Après la déclaration avant-hier de Jean-Pierre Raffarin

L’outre-mer est-il sacrifié ?

7 avril 2004

Retour sur le discours de politique générale prononcé lundi dernier à l’Assemblée nationale par le Premier ministre, après sa confirmation à la tête du troisième gouvernement Raffarin depuis les élections présidentielle et législatives de 2002. Un changement dans la continuité après la sanction infligée à la politique menée par cette équipe gouvernementale et par ses soutiens locaux lors des dernières élections régionales et cantonales.

- Économie : allusion directe aux “niches fiscales” !
"Mobilisation des finances publiques, enfin. Elle est fondée sur des dépenses publiques maîtrisées grâce à l’évolution de nos pratiques administratives - j’approuve sur ces sujets les propositions de votre commission des Finances - et nous mènerons et les réorganisations nécessaires dans l’État, celles que nous avons engagées et celles que vous proposerez" (...). "J’ai demandé au ministre d’État, ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, de recenser, en toute transparence, toutes les initiatives possibles pour atteindre nos objectifs en matière de finances publiques", déclarait lundi dernier Jean-Pierre Raffarin devant les députés.
Quelles sont donc ces "propositions de la commission des finances" ?
Au moment de la discussion sur le budget 2004, de nombreux amendements avaient été déposés. Concernant notamment les “niches fiscales” d’outre-mer. Cela avait fait un tollé. Brigitte Girardin, dans un premier temps, et Jean-Pierre Raffarin, dans un second temps, avaient été obligés de monter au créneau.
"Aucune réforme ne peut être faite par voie d’amendement", avait dit le Premier ministre, expliquant qu’il avait "mis au pas" "les députés UMP partis à la chasse aux niches fiscales, notamment concernant l’Outre-mer".
Le Premier ministre contestait donc la forme prise pour réformer certaines dispositions spécifiques à l’outre-mer et non le fond des modifications proposées.
Il était tout à fait vraisemblable que, à l’approche des élections, le gouvernement voulait “ménager” l’Outre-mer. Celles-ci sont passées. Et l’on voit très clairement aujourd’hui que Raffarin veut mettre en œuvre les réformes contenues par les amendements de la Commission des finances.
Et la confirmation vient tout de suite après lorsque le Premier ministre parle des "initiatives possibles" ? Confirmation donc de ce que “Témoignages” écrivait dans son édition d’hier : ce sont les “niches fiscales” - notamment celles existant outre-mer - qui sont visées.

- UNEDIC / ASSEDIC : vers une réforme !
"Le Gouvernement modernisera le service public de l’emploi, afin d’accompagner d’une manière personnalisée les demandeurs d’emploi pour leur permettre de retrouver le plus vite possible un travail et ainsi mieux aider les chômeurs en fin de droits, notamment en leur donnant accès à des formations qualifiantes. Nous le ferons dans le cadre des améliorations à apporter au régime de l’allocation spécifique de solidarité", expliquait lundi le Premier ministre.
Cette modernisation du service public de l’emploi est sans doute non seulement la fin du monopole de l’ANPE mais aussi une refonte des missions de l’UNEDIC. Et cela ne ferait que confirmer ce que l’on pressentait depuis quelques semaines, notamment suite à la publication du rapport de la Cour des comptes, qui soulignait "le manque de crédits dévolus au contrôle de la fraude aux allocations chômage".
L’ancien ministre du Travail, François Fillon, avait alors décidé de réformer fondamentalement les institutions chargées de l’emploi. La “question” ANPE était “réglée” avec la fin de son “monopole” : "Le placement des demandeurs d’emploi sera ouvert à des opérateurs privés, au-delà des actuels cabinets de recrutement réservés aux cadres. Les entreprises pourront faire appel à ces “agences de placement” qu’elles rémunéreront".
Restait donc la réforme de l’UNEDIC, institution qui pourrait ainsi voir s’accroître son champ de compétences dans le domaine... du contrôle de la recherche d’emploi par les indemnisés. Cette voie dessinée par François Fillon semble être celle reprise par le premier ministre.
Quant à cette petite phrase concernant l’ASS : "Nous le ferons dans le cadre des améliorations à apporter au régime de l’allocation spécifique de solidarité", elle se suffit à elle-même : le gouvernement va apporter des “améliorations” mais le Premier ministre n’a aucune fait allusion à la suppression pure et simple du dispositif incriminé...
La totalité des associations de chômeurs, d’exclus et de précaires a donc toute les raisons de rester en état de vigilance.

