Conférence-débat

La Réunion : Comment les élections du 21 octobre 1945 ont-elles ouvert la voie au 19 mars 1946 ?

22 octobre 2009

Le 21 octobre 1945 ont eu lieu des élections qui allaient permettre à la République Française de se doter d’une Assemblée législative, après l’effroyable guerre mondiale. À La Réunion, ce sont les candidats du CRADS, Raymond Vergès et Léon de Lépervanche, qui ont été élus. La voie était ainsi ouverte à la loi du 19 mars 1946. En abolissant le statut colonial et en proclamant l’Égalité entre les citoyens de la République, cette loi consacrait l’avènement d’une ère nouvelle de combats fondamentaux : liberté d’expression et d’opinion, reconnaissance identitaire, égalité… Actuellement, nous militons pour que le 19 mars soit reconnu et célébré, comme l’est devenu le 20 décembre 1848.
Un débat a eu lieu après plusieurs interventions : “Le 21 octobre ouvre la voie au 19 mars 1946”, Emilie Assati ; “La misère coloniale en 1945”, Risham Badroudine ; “Les victoires électorales en 1945 : le vote féminin”, Béatrice Leperlier ; “Une solution réunionnaise dans un contexte mondial bouleversé”, Geoffroy Géraud ; “L’avènement du PCR et son combat pour des droits fondamentaux”, Julie Pontalba ; “L’union sur l’essentiel, à la veille d’importantes décisions”, Ary Yee Chong Tchi Kan.

Voici des extraits de quelques interventions d’hier soir à Saint-Denis.

• Béatrice Leperlier

Les victoires électorales en 1945 : le vote féminin

Étudiante, Béatrice Leperlier a évoqué un changement irréversible lors de cette époque : le suffrage universel avec le vote des femmes.

En 1945, La Réunion se situe dans un contexte d’après-guerre, où l’on assiste à un effondrement social. C’est une année où l’on assiste aussi à une succession d’élections (municipales, législatives et cantonales). Mais c’est surtout l’année où, pour la première fois, les femmes participent aux différents scrutins. Élément nouveau donc et pas des moindres, qui va être au centre des scrutins.

Les Législatives du 21 octobre 1945 amplifient le processus engagé lors des premiers scrutins de mai qui avait donné la victoire aux élus du CRADS. Les forces réactionnaires s’opposent alors aux courants du changement. Nul d’entre eux n’ignore que le vote des femmes est un enjeu central.

Ainsi, deux idéologies s’affrontent.
D’un côté, le pari de l’aliénation des femmes et de la domination masculine est pris. Ils profiteront alors de l’Église, connue comme étant contre le CRADS. Il s’agissait, en fait, de se servir de la parole du curé qui passerait des consignes de vote leur étant favorables. Puis les femmes, obligatoirement convaincues, selon eux, de retour à la maison, propageraient l’idéologie.

Les forces progressistes, quant à elles, font le pari de la raison. Elles considèrent la situation comme suit : les femmes, étant au premier poste de l’oppression coloniale, subissent de plein fouet les violences, les risques liés à la grossesse, la mortalité infantile ou encore le coût de la vie. De ce fait, le discours de la décolonisation trouve chez elles un écho très favorable car elles ont pleinement conscience des injustices et des difficultés de la vie qu’elles subissent quotidiennement.

Les élections de ce 21 Octobre font triompher les forces progressistes avec Léon Lepervanche et Raymond Vergès. Nouvellement venues sur l’échiquier politique, les femmes ont fait le choix de la raison, leur vote fut indispensable dans cette victoire. Il correspond à un haut niveau de conscience en ce qui concerne la dramatique situation dans laquelle se trouve La Réunion, mais aussi une volonté de changement.
(…)

(…) Elles ont aussi pris conscience qu’il fallait, pour rompre avec cette domination coloniale, s’organiser afin de mener ensemble et fièrement les différents combats pour l’amélioration des conditions de vie. Par un acte isolé, c’est toute une dynamique qui se met en place et qui se concrétise en 1947 avec la création de la section locale de l’Union des femmes françaises qui défend notamment l’extension à La Réunion des mesures sociales votées en France.

