Transferts publics, prix et revenus

La fonction publique d’outre-mer à nouveau ciblée

4 mai 2006

Après plusieurs rapports de parlementaires de la majorité UDF-UMP ayant pris pour cible les fonctionnaires ultra-marins, voici une nouvelle attaque contre cette catégorie sociale. Il s’agit d’un article paru le 26 avril dans “L’Expansion” sous le titre : ’L’outre-mer étouffe d’être le paradis des fonctionnaires’.
Son auteur est Yves-Michel Riols, envoyé spécial aux Antilles. On lira ci-après de larges extraits de cet article, dont on remarquera qu’il ne donne pas une vision globale des problèmes du développement, des transferts publics, des prix et des revenus dans nos pays. Les intertitres sont de “Témoignages”.

Primes variées, impôts réduits... Dans les Départements d’outre-mer et Collectivités d’outre-mer (DOM-COM), la fonction publique, d’État ou locale, soigne ses agents. Un statut doré qui pèse lourd sur le secteur privé et les autres salariés.
La plainte est récurrente : "L’outre-mer est aujourd’hui vécu comme un handicap par la métropole". Patrick Lecurieux-Durival, président du MEDEF martiniquais, résume ainsi un malaise qui revient dans toutes les conversations. À la Martinique, comme dans les autres départements et territoires ultramarins, on se sent mal aimé et oublié.
Pourtant, à en croire les chiffres, rien ne justifie ce spleen. Même si l’heure est aux restrictions pour combler les déficits abyssaux de la nation, l’effort budgétaire envers l’Outre-mer, lui, est plutôt stable et important : 11 milliards d’euros par an sont alloués aux presque 2,5 millions d’habitants des Départements (DOM) et des Collectivités d’outre-mer (COM).

Le poids des salaires des fonctionnaires

Le problème, c’est que les résultats laissent à désirer. En dépit de décennies d’investissements publics, l’Outre-mer continue d’afficher un chômage endémique, un nombre record de érémistes et un PIB par habitant de moitié inférieur à celui de l’Hexagone. Inutile d’être grand clerc pour en apercevoir les symptômes. Il suffit de lever le nez quand on circule sur la rocade qui serpente à travers Fort-de-France, le chef-lieu de la Martinique. Sur les collines, des bidonvilles s’étendent dans un fouillis anarchique.
Ce retard de développement s’explique en partie par le poids des salaires des fonctionnaires et leur effet de distorsion sur l’économie locale.
Partout, dans ces territoires, l’État est le premier employeur. Même à la Martinique, le plus petit et le plus riche des DOM, la fonction publique absorbe 37% de la population active.

Une ribambelle d’avantages

En soi, ce n’est pas forcément inquiétant. Ce qui l’est, en revanche, c’est que les fonctionnaires de l’Outre-mer bénéficient d’une ribambelle d’avantages qui renchérissent le coût du travail et pèsent sur le développement de l’île. Leurs salaires sont nettement supérieurs (de 40 à plus de 100%) à ceux des métropolitains.
Le secteur privé peut difficilement échapper à la spirale des rémunérations, d’autant plus que l’écrasante majorité des entreprises sont des PME de moins de 10 salariés.
Du coup, face aux pays voisins, la compétitivité des 2 principales activités de la Martinique, le tourisme et la banane, est fortement compromise. Dans ce département, comme dans le reste de l’Outre-mer, la situation est exactement l’inverse de celle de l’Hexagone : le salaire moyen dans le public est d’environ 80% plus élevé que dans le privé !

"Les maires sont étranglés !"

"Le système est à bout de souffle", constate Fernand Odonnat, patron d’une vingtaine de salariés et responsable local de la CGPME. "Les PME peuvent à la rigueur se permettre d’embaucher un employé qui a un Bac + 5, mais sûrement pas 2. La concurrence du secteur public, qui fait sans cesse des appels du pied aux jeunes diplômés, est trop forte".
Autre conséquence : les salaires de la fonction publique territoriale, alignés sur ceux des agents de l’État, grèvent les budgets des collectivités locales, qui n’ont plus de marge pour investir. Un dilemme auquel est confronté chaque jour Alfred Almont, député UMP et maire de Schœlcher, une commune voisine de Fort-de-France : (...) "78% de mon budget de fonctionnement sont absorbés par les dépenses de personnel. Les maires du département sont étranglés !".

