure des indemnités elles aussi cumulées, rempliraient à 300% la vie de cet élu. Où cet homme trouve-t-il le temps d’exercer également et à temps plein une activité professionnelle hautement rémunératrice ?

Propos recueillis pas P. David


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Messages

  • Monsieur Lauret est un grand Monsieur. Dommage que la vie politique nous donne si peu d’hommes ou de femmes de cette trempe.
    Je ne suis pas du même bord politique que Monsieur Lauret mais j’ai beaucoup de respect et d’admiration pour lui.
    Tout ce qu’il dit là est très juste. Le seul malheur, c’est que se sont les mêmes qui font les lois et qui profitent du système. A moins d’envie suicidaire, on a jamais vu le bucheron scier la branche sur laquelle il est assis. Surtout quand la branche est aussi belle.


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