Le point de vue des femmes qui se développe est le premier à tirer les conséquences du tour de passe-passe qui a lieu après 1946 : les droits sociaux alors conquis ne sont pas appliqués. (…)

Tout cela va emmener à la création en 1958 de l’Union des Femmes Réunionnaises qui succède à l’UFF et qui est dirigée par Isnelle Amelin qui remplace l’UFF.

Refusant d’être fatalistes, d’être soumises aux pouvoirs coloniaux, les Réunionnaises formulent politiquement un avenir meilleur et se battent dans ce sens. Leur vote décisif, leur volonté de s’organiser autour d’une institution antérieure aux partis politiques les placent à l’avant-garde de ces durs combats qui ont abouti à La Réunion d’aujourd’hui.


Geoffroy Géraud

Une solution réunionnaise dans un contexte mondial bouleversé

Journaliste à "Témoignages", Geoffroy Géraud rappelle le contexte politique international des élections législatives de 1945.

1945 : Alors que se clôt la page sanglante de la Seconde guerre mondiale, la question coloniale émerge comme contradiction monstrueuse.
En 1945, la France est libérée du joug des fascismes. Libérée par les Alliés, libérée aussi grâce au sacrifice à l’Est du peuple soviétique. Mais libérée aussi par elle-même par la participation décisive des troupes issues des colonies.
Il y a là des Nord-Africains, des Africains de l’Ouest. À leur échelle, les Réunionnais participent à l’effort de libération. Jacques et Paul Vergès, Bruny Payet sont de ceux-là.

Dans l’esprit des colonisés, ce don du sang devait nécessairement fonder un nouveau pacte, qui mettrait fin à l’oppression et au mépris colonial.
Cette invitation des dominés à la Fraternité et à l’Égalité, la France ne la voit pas.
Symbole de cette incompréhension tragique, la date du 8 Mai 1945 : alors que le peuple de France célèbre la victoire sur la barbarie nazie, l’armée française s’engage en Algérie, à Sétif et à Guelma, dans de vastes opérations de répressions qui feront des milliers de morts civils du côté algérien.

(…)

En-dehors de la France, ce sont tous les Empires coloniaux qui amorcent leur déclin. (…)
Dans ce contexte d’un bouillonnement qui annonce les grands conflits coloniaux, les responsables progressistes réunionnais s’ancrent sur la voie de la revendication sociale et de l’accès pacifique à la décolonisation. (…). Ultérieurement, c’est le pouvoir parisien qui prendra la responsabilité de l’action violence contre le mouvement démocratique, et tentera d’importer à La Réunion la violence des guerres coloniales qui se déroulent dans d’autres portions de l’Empire.

Cette amplification de la violence atteindra son comble avec le Préfet Perreau-Pradier, qui ne laissera aux élus du peuple que le choix de se soumettre ou de se démettre.
Plus profondément, la solution choisie par le peuple et réalisée par Raymond Vergès et Léon de Lépervanche opère un tournant décisif par rapport à certaines facettes de l’héritage réunionnais.
Par deux aspects, le mandat populaire exprimé le 21 Octobre 1945 rompt avec des orientations réactionnaires présentes dans le passé.
Tout d’abord, la décolonisation réunionnaise est ancrée dans la République.

(…)

Le choix du 21 Octobre 1945 est porteur d’une autre rupture fondamentale avec le rêve de la colonie colonisatrice, par laquelle la bourgeoisie réunionnaise se voyait à la tête d’un micro-impérialisme dans l’océan Indien.
(…)

Le choix de 1945 est porteur d’un autre choix : formulé par des hommes de progrès, il énonce la solidarité internationale qui sera un souci constant des progressistes réunionnais.

À l’heure où s’annoncent des bouleversements et des transformations d’une ampleur comparable au basculement de 1946, le 21 octobre 1945 doit nous interpeller. Car si le contexte est fort différent, le temps long impose sa loi.
Les problèmes d’aujourd’hui déclinent ceux d’hier.

