Tribune libre du Professeur André Oraison

La procédure à suivre pour la création d’une collectivité territoriale unique et efficiente à La Réunion

2 avril 2013

Le 11 mars dernier, le Professeur Oraison avait commencé à diffuser une tribune libre sous le titre « Radioscopie d’une réforme institutionnelle urgente : la création d’une collectivité territoriale unique et efficiente à La Réunion ». Le 18 mars, la deuxième partie expliquait « Le fondement de la création d’une collectivité territoriale unique à La Réunion ». La semaine dernière, le troisième volet donnait un coup de projecteur sur les avantages de cette réforme institutionnelle. Aujourd’hui, le Professeur Oraison décrit les étapes permettant de créer la collectivité territoriale unique.

La création par la loi d’une collectivité territoriale unique se substituant au département et à la région d’outre-mer est une réforme relativement simple à réaliser dans les DOM en général (A). Il existe néanmoins une spécificité procédurale importante qui concerne La Réunion et qui découle de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003.

Cette spécificité doit être prise en compte si l’on veut que le premier département français de l’océan Indien soit doté comme le second — Mayotte depuis le jeudi 31 mars 2011 — d’une collectivité territoriale unique et efficiente (B).

I. La procédure simplifiée déjà mise en œuvre pour la création d’une collectivité territoriale unique en Guyane et à la Martinique

L’article 73 de la Constitution a prévu « la création par la loi d’une collectivité se substituant à un département et une région d’outre-mer ». Son alinéa 7 souligne que cette réforme est démocratique dès lors qu’elle ne peut être réalisée « sans qu’ait été recueilli, selon les formes prévues au second alinéa de l’article 72-4, le consentement des électeurs inscrits dans le ressort de ces collectivités ». Dans son alinéa 2, l’article 72-4 précise la procédure à suivre : « Le Président de la République, sur proposition du gouvernement… peut décider de consulter les électeurs d’une collectivité territoriale située outre-mer sur une question relative à son organisation, à ses compétences ou à son régime législatif ».

Mais le gouvernement ne pourra faire de propositions au Président de la République qu’après avoir obtenu un feu vert des élus ultramarins intéressés par la réforme. Dans cette optique, une Loi du 13 décembre 2000 d’orientation pour l’Outre-mer (LOOM) avait en quelque sorte anticipé le souhait du Constituant de 2003. Son article 62 crée en effet une nouvelle institution dans les régions monodépartementales d’Outre-mer : le « congrès des élus départementaux et régionaux composé des conseillers généraux et des conseillers régionaux » et habilité pour délibérer sur « toute proposition d’évolution institutionnelle ».

Par la suite, cette institution a été mise à contribution dans les départements français d’Amérique : d’abord en Guyane dès le 29 juin 2001, puis à la Guadeloupe le 17 décembre de la même année et enfin à la Martinique le 4 mars 2002. Dans les trois cas, le congrès s’est prononcé pour le remplacement de la région et du département par une collectivité territoriale unique avec des compétences plus ou moins élargies [1].

Certes, l’institution du congrès a été écartée pour La Réunion. Rien n’empêche néanmoins le gouvernement de demander le feu vert des élus locaux. Au plan pratique, cet accord pourrait même être donné spontanément par les élus de La Réunion comme ce fut le cas en Alsace le 25 janvier 2013 : les élus alsaciens se sont en effet prononcés pour la fusion de leur conseil régional et leurs deux conseils généraux afin de donner naissance à une collectivité territoriale unique : la Collectivité territoriale d’Alsace [2].

Le feu vert des élus réunionnais pourrait plus précisément résulter d’une double résolution adoptée à la majorité absolue des membres du Conseil régional et du Conseil général en faveur du remplacement de la région et du département de La Réunion par une collectivité territoriale unique ayant les mêmes compétences et responsabilités que celles de la Guyane et de la Martinique.

Mais en cas de refus de leur part de se prononcer sur la réforme, le Président de la République ne pourrait-il pas prendre l’initiative de consulter les Réunionnais par la voie référendaire ? Pour le sénateur communiste Paul Vergès, la réponse est positive : « C’est pourquoi, devant l’absence, à La Réunion, de dispositif organisant, par un congrès, l’expression des conseillers généraux et régionaux, il appartient au Gouvernement de prendre l’initiative aboutissant à la consultation de la population, sur les modalités et les objectifs de la réforme »  [3].

Rappelons toutefois que la réforme outre-mer ne saurait être imposée par l’État : par respect pour l’esprit de la décentralisation, il est préférable que cette réforme ne soit pas initiée par le Pouvoir central, mais proposée par les élus réunionnais avant d’être obligatoirement ratifiée par une consultation populaire. Une loi est ensuite nécessaire pour mettre en forme la volonté des populations ultramarines concernées.

