Un modèle à bout de souffle —2—

L’impasse de la pénurie d’emploi

27 octobre 2010, par Manuel Marchal

64 ans après l’abolition du statut colonial, l’emploi reste toujours la préoccupation numéro un à La Réunion. Or, s’il est bien un facteur qui explique la grande pauvreté dans le pays, c’est bien cette pénurie d’emploi qui persiste. Dans ses premiers numéros, ’Témoignages’ évoquait le sort des becqueurs de clefs, force est de constater que le modèle mis en place au lendemain du 19 mars n’a pas pu régler cette question dans la période du plein emploi en France dans les années 60 à 70. À l’époque des restrictions liées à la crise en Europe, ce modèle ne peut plus produire aujourd’hui que de la pénurie.

Au moment où le statut colonial est aboli à La Réunion, notre île compte une population d’environ 250.000 habitants. Mais à cette époque, la pénurie d’emploi est déjà là. C’est ce que rappelle l’article du numéro 6 de "Témoignages", daté du 9 juin 1944, que nous reproduisons. Cela explique pourquoi le changement structurel de La Réunion doit déboucher sur la fin de la pénurie d’emplois. Avec l’application des lois sociales permettant l’égalité, c’est une des conditions du développement du pays.
Dans "Témoignages" d’hier, il a été rappelé qu’au lieu d’appliquer immédiatement l’égalité et donc de passer à l’étape du développement, les gouvernements qui se sont succédé à Paris ont tergiversé. Le résultat de ces errements, c’est la persistance de la pauvreté dans notre île. Cette dernière est une conséquence de la pénurie d’emploi, or l’emploi est la compétence exclusive de l’État qui doit créer les conditions pour faire du droit au travail reconnu dans la Constitution une réalité.

Les becqueurs de clefs existent toujours

Quand la revendication des Réunionnais est satisfaite en droit le 19 mars 1946, alors les travailleurs ont l’espoir que les emplois deviennent durables à l’image de la situation en France. C’est en effet au lendemain de la Seconde Guerre mondiale que commence en France l’époque des Trente Glorieuses caractérisée par le plein emploi.
Mais ce n’est malheureusement pas le cas, la structure coloniale est maintenue dans les faits, et le plein emploi n’est pas là. Le chômage s’aggrave avec la fermeture de plusieurs industries entrées directement en concurrence avec des produits fabriqués en Europe. C’est ensuite la casse du chemin de fer pour des raisons politiques qui détruit un pilier de l’économie réunionnaise. Puis c’est au tour de l’agriculture de subir le choc de l’intégration dans l’économie de la France et de l’Europe. Les réformes structurelles engagées à la fin des années 60 provoquent des dégâts considérables. Elles poussent à la ruine des milliers de planteurs de géranium, de vanille et de tabac. Quant à la filière canne, elle voit son nombre de planteurs passer de 24.000 à moins de 4.000 aujourd’hui, et le nombre d’usines diminuer à deux.
Le nombre de demandeurs d’emploi a alors considérablement augmenté malgré une émigration massive de la jeunesse réunionnaise vers la France décidée par Paris alors que, paradoxalement, la fonction publique d’État a des besoins considérable dans le pays.

Les portes se referment

La succession de lois de programme et autres lois d’orientation est loin d’avoir donné les résultats annoncés. C’est alors que l’arrivée d’une nouvelle équipe à la Région en 1998 a permis d’entrevoir un renversement de la situation. La préoccupation était en effet de préparer La Réunion du million d’habitants, et donc de créer les conditions de l’autonomie énergétique pour 2025, et de construire les infrastructures nécessaires. Cette stratégie s’appuyait notamment sur la valorisation des atouts réunionnais. La route des Tamarins a été le premier chantier de cette nouvelle ère. Cette période a été marquée par un coup d’arrêt donné à l’aggravation du chômage. Mais la casse de plusieurs grands travaux inscrits dans cette stratégie a aussitôt relancé la pénurie d’emplois en coupant les ailes à un moteur réunionnais de la croissance du pays.
Parallèlement à l’effondrement de l’économie dans le secteur privé provoqué par ces décisions politiques, le gouvernement a décidé de geler les dotations aux communes qui sont les principaux employeurs de notre île. La fonction publique d’État est également touchée par les restrictions qui réduisent encore davantage les trop faibles possibilités d’emploi ouvertes aux jeunes Réunionnais. C’est véritablement un modèle à bout de souffle qui n’arrive plus à faire autre chose qu’à enfoncer davantage La Réunion dans l’impasse de la pénurie d’emploi qu’il a été incapable de résorber.

Manuel Marchal


Taux de chômage en 1974 : 25%
Taux de chômage en 2009 : 27%


Sur 1.000 postes créés à La Réunion dans l’Éducation nationale, 10% pour les Réunionnais


Quelle place pour les jeunes diplômés ?

Lors d’une conférence de presse le 27 octobre 2009, l’Alliance de la jeunesse pour la formation et l’emploi à La Réunion a rappelé les propos tenus par le rapporteur d’une mission du Sénat suite à son passage dans notre île :
« Le recteur de La Réunion nous a indiqué que l’Éducation nationale procède à environ 1.000 embauches par an : mais 900 des 1.000 candidats retenus viennent de métropole, alors que le territoire ne manque pas de diplômés. Il est vrai que la sur-rémunération de 1,53 attire les métropolitains ; et les jeunes sur place, qui ont moins d’ancienneté, voient ces arrivants passer devant eux… Nous n’avons pas la solution miracle, mais nous avons des pistes, exiger la maîtrise de la langue créole par exemple ».

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