Un rapport sénatorial confirme les peurs du Premier monde

La répression comme seule réponse à la crise d’un modèle ?

21 juillet 2012, par Manuel Marchal

Les propositions de la mission parlementaire passée à La Réunion quelques semaines après les émeutes sont édifiantes : 50% d’entre elles demandent plus de moyens pour le volet répressif des pouvoirs publics. Elles sont inspirées par la rencontre des sénateurs avec 40 personnes appartenant au Premier monde (fonctionnaires, élus et acteurs économiques et sociaux). Sachant que le rapport reconnait l’état de crise de La Réunion, est-ce à dire que face à l’impasse du système, il ne reste que la répression ? Voilà qui démontre une nouvelle fois l’importance d’élargir le rassemblement pour faire émerger un projet réunionnais de développement pour changer de société.

En février dernier, l’incapacité de Didier Robert à répondre à la revendication des automobilistes et des transporteurs suscite une large mobilisation dans toute l’île. Les émeutes débutent peu après et elles touchent la moitié des communes de l’île.
Pendant que des élus courent à la préfecture chercher un moyen de calmer la population, le pouvoir réprime. Les condamnations à la prison ferme pleuvent contre des jeunes. Les verdicts sont tellement graves qu’un collectif de solidarité se crée.

Le constat de l’impasse

C’est entre le 15 et le 18 mars qu’une mission sénatoriale composée de Jean-Pierre Sueur, Christian Cointat et Felix Desplan séjourne à La Réunion. Au cours de ses travaux, elle a rencontré 40 personnes (fonctionnaires, élus et acteurs économiques et sociaux), autrement dit, des membres du Premier monde. Elle a rendu son rapport mercredi. Le résumé de 4 pages confirme quelques éléments d’analyse largement partagée. Les sénateurs rappellent notamment qu’en 1945, « La Réunion est ruinée économiquement, physiquement et politiquement. Pour faire face à cette situation, l’île a besoin d’institutions modernes afin de repenser le système économique et de redonner une vigueur physique et morale à toute la population. Pour accomplir cette mutation, la transformation de l’île en département apparait comme historiquement la plus logique. La départementalisation vise également à marquer la fin de l’ère coloniale de la France et le début d’une nouvelle ère d’assimilation à la métropole ». Le 19 mars 1946, le statut colonial est aboli. Commente alors l’ère de l’égalité.
En mars 2012, au moment où des jeunes continuent à défiler à la barre des tribunaux, les sénateurs dressent alors un constat de la situation de notre pays.
Ils énumèrent nos défis. La démographie avec la perspective du million d’habitant ; celui de la jeunesse avec 60% des 15-24 ans privés d’emploi ; le défi scolaire et de l’illettrisme avec 110.000 illettrés dans notre pays ; le défi de la vie chère avec la reconnaissance de l’opacité dans la formation des prix. Les sénateurs y ajoutent le défi de la justice en lien avec ses moyens jugés insuffisants, et ceux de la sécurité civile et publique. Pour ce dernier point, les sénateurs notent un sentiment d’insécurité alimenté par une médiatisation des faits divers.
Une partie du rapport est consacrée à la situation budgétaire des collectivités réunionnaises. Les parlementaires sont inquiets à cause de la baisse de la consommation qui entraîne une diminution des recettes, en raison aussi des « charges de personnel importantes », de la hausse des dépenses sociales et des investissements qui doivent être faits.

Propositions détonantes

Sur la base de ce constat, la mission sénatoriale formule 22 propositions inspirées de leurs rencontres avec plus de 40 fonctionnaires, élus, acteurs économiques et sociaux. Une seule concerne l’emploi — « faciliter la création d’entreprises pour les jeunes entrepreneurs » —, deux visent la sécurité civile, six la lutte contre la vie chère sans objectif chiffré, une l’accès au droit et une demande la création de 8 postes de douanier à l’aéroport.
Tout le reste, soit 11 propositions, vise à accroître les moyens de l’institution judiciaire, à augmenter le nombre de gendarmes et à faciliter leur déplacement entre Mayotte et La Réunion par des réquisitions d’avion. Il est clair que ce ne sont pas des mesures qui permettent de remettre en cause le système injuste responsable de la crise.
Les émeutes de 2012 sont pourtant la manifestation de l’impasse d’un système. Une majorité de la population vit sous le seuil de pauvreté, et une partie d’entre elle s’est exprimée avec ses moyens lors des émeutes de février. À ce moment-là, le pouvoir a protégé les installations des monopoles et répondu favorablement à l’appel de ceux qui ont peur du changement : réprimer pour maintenir en l’état cette société.
C’est ce sentiment qui prévaut à la lecture des 22 propositions des rapporteurs. Aucune ne vise à favoriser le changement de la structure de notre société, la moitié tente de rechercher des moyens pour rester dans l’état actuel. Or nous ne vivons pas une crise passagère qui peut se régler par des rustines, c’est d’un projet de développement que nous avons besoin pour tout remettre en cause, en particulier les injustices qui excluent la moitié des Réunionnais du droit à un travail durable.

Manuel Marchal

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