Un mur du refus

Poser la question de la rémunération dans la fonction publique, c’est déjà se heurter à un mur du refus. Guy Lordinot en sait quelque chose. Le maire de Sainte-Marie, une commune de la côte Est, n’est pourtant pas un libéral à tous crins. Il a été député PS à l’Assemblée nationale dans les années 80 et a présidé le comité de soutien martiniquais à Jean-Pierre Chevènement en 2002. L’année dernière, il a organisé un colloque sur la prime de 40%, dite de "vie chère", que touchent tous les fonctionnaires (d’État et territoriaux) martiniquais.
Seul un autre maire de l’île a osé y participer. "Tous les élus, y compris les parlementaires, se sont désistés. Chaque fois que la question des 40% est posée, les syndicats montent sur leurs grands chevaux, les élus tremblent et la question est enterrée". On comprend pourquoi. Les fonctionnaires de l’Outre-mer n’ont pas forcément envie de faire de la publicité au traitement particulier dont ils bénéficient : des salaires gonflés, des retraites majorées et des impôts minorés.

Des dispositifs anciens

La plupart de ces dispositifs ont été mis en place après la Seconde Guerre mondiale, pour inciter les agents de l’État de la métropole à s’installer dans l’Outre-mer. À l’époque, il s’agissait de compenser l’éloignement et des conditions de vie moins confortables. Peu à peu, ils ont été étendus à l’ensemble des fonctionnaires de l’Outre-mer.
Aujourd’hui, la différence des prix avec la métropole est toujours invoquée pour justifier le principal avantage : la "prime de la vie chère" (40% à la Martinique, 53% à La Réunion et 108% en Polynésie). Il existe évidemment un surcoût dans des territoires où presque tous les biens consommés sont importés. Mais la prime consentie est-elle proportionnelle ?
Les élus locaux, toujours prompts à brandir des kilomètres de statistiques, sont curieusement muets sur cette question. Marc Laffineur, député UMP du Maine-et-Loire, auteur d’un rapport féroce sur la rémunération des fonctionnaires de l’Outre-mer, évalue ce différentiel de prix entre 10 et 15%. On est donc loin du compte. D’autant plus que ce surcoût est déjà atténué par l’application d’une fiscalité plus faible. Un point sur lequel les fonctionnaires et les élus locaux sont également peu bavards. L’impôt sur le revenu est en effet réduit de 30% à la Martinique et à la Guadeloupe, de 40% en Guyane et il est inexistant en Polynésie française.

"Une offense à la République"

À cela s’ajoutent d’autres avantages. Tous les 4 ans, les retraites sont bonifiées d’une année. Autrement dit, relève l’association “Sauvegarde retraites”, à la Martinique, un agent de l’État peut bénéficier d’une retraite à taux plein après seulement 30 années de travail, au lieu des 40 exigées (à compter de 2008) des fonctionnaires de la métropole.
De plus, le montant des pensions outre-mer est majoré (de 35% à La Réunion à 75% en Polynésie), y compris pour les fonctionnaires de l’Hexagone qui choisissent une domiciliation sous les tropiques. Une pratique qui donne lieu à une fraude notoire, puisqu’il suffit de disposer d’une adresse fictive sur place, les contrôles étant quasi inexistants.
Ces majorations font bouillir Jean Arthuis. Elles sont "une offense à la République", s’indigne le président (UDF) de la commission des Finances du Sénat. Cela fait 3 ans qu’il propose, avec Pierre Méhaignerie, son homologue à l’Assemblée nationale, des amendements pour supprimer ces privilèges. Ils sont toujours approuvés en commission... mais rejetés en séance plénière.

Des revenus juteux

Autre dérogation : les congés bonifiés. Tous les 3 ans, les fonctionnaires originaires de métropole travaillant dans les DOM - et inversement - ont droit à 30 jours de congés supplémentaires. Les billets d’avion sont payés pour toute la famille. Coût moyen par agent : 8.150 euros.
Mis bout à bout, ces compléments de rémunération, dont le coût global est estimé à 2,22 milliards d’euros, constituent des revenus juteux. Selon les données de l’INSEE citées dans un rapport du sénateur Henri Torre (UMP), le salaire net annuel moyen d’un fonctionnaire à la Martinique est de 34.976 euros, contre 24.935 euros en métropole. Il atteint 37.575 euros à La Réunion et 46.256 en Nouvelle-Calédonie.