- Assurance maladie : même philosophie !
"La réforme de l’assurance maladie devra répondre à quatre objectifs précis : améliorer l’organisation de notre système de soins et la qualité de ces soins ; faire évoluer nos comportements pour lutter contre toutes les formes de gaspillages ; clarifier les responsabilités entre l’État d’une part, et les gestionnaires de l’assurance maladie d’autre part. Je souhaite que, dans la fidélité à notre histoire sociale, les partenaires sociaux jouent un rôle majeur dans cette démarche ; enfin, nous devrons enfin prendre les mesures indispensables pour rééquilibrer les comptes, car la santé ne se finance pas à crédit. Il nous faudra trouver ensemble, dans la transparence, les justes équilibres dans le partage des efforts qui seront nécessaires", a déclaré Jean-Pierre Raffarin lundi devant les députés.
Il expliquait que le ministre de la Santé et de la protection sociale allait poursuivre les discussions engagées. "Le projet de loi de réforme de notre assurance maladie sera débattu au Parlement à l’été, comme prévu", concluait-il.
Le ministre de la Santé, Philippe Douste-Blazy, a, quant à lui, confirmé que la réforme allait entrer en vigueur "le 1er janvier 2005". Mais pour l’instant, il est resté très flou sur le calendrier qu’il proposait. Pas plus qu’il n’a parlé du texte de loi d’orientation sur l’assurance maladie que son prédécesseur avait rédigé, et qui aurait du être rendu public ces jours-ci. Même silence de la part du Premier ministre.
Le ministre exclut l’idée d’une privatisation du système mais met en garde contre l’idée d’une "étatisation". Il a par ailleurs demandé "la tenue le plus rapidement possible de la commission des comptes de la Sécurité sociale pour dire exactement quel est le déficit cumulé".
À noter que ni le premier ministre ni le ministre de la santé n’ont parlé de la CMU...

- Environnement : rien sur la charte !
"Protéger l’environnement est l’une des clés du monde qui se dessine sous nos yeux, la condition d’une croissance forte et durable autant que, pour chacun, une exigence morale", disait Jean-Pierre Raffarin dans son discours de politique générale.
On est loin, très loin de ce que disait Chirac, en début d’année : "un pas très important va être franchi en 2004 avec la présentation au Parlement de la Charte de l’environnement", car ce texte devrait "placer les principes de sauvegarde de notre environnement au même niveau que les droits de l’homme et du citoyen de 1789 et les droits économiques et sociaux du préambule de 1946".
Le Premier ministre s’est bien gardé d’aborder la question de la charte de l’environnement, élaborée sous Raffarin II.
Les raisons sont simples : il y a un vent d’opposition venant tant des scientifiques que des élus, du patronat que des assureurs sur un sujet : le fait d’inscrire la protection de l’environnement et le principe de précaution dans la Constitution. C’est surtout cette question du “principe de précaution” qui pose problème. Les élus - ceux de la majorité parlementaire compris - craignent que cette mesure ait pour conséquence "d’entraver la liberté de recherche et d’entreprise". Autre motif avancé : "le flou juridique de cette notion".
Le paléontologue Yves Coppens présidait la commission, chargée en 2002 de l’élaboration du texte. Le scientifique avait suggéré alors une définition de la précaution "plus neutre et juridiquement mieux cernée" que celle contenue aujourd’hui dans le texte. Sous l’impulsion du chef d’État, cette version avait été supprimée.
Le projet de loi devait être soumis à l’Assemblée, il a été retardé à plusieurs reprises. Aujourd’hui, on ne sait toujours pas précisément s’il va être en discussion le 28 avril.

- R.M.A. : tout va bien !
"Le revenu minimum d’activité se met en place. 140.000 contrats sans charges ont été conclus pour ouvrir aux jeunes les portes de l’entreprise", annonçait fièrement lundi Jean-Pierre Raffarin.
Première remarque : quatre jours après la publication des décrets d’application (J.O. du 30 mars 2004), comment a-t-on pu signer 140.000 contrats ?
Deuxième remarque : Jean-Pierre Raffarin ne tient même pas compte de ce que disent les responsables du ministère de l’emploi. Le journal économique “Les Échos”, dans son édition du 25 mars dernier, écrivait : "Mais une chose est sûre, l’objectif du gouvernement de 100.000 RMA signés fin 2004 ne sera pas atteint. “Ce chiffre était un peu optimiste, et il était envisagé avec un dispositif complètement opérationnel au 1er janvier”, explique-t-on au ministère".
Troisième remarque : aucune référence faite aux inquiétudes des présidents de Conseils généraux de droite sur les modalités financières de mise en place de ce contrat honteux ; et aucune prise en compte du refus total des associations de chômeurs et de précaires sur cette loi.

