Projet de loi relatif aux libertés et responsabilités locales (2ème lecture)

L’intervention d’Huguette Bello à l’Assemblée nationale

24 juillet 2004

L’Assemblée nationale a commencé jeudi après-midi, l’examen en deuxième lecture du projet de loi relatif aux libertés et responsabilités locales.
Huguette Bello, députée de La Réunion, est intervenue à la tribune de l’Assemblée nationale dans le cadre de la discussion générale.
L’utilisation possible jusqu’à jeudi de l’article 49-3 de la Constitution par le Premier ministre - confirmée hier - avait conféré à la discussion générale à l’Assemblée nationale sur le projet de décentralisation une importance particulière. En effet, le recours au 49-3 entraînant la suspension immédiate de l’examen des articles et donc des amendements, la discussion générale était probablement la seule occasion pour les députés d’aborder les questions de fond.
C’est pourquoi, Huguette Bello a consacré son intervention aux risques d’une application mécanique de la décentralisation dans l’Outre-mer étant donné les retards accumulés et les besoins prévisibles de ces régions. Elle a ainsi demandé au gouvernement de différer l’application de cette réforme en sorte de pouvoir, au préalable, procéder à une évaluation générale de ces retards et besoins, établir une programmation des rattrapages à réaliser et déterminer le volume des moyens financiers à transférer.
La députée réunionnaise a évidemment interrogé le gouvernement sur le transfert des personnels TOS aux départements et régions d’outre-mer et a insisté sur les conséquences néfastes de l’application de l’article 67 à La Réunion.
Nous publions ci-après le texte intégral de l’intervention d’Huguette Bello.

Je tiens d’abord à dire que je partage totalement les critiques formulées, aussi bien dans cet hémicycle que dans les médias, sur la manière dont a été organisée la discussion parlementaire sur un projet de loi d’une telle importance. Je dois ajouter que les conséquences en sont d’autant plus graves pour les élus de l’Outre-mer que la hâte et l’improvisation dont on a fait preuve ont empêché plusieurs d’entre nous de participer à ce débat décisif pour l’avenir de nos départements et territoires. En user ainsi avec la représentation nationale paraît non seulement cavalier, mais très inquiétant.
Alors que les premières lois de décentralisation ont été accueillies avec confiance, que leur influence sur la vie publique ne s’est pas démentie depuis vingt ans, au point qu’élus et citoyens attendaient avec impatience la deuxième étape du processus, on assiste depuis une année à la montée du mécontentement et de la déception.

Ni l’idée de décentralisation ni l’importance des transferts de compétences ne sont contestées. Ce qui est au centre du débat, c’est la question des moyens financiers qui doivent accompagner ces transferts de compétences. Les élus, en in ou en off, confient leurs doutes et leurs inquiétudes sur les risques d’inégalités entre les régions et d’appauvrissement des plus pauvres.

À La Réunion, ce risque est d’autant plus grand que la compensation des charges se fera uniquement sur la base des dépenses assurées par l’État au cours des trois dernières années pour les dépenses de fonctionnement, et des cinq dernières pour les dépenses d’investissement. Ce mode de calcul est très pénalisant pour l’Outre-mer puisqu’il ne tient compte ni des retards importants en personnels et en équipements dans les services publics de ces régions, ni des besoins nouveaux créés par l’augmentation de la population. Non seulement il se réfère à une vision figée et uniforme des sociétés, mais encore il produira ipso facto une situation dans laquelle l’augmentation prévisible des charges transférées ne sera pas compensée ; d’autant moins que déjà décentralisée outre-mer, la TIPP (Taxe intérieure sur les produits pétroliers) ne peut être une recette nouvelle. Dans ce cas, la décentralisation deviendra, contre toute attente, une entrave au développement.

Pour éviter un tel scénario, il est absolument indispensable qu’avant de transférer de nouvelles compétences aux collectivités, le gouvernement procède à une évaluation objective et exhaustive des besoins et des délais nécessaires aux régions d’Outre-mer pour atteindre la moyenne nationale en matière d’équipement et d’encadrement. Ce n’est qu’à partir d’une telle évaluation que devront être déterminés les moyens financiers nécessaires pour une décentralisation effective. Ne pas méconnaître durablement le principe d’égalité exige de conditionner l’application de cette loi dans l’Outre-mer à la programmation des rattrapages à réaliser. À défaut, aux retards accumulés et aux besoins générés par la situation démographique, viendra s’ajouter un troisième poste, celui des régressions dues à une application mécanique de la décentralisation.