Rendue possible par la révision constitutionnelle du 28 mars 2003, la réforme qui vise à remplacer à La Réunion la région et le département par une collectivité territoriale unique n’est donc pas révolutionnaire. Elle n’est pas davantage hypothétique dans la mesure où elle a déjà été enclenchée dans les DOM de la Guyane et de la Martinique en 2010.

II. La procédure complémentaire à suivre pour l’institution d’une collectivité territoriale unique et efficiente à La Réunion

Au Palais du Luxembourg, le sénateur Paul Vergès avait déclaré le 4 octobre 2012 que, dans l’intérêt bien compris de La Réunion, « il nous faut donc faire comme en Martinique et en Guyane qui ont opté pour une collectivité territoriale unique »  [4].

Mais pour que la réforme soit efficiente pour les Réunionnais, il faut que soit mis fin, au préalable, à l’incompréhensible amendement constitutionnel déposé par Jean-Paul Virapoullé, à l’époque sénateur-maire UMP de Saint-André, et qui, après avoir été adopté par le Parlement, vise à limiter, dans un aliéna cinquième de l’article 73 de la Constitution, l’ampleur de la décentralisation à La Réunion, alors même que cette réorganisation administrative a été souhaitée et obtenue dans les autres Départements d’Outre-mer, y compris celui de la Guadeloupe.

En vérité, c’est le troisième alinéa de l’article 73 de la Charte fondamentale qui a posé un problème à Jean-Paul Virapoullé par son contenu. Le voici : « Par dérogation au premier alinéa et pour tenir compte de leurs spécificités, les collectivités régies par le présent article peuvent être habilitées, selon le cas, par la loi ou par le règlement, à fixer elles-mêmes les règles applicables sur leur territoire, dans un nombre limité de matières pouvant relever du domaine de la loi ou du règlement ».

Le Constituant reconnaît ainsi aux régions et aux départements d’outre-mer un pouvoir législatif et règlementaire à la suite d’une autorisation émanant du Parlement ou du Gouvernement. Mais afin d’éviter tout risque de dérapage, des « verrous » ont été prévus. Dans son alinéa quatrième, l’article 73 de la Constitution souligne que ce pouvoir législatif et règlementaire ne peut jamais s’exercer dans les matières régaliennes de l’État comme « la nationalité, les droits civiques, les garanties des libertés publiques, l’état et la capacité des personnes, l’organisation de la justice, le droit pénal, la politique étrangère, la défense, la sécurité, la monnaie, le crédit et les changes, ainsi que le droit électoral ».

Bien que nombreux et très importants, ces « garde-fous » n’ont pas paru suffisants ou convaincants à Jean-Paul Virapoullé. Aussi, celui-ci a-t-il jugé bon de déposer un amendement constitutionnel (amendement n°85) qui vise à compléter l’article 73 de la Constitution par l’adjonction d’un alinéa supplémentaire — l’alinéa cinquième — avec pour objectif avoué d’écarter la possibilité des « lois pays » à La Réunion, car de telles lois comportent, selon Jean-Paul Virapoullé, une sérieuse « menace d’autonomie législative » , elle-même considérée par le sénateur « comme l’antichambre de l’aventure et de l’indépendance ».

Adopté par le Pouvoir législatif après de multiples péripéties et malgré une désapprobation très nette affichée par Mme Brigitte Girardin, alors ministre en charge de la France d’Outre-mer, « l’amendement Virapoullé » s’est traduit par une exception très importante qui est injustifiée au regard du droit commun des DOM [5]. La voici formulée en des termes aussi lapidaires que péremptoires dans le cinquième alinéa de l’article 73 rénové de la Constitution : « La disposition prévue aux deux précédents alinéas n’est pas applicable au département et à la région de La Réunion ».

Une telle disposition qui vise à pétrifier ad vitam æternam le statut départemental dans le seul DOM de La Réunion n’aurait jamais dû être votée par le Parlement. C’est dire qu’une révision de la Constitution s’impose pour supprimer l’alinéa 5 de l’article 73, dès lors que ce dernier traduit un « manque de confiance manifeste » à l’égard des Réunionnais.

Cette révision est même un préalable à la création d’une collectivité unique destinée à se substituer à la région et au département. Elle est surtout nécessaire si l’on veut que les élus réunionnais aient les mêmes compétences et responsabilités que leurs homologues guyanais et martiniquais et puissent exercer un authentique pouvoir législatif et règlementaire par habilitation.

André Oraison, Professeur des Universités

(Enseignant en droit public à l’Université de La Réunion de 1967 à 2008)

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