- Discrimination : quelle indépendance pour la haute autorité ?
"L’égalité des chances est au cœur des valeurs de la République. Nous devons la faire vivre, notamment par une lutte active contre toutes les formes de discriminations et la poursuite d’une politique d’intégration plus ambitieuse. Dès 2005 "”une haute autorité” contribuera à cette politique", disait le Premier ministre.
Ce n’est pas un choix philosophique, c’est une obligation : la France est contrainte d’appliquer une directive européenne qui demande la création d’une autorité indépendante garante de l’égalité de traitement dans chaque État.
En juin 2003, le Premier ministre avait confié au médiateur de la République, Bernard Stasi, le soin de réunir une commission avec une lettre de cadrage précise : la nouvelle autorité "sera dotée d’un positionnement et de pouvoirs suffisamment forts pour être en mesure, par ses interventions, de modifier les pratiques et de faire évoluer les comportements".
Elle devra être mise en place d’ici à la fin 2004. Elle sera composée d’un collège de onze personnalités "indépendantes" (?), avec un président nommé... par le président de la République, six des membres désignés... par les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, le Premier ministre, le Conseil d’État, le Conseil constitutionnel, la Cour de cassation et le président du Conseil économique et social.

Dossier : Dominique Besson


Morceaux choisis...

o "La vérité, c’est que la France ne peut pas réussir sans travailler davantage".
o "J’attends beaucoup des négociations engagées entre les partenaires sociaux sur les restructurations. Si un accord est conclu, le Gouvernement lui donnera force de loi. À défaut, il prendra des responsabilités avec deux principes : d’une part, mieux prévenir les licenciements dès que les difficultés apparaissent ; d’autre part, ouvrir aux salariés, et notamment à ceux des petites et moyennes entreprises, de véritables droits au reclassement dans le cadre d’une mobilisation de tous les acteurs, en particulier locaux".
o "Rompant avec des années d’hésitation et de renoncement, nous avons déjà sauvé notre système de retraites. Nous l’avons fait dans le respect des principes de la retraite par répartition et avec une volonté de justice sociale".
o "Je garde le cap des réformes, de la réforme juste. Valoriser le travail, récompenser le mérite, ce sont des actes élémentaires de justice. Répartir équitablement les efforts entre Français lorsqu’ils sont nécessaires, c’est faire œuvre de justice".


Et la décentralisation ? Et l’Outre-mer ?

Chacun aura noté que le Premier ministre n’a eu aucun mot lundi devant les députés au sujet de la décentralisation.
Pourtant, la question était primordiale. En effet, la quasi totalité des présidents de Région - tant de France que d’outre-mer - émettent les plus extrêmes réserves sur le projet de loi présenté par le gouvernement. Celui-ci avait été adopté par le Sénat, étudié par l’Assemblée nationale qui devait le voter solennellement aujourd’hui mercredi.
Lors de la réunion du lundi 5 avril 2004, la conférence des présidents a établi l’ordre du jour des séances que l’Assemblée tiendra du lundi 5 au jeudi 8 avril 2004. Le dossier sur les responsabilités locales n’y figure pas. Au Sénat, aucune mention de ce dossier en 2ème lecture, jusqu’au 18 avril (voire jusqu’au 25 puisque le Sénat prend une semaine de vacances...).
Après les résultats des consultations de mars, la carte politique ayant changé, les présidents de Région de gauche avaient demandé à être reçus par le Premier ministre. Celui-ci a dit OK. Chacun attendait qu’il profite de son discours pour au mieux, annoncer une date, au pire, donner le calendrier prévu pour ce dossier - qui doit repasser en deuxième lecture dans les deux assemblées.
Il n’en fut rien. D’où des interrogations.
Quant à l’Outre-mer, il a purement et simplement été oublié du discours Raffarin. Mais ses propos ont été clairs, très clairs, sur comment maîtriser les finances publiques...


Bertho Audifax, René-Paul Victoria et André Thien-Ah-Koon ont voté la confiance à Raffarin...

Après sa déclaration de politique générale, tous les députés UMP ont voté la confiance au Premier ministre, tandis qu’à l’UDF seul le député Jean-Christophe Lagarde s’est abstenu. Les 349 députés UMP (les 14 députés venant d’entrer au gouvernement n’ayant pas encore été remplacés par leurs suppléants) ont renouvelé leur confiance au Premier ministre. Parmi lesquels messieurs Bertho Audifax, René-Paul Victoria et André Thien Ah Koon.
À gauche, 148 députés socialistes ont voté contre la confiance dont Christophe Payet. Les 22 députés communistes et républicains se sont unanimement prononcés contre. Huguette Bello, députée non inscrite, s’est elle aussi prononcée contre.