S’il existe un domaine où une expertise préalable s’impose, c’est bien celui des TOS. Le retard en est connu : 12,5 TOS pour 1.000 élèves dans les départements d’Outre-mer contre 20,1 pour la moyenne nationale.
La Réunion est même l’académie de France la moins dotée en personnels TOS. Cette situation explique en grande partie pourquoi le transfert des TOS aux départements et aux régions suscite la contestation unanime, celle des intéressés, qui l’ont fait savoir par leurs nombreuses manifestations, celle des élus, qui, à de multiples reprises, l’ont fortement exprimé, et pour finir, celle de l’ensemble de la communauté éducative. Malgré l’opposition générale à ce transfert, l’article 67, qui le prévoit, a été voté conforme par l’Assemblée nationale et le Sénat, et n’est donc plus en discussion.

C’est la raison pour laquelle nous souhaitons connaître la position du gouvernement à l’égard de l’article 128, introduit sur initiative parlementaire par les sénateurs, et confirmé par la commission des lois de l’Assemblée. Cet article conditionne le transfert des personnels TOS au rattrapage des effectifs dans les départements d’Outre-mer. Si l’article 67 devait s’y appliquer, on assisterait inéluctablement à une dégradation de la situation. À La Réunion, les inégalités actuelles s’en trouveraient aggravées, du seul fait de l’augmentation de la démographie scolaire qui oblige les collectivités à construire, pendant plusieurs années encore, de nombreux établissements scolaires : trois lycées tous les deux ans, deux collèges par an. Secteur d’avenir par excellence, l’enseignement ne peut pas être le lieu privilégié des transferts d’inégalité.

On a présenté la décentralisation comme la réforme qui favorise la proximité, elle-même promue au rang des priorités. Les plus hauts responsables de l’État ne préconisent-ils pas une "République des proximités" ? Mais comment une réforme visant à la proximité ne serait-elle pas attentive à l’avis manifesté par les citoyens, d’abord dans la rue, ensuite dans les urnes, enfin, aujourd’hui, dans les sondages ? Une réforme qui veut rapprocher les administrés des centres de décision et les élus des citoyens, commencerait donc par ignorer l’avis de ces citoyens ou de ces administrés ? Quel formidable contresens ! Le gouvernement prône la proximité en tournant le dos à la volonté populaire !


Réactions

o Le SGPEN-CGTR dénonce le mépris du gouvernement
Le Syndicat général des personnels de l’Éducation nationale a réagi à l’action du gouvernement en faveur du futur transfert des TOS par la voix de Jean-Marc Gamarus, secrétaire général : "Sanctionné à plusieurs reprises dans les urnes, totalement rejeté par une grande majorité de français avec 29% d’opinions favorables, soutenu par l’UMP et allant jusqu’au bout de ses reformes impopulaires, le gouvernement Raffarin vient de mettre en place les conditions de privatisation des missions des TOS de l’Éducation nationale à travers le passage en force de la loi de décentralisation en utilisant l’article 49 alinéa 3 de la Constitution".
Le syndicat observe que ce "passage en force" pendant les vacances d’été dénote "le peu d’intérêt, voire le mépris du gouvernement vis-à-vis de la représentation parlementaire, des amendements adoptés par le Sénat et l’Assemblée nationale, du personnel de l’Éducation nationale et de la population en général. Après les PTT, l’Équipement, l’EDF, les TOS... la société ultra libérale prônée par le MEDEF se met ouvertement en place".
Le syndicat salue une fois de plus la communauté éducative dans son ensemble "pour la lutte historique de l’année 2003, lutte qui marquera l’histoire de notre pays par son ampleur, sa durée, sa solidarité et sa détermination. L’heure n’est pas à la résignation et au fatalisme. Le SGPEN-CGTR continuera son combat pour la défense des TOS, des précaires ainsi que l’intérêt de la population en général".
Il invite enfin le personnel TOS à "rester mobilisé et à agir ensemble dès la prochaine rentrée pour la défense du service public ainsi que des intérêts des salariés sacrifiés par le gouvernement Raffarin", face aux "fossoyeurs de notre société et à la régression sociale programmée".

o L’U.N.A.T.O.S. : "La volonté de casser le service public ne faiblit pas"
L’Union nationale des Agents, techniques, ouvriers et service (UNATOS) de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur Réunion indique sous la signature de Christian Picard que "le Premier ministre Raffarin a encore une fois montré sa volonté farouche de mener ses réformes impopulaires et injustes en voulant utiliser le 49-3".
Elle déclare que la volonté de Jean-Pierre Raffarin de "casser le service public" ne faiblit pas, et qu’au contraire "il prouve encore une fois que son gouvernement veut absolument continuer sa politique que les Réunionnais n’ont cessé de condamner". L’Union nationale ATOS fait toutefois remarquer que "les TOS restent malgré tout mobilisés", se battront "jusqu’au bout", et ils réclament le soutien de tous les élus locaux sur le dossier de leur transfert : "il faut que nos élus, quelque soit leur appartenance politique, montrent l’unité que les usagers du service public sont en droit d’attendre d’eux pour la défense d’un service d’éducation équitable et juste pour tous".


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