Des effets pervers

Le vrai problème, c’est que ce dispositif initialement destiné à réduire les disparités produit aujourd’hui des effets pervers : il mine la compétitivité des DOM et des COM par rapport à leurs voisins immédiats (île Maurice, Saint-Domingue...) et aggrave les inégalités dans l’Outre-mer.
Le coût de ces traitements est tellement lourd que l’État et les collectivités locales rechignent désormais à titulariser leurs employés. Du coup, à la Martinique, 60% des agents sont des contractuels, moins protégés et nettement moins bien payés que leurs collègues titularisés. Le statut doré des uns entraîne la précarité de la majorité. (...)

"Un discours dépassé"

Pour mettre fin à cette situation, Guy Lordinot ne voit qu’une solution : "Il faut absolument supprimer les compléments de rémunération pour donner de l’air aux communes comme au secteur privé et leur permettre de créer de l’emploi. Quand il faut ajouter 40% à des salaires, on ne peut plus recruter. On est arrivé à un blocage : le personnel titularisé vieillit et les jeunes en sont réduits à chercher des emplois aidés ou précaires".
Toutes ces exceptions irritent aussi Marcel Osenat, une des figures du patronat martiniquais qui dirige notamment “La Librairie antillaise”, sorte de FNAC locale avec 8 points de vente dans l’île. "Nous ne sommes plus une colonie lointaine et inhospitalière qui doit faire des efforts pour attirer des gens, insiste-t-il. Pourquoi les fonctionnaires percevraient-ils ici 40% de plus que dans l’Hexagone ? Dès qu’on évoque ce sujet, on soulève un tollé. Mais notre société doit se décomplexer. Elle a pris l’habitude de se croire et de s’afficher malheureuse pour susciter un regard culpabilisé et paternaliste de la métropole. Ce discours misérabiliste, encore très prégnant, est aujourd’hui dépassé".


Un archipel d’exceptions

Il n’y a pas que les rémunérations des fonctionnaires qui dérogent au droit commun dans les DOM. Exemples.

o Fiscalité des entreprises :

Pour tenter de compenser les décalages entre les salaires du public et du privé, l’État a mis en place de nombreux dispositifs favorables aux entreprises. Dans les DOM, elles profitent d’un abattement fiscal d’un tiers de leurs bénéfices. Cette mesure s’applique à tous les secteurs sauf au commerce, aux banques et à l’immobilier. Les PME de moins de 11 salariés bénéficient d’une exonération totale de charges sociales.
Dans le bâtiment et les travaux publics, les entreprises d’au moins 50 salariés jouissent d’une exonération totale de cotisations sociales patronales pour les rémunérations allant jusqu’à 1,3 fois le SMIC. Dans l’hôtellerie et le tourisme, l’exonération est de 100% jusqu’à 1,5 fois le SMIC.

o Investissements défiscalisés :

La loi Pons de 1986 a institué une défiscalisation pour les investissements dans les DOM. Ces réductions d’impôts vont jusqu’à 70% pour les travaux de rénovation et de réhabilitation hôtelière ou pour l’achat de bateaux de plaisance. Cette mesure, que certains apparentent à une niche fiscale pour les Métropolitains les plus fortunés, coûtera 400 millions d’euros à l’État en 2006 au profit de 6.400 personnes. En 2004, la défiscalisation a permis de créer 1.897 emplois pour un coût moyen de 248.000 euros par emploi... (...)


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Messages

  • Vision un peu simpliste !!!
    Si des fonctionnaire vont dans les dom/tom c’est qu’il y a une demande non pas des fonctionnaires mais des dom/tom
    Connaissez vous les prix pratiqués sur ces iles tant au niveau logement que nourriture ? Savez vous qu’en polynésie l’electricité est la + chère du monde ? qu’une connexion ADSL 512kg coute 145€/mois ? Si cela vous interesse je peux vous donner plein d’autres prix .Un f2 se loue au minimum 1000€ et ainsi de suite .Pensez vous que ma femme avec ses 1800€ en metropole pourrait vivre la bas .
    He oui me femme est fonctionnaire et une formation spécialisée qu’ils n’ont pas en polynésie . A savoir que les demandes sont faites par les autorités polynésiennes et non pas par la métropole.
    Vous avez l’air aussi d’ignorer que les iliens travaillant en metropole ont aussi un congé bonifié et l’avion payé pour toute la famille.
    Si le popositions ne passent pas c’est peut etre aussi que bon nombre de politiques y ont des avantages aussi la bas.
    Votre article me fait penser que : chacun chez soi et tout irait mieux.
    Ok donnons leur leur indépendance , mais consultons les avant je ne suis pas sur qu’ils seraient d’accord . L’exemple de Madagascar est edifiant
    Le fonctionnaire gagne bien sa vie mais depense beaucoup ce qui fait vivre l’économie locale
    Pour info le RMI n’existe pas en polynésie
    Merci de m’avoir lu .Salutations