(…)

Comme en 1945, les Réunionnais doivent choisir une voie : à la veille de la décision de Paris et du Sommet de Copenhague, nous proposons le co-développement comme alternative à l’ultralibéralisme.


• Ary Yee Chong Tchi Kan

L’union sur l’essentiel, à la veille d’importantes décisions

S’unir sur l’essentiel, à la veille de décisions importantes

Ary Yee Chong Tchi Kan souligne que les Réunionnais possèdent la capacité de se rassembler pour faire avancer des revendications essentielles à un moment décisif de leur Histoire.

Les intervenants qui m’ont précédé ont montré qu’en 1945, les réalités économiques, sociales, politiques et culturelles étaient dramatiques. Il fallait s’en sortir. La population a choisi pour la première fois son destin collectif. Le 21 octobre 1945, c’est le peuple qui vote. C’est le peuple réunionnais qui décide, en son âme et conscience. Les Réunionnais auraient pu ne rien changer et opter pour le statut quo colonial. Ils auraient pu suivre le chemin de l’indépendance comme d’autres colonies. Ils ont choisi un chemin original : l’Égalité dans le cadre de la République Française. La décision n’est pas venue de Paris.

(…)

64 ans après le choix des Réunionnais, quelles leçons devons-nous retenir ?

La responsabilité politique. En 1945, il y a eu un débat entre Réunionnais, sur l’avenir de La Réunion. Les élections du 21 octobre ont tranché le débat Réunionnais. La Réunion est reconnue comme une entité politique majeure.
La maturité politique. Les débats ont porté sur l’avenir de La Réunion : économique, social, culturel et politique. Ce fut une réflexion globale. Et une solution globale a été trouvée. (Déclaration de Césaire). (…)
La solidarité républicaine. En mars 1946, soit 4 mois après le scrutin, à la suite d’un débat à l’Assemblée Constituante, c’est quasiment à l’unanimité que le projet global issu de la légitimité réunionnaise a été accepté. C’est un acte de solidarité républicaine.
Probablement, l’ampleur de la crise, après les désastres de la 2ème Guerre mondiale, avait pesé dans la sagesse du moment. C’est la conclusion éphémère que nous pouvons tirer quand nous savons la suite : les sanglantes guerres coloniales, d’un côté, et de l’autre, la répression contre les responsables politiques Réunionnais, avec au bilan, 60 ans de retard qui ont bloqué le développement de La Réunion.

(…)

En refusant d’appliquer la loi de 1946, notamment l’article 2, c’est un cas typique de dénie de démocratie.

(…)

Nous sommes à la veille de décisions importantes, dans un contexte structurel de retard de développement et de difficultés financières sans précédent.
Le Président de la République a décidé de convoquer un Conseil interministériel consacré à l’Outre-Mer, le 6 novembre. Puis, il a décidé de s’adresser directement à 1.000 personnalités ultramarines qu’il compte inviter pour la circonstance.

(…)

Le Président actuel tire sa légitimité du scrutin de février 2007. Son programme n’a pas reçu l’assentiment des populations ultramarines, et à La Réunion, il a eu la sanction négative de 60% des exprimés. C’est l’expression démocratique d’une profonde crise de confiance qui nécessite un changement total des perceptions et des perspectives.

L’initiative de l’Alliance est très intéressante car elle avait anticipé cette hypothèse. Forte de sa connaissance de la société réunionnaise ainsi que de la confiance dont elle jouit auprès des électeurs, l’Alliance à La Réunion avait validé ses propositions le 11 février 2007, un mois avant le scrutin, et les avait soumis à l’examen des candidats en lice. Dès réception de leurs remarques, l’Alliance les a rendues publiques… En toute transparence et respect.

Cette démarche innovante a évité que le débat politique ne s’enlise dans la division selon des intérêts partisans et parisiens, extérieurs aux préoccupations criantes de la population réunionnaise. Elle a permis de sauvegarder les intérêts collectifs réunionnais.

(…)

Les atouts de La RéunionA la Une de l’actu19 mars

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