Plus de social et moins de Raffarin

Un nouveau sondage confirme la descente de Jacques Chirac et de Jean-Pierre Raffarin.

Ce sont les derniers chiffres donnés par deux sondages rendus publics le lundi 5 avril. Au moment même où le Premier ministre prononçait son discours de politique générale à l’Assemblée nationale. Le sondage Louis Harris a été réalisé par téléphone les 2 et 3 avril auprès d’un échantillon de 1003 personnes, représentatif de la population âgée de 18 ans et plus (méthode des quotas). Le sondage CSA a été réalisé le 2 avril par téléphone auprès d’un échantillon de 1004 personnes représentatif de la population âgée de 18 ans et plus (méthode des quotas).
40% des Français ont une “opinion positive” sur Jacques Chirac en tant que président de la République, contre 44% en mars, soit 4 points de moins en moins d’un mois. 50% en ont une opinion négative (soit un point en plus par rapport au mois dernier) et 10% ne se prononcent pas. 58% considèrent que M. Chirac a “mal répondu” au résultat des régionales. 30% estiment qu’il a “bien répondu”. 12% ne se prononcent pas.
31% seulement sont satisfaits de Jean-Pierre Raffarin, en tant que Premier ministre, qui enregistre donc une baisse de cinq points. 59% (soient 2 points supplémentaires) en ont une opinion négative et 10% ne se prononcent pas.
61% des Français souhaitent que “le nouveau gouvernement de Jean-Pierre Raffarin mène une politique plus sociale de redistribution vers les catégories les plus modestes”, indique, par ailleurs, un sondage CSA pour France Info/France Europe Express. Selon ce sondage 21% veulent “une politique plus libérale pour améliorer la compétitivité des entreprises”. 11% souhaitent une politique qui “ne soit ni plus libérale, ni plus sociale qu’actuellement”. 7% ne se prononcent pas.


Qu’est-ce qui pourrait être privatisé ?

Jean-Pierre Raffarin a affirmé lundi 5 avril sa volonté d’"accélérer" les privatisations de services publics. Le projet de budget 2004 prévoit 4 milliards d’euros de privatisations. Quelles sont les entreprises publiques qui pourraient être concernées ?

o Aéroports de Paris (ADP) : l’État a formalisé fin octobre son intention de procéder à l’ouverture du capital d’ADP en transformant l’établissement public gestionnaire d’ADP en société anonyme détenue majoritairement par l’État.
o AREVA : le groupe nucléaire français AREVA devrait être “prêt dans quelques mois” pour une ouverture de capital, a estimé le 12 janvier sa présidente, Anne Lauvergeon.
o SNECMA : le gouvernement a annoncé le 24 février l’ouverture du capital du motoriste et équipementier aéronautique SNECMA (dont il détient 97,2%), qu’il prévoit avant l’été 2004.
o Autoroutes : le gouvernement a, en décembre, écarté la privatisation totale d’ASF (dont l’État détient 50,3%), mais suggéré, dans le même temps, une ouverture du capital de deux autres concessionnaires, la Sanef et la SAPRR, qui ouvre la porte à une future privatisation de ces dernières.
o France Telecom (FT) : la loi autorisant l’État à descendre sous le seuil fatidique des 50% du capital a été votée par le parlement fin 2003. Le rachat de la totalité de Wanadoo par FT vient de porter la part de l’État entre 50 et 51% de son capital, contre 54,4% avant l’opération. Un prochain mouvement pourrait faire passer l’État sous la barre des 50%, mais il ne semble pas imminent à l’heure actuelle.
o EDF/GDF : le gouvernement prévoyait initialement de transformer le statut d’EDF et GDF d’établissement public en société anonyme avant fin 2003. Mais cette évolution, qui rend possible une éventuelle privatisation à terme, se heurte à une forte opposition des syndicats et d’une partie des cadres des deux groupes. L’examen du projet de loi sur le changement de statut d’EDF et de GDF par le Conseil d’État a été repoussé du 8 au 22 avril. Une journée d’action syndicale et de grève contre ce projet est prévue jeudi.
o Air France : la compagnie a lancé lundi son offre publique d’échange sur son concurrent néerlandais KLM - ouverte jusqu’au 3 mai -, ce qui devrait faire mécaniquement passer l’État français sous les 50% du capital en cas de succès de l’opération.


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