    Voir en ligne : La fonction publique d’outre-mer à nouveau ciblée

  • J’aimerais surtout savoir le nombre de demandes de mutations pour les dom, si la prime de vie chère était réduite à sa portion congrue, car nombre de matières, comme celle que j’enseigne : la philosophie ou d’autres dont l’enseignement est totalement absent sur les îles,ne seraient tout simplement plus pourvues. Un professeur de philosophie ne cherche que la proximité de la culture et si possible près de sa région d’origine, comme la plupart des enseignants. S’il y a des demandes pour l’outre-mer, c’est uniquement pour les raisons lucratives qu’elles comportent. Et qu’on ne nous dise pas que ces départements ne sont plus aussi éloignés. Le temps est peut-être réduit, mais le coût des trajets reste dissuasif. Si je reste en métropole, je peux, depuis n’importe quelle académie, retourner chez moi à Toulouse à chaque vacance ! La proposition de réduction de la prime est utopique, elle poserait un sérieux problème de recrutement depuis la métropole. Vous le savez bien. Faut-il en faire l’expérience ? Vos propres enfants se trouveraient en pénurie de d’enseignants dans certaines matières. Ne scions pas non plus la branche sur laquelle nous sommes assis !

    • Et si au lieu d’attendre que les fonctionnaires métropolitains veuillent bien venir donner des cours de philosophie à nos enfants, on formait nos enfants à devenir professeurs de philosophie ou autre ? La pluspart seraient ravis de pouvoir travailler dans leur île au lieu d’aller chercher du travail à 8000 Km ..... Les 40% freinent le développement des DOM et les maintiennent dans une dépendance forcée vis à vis de la métropole.

      La suppression de cette prime n’est pas une utopie, elle serait une décision raisonnable, à étaler sur 4 à 5 ans, le temps de former les jeunes bacheliers antillais qui ne demandent qu’à travailler chez eux !

  • Arrêtez de mettre tous les fonctionnaires dans le même sac ! Je voudrais quand même signaler que les salaires des "petits fonctionnaires" en Métropole n’est pas trés élévé par rapport au privé. J’en ai fait l’expérience : en 1977 j’ai quitté le privé où j’avais un salaire de 1.600 Frs pour rentrer dans le fonctionnariat pour un salaire de 1.200 Frs.... (?) Nous avions peut-être la sécurité de l’emploi, mais, çà, je m’en fous car je connais mes compétences dans le travail et j’ai une grande conscience professionnelle (ce qui n’est pas le cas de certains). Aussi, maintenant que je vis dans les DOM depuis bientôt 12 ans, je considère que le salaire indéxé que je perçois est le juste salaire que je devrais percevoir en Métropole au bout de 32 ans de carrière. Que celui qui n’est pas content vienne prendre ma place et il verra : à moi seule je gère 3 services, exerce des fonctions supérieures à mon grade et fais régulièrement des heures supplémentaires (non rémunérées). Mais je ne gagne pas plus pour autant. Il faut quand même différencier les catégories de fonctionnaires.... Je ne suis pas venue dans les DOM pour être riche... et je ne suis pas riche....

  • Très bon article. Je suis fonctionnaire à la Réunion et je confirme que ma vie au point de vue matériel a changé. Au lieu de finir le mois avec un léger déficit dû aux études de mes enfants, j’arrive désormais à mettre de l’argent de côté chaque mois et à partir en vacances, ce que je ne faisais plus depuis plusieurs années.

    Le coût de la vie est peut être un peu plus élevé sur l’île en ce qui concerne certains produits ( alimentation, voitures ) mais cela est compensé par des impôts moindres, l’absence de chauffage à payer, et des prix plus bas pour l’eau, le gaz, l’électricité, la redevance télé, l’essence et d’autres trucs.
    Je conseille donc à tous les fonctionnaires qui ont du mal à boucler leur mois de venir s’installer dans les Dom.

  • Je souhaite savoir quel est le statut du fonctionnaire retraité, vivant en Métropole et qui décide d’aller s’installer dans les DOM(résidence principale dans les DOM).Martinique ou Guadeloupe.?????
    Merci pour vos réponses et sites web officiels donnant des réponses claires et vérifiables.


Témoignages - 80e année


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