La Cour des Comptes et les salaires des fonctionnaires dans les anciennes colonies intégrées à la République

La surrémunération favorise la vie trop chère et les inégalités

14 septembre 2023, par Manuel Marchal

Dans une enquête adressée au chef du gouvernement français, la Cour des Comptes rejoint une analyse communiste portée notamment par Paul Vergès : la surrémunération favorise la vie trop chère et les inégalités. Comme l’État est responsable de cette situation à l’origine de troubles à l’ordre public, il lui appartient de la corriger. Le temps de remettre en cause la structure néo-coloniale responsable de la surrémunération, Paris peut dans l’urgence permettre aux classes sociales les plus défavorisées d’avoir droit aussi à des revenus majorés par rapport à la France. A Paris de payer pour tout cela.

Voici un extrait d’une enquête de la Cour des Comptes adressée au chef du gouvernement français, datée du 8 juin et rendue publique sous le titre « Les compléments de rémunération des fonctionnaires outre-mer » :

« L’un des objectifs des compléments de rémunération outre-mer était d’y réduire le différentiel de coût de la vie avec la métropole (sic). Or, l’analyse des effets économiques de ce dispositif tend à montrer qu’il pourrait avoir l’effet inverse. Les compléments de rémunération créent un marché de consommation garanti, permettant aux importateurs et aux distributeurs de maintenir un niveau de prix élevé, dans un contexte de faiblesse de la concurrence due à la structure oligopolistique des secteurs de la distribution. Plutôt que de lutter contre les effets de la vie chère, l’effet des compléments de rémunération sur les prix, la part de l’emploi public dans les territoires ultramarins mais aussi l’extension progressive au secteur parapublic et à une partie du secteur privé, sont autant de facteurs qui, en augmentant le coût de la vie, vont à l’encontre de l’objectif initialement souhaité. Ils accentueraient également les inégalités sociales au sein des sociétés ultramarines (sic), entre les salariés qui bénéficient de cette disposition et ceux qui n’y ont pas accès. »

La CGT revendiquait l’égalité des salaires, pas la surrémunération

Cette analyse de la Cour des Comptes explique que la surrémunération est une des causes de la vie chère et de l’accroissement des inégalités à La Réunion. Elle rejoint une analyse communiste, notamment portée par Paul Vergès. Dans une structure néo-coloniale comme l’est l’économie de La Réunion, la surrémunération accentue des inégalités déjà intolérables compte tenu du fort taux de chômage, et de la faiblesse des salaires par rapport à des prix abusifs.
Pour bien comprendre le rôle de la surrémunération dans la société réunionnaise, il importe de rappeler la situation au moment de l’abolition du statut colonial en 1946. Une centaine de fonctionnaires d’État avaient un régime salarial d’expatriés avec un revenu plus de deux fois supérieur à celui qu’ils avaient en France à poste équivalent. Les milliers de fonctionnaires exerçant à La Réunion relevait d’un cadre local. Leur salaire était inférieur à celui qu’ils auraient touché en France à poste équivalent. La revendication de la CGT, dont l’émanation politique était le CRADS au pouvoir à La Réunion, était l’égalité « franc pour franc » des salaires avec la France.

Paris créa une classe sociale qui lui devait tout

Paris prit une autre décision. Le pouvoir décida d’étendre à la totalité des fonctionnaires, à l’exception notable des travailleurs du chemin de fer fortement revendicatifs, le régime des expatriés avec effet rétroactif. Comme la direction de la CGT à La Réunion était largement composée de fonctionnaires, il s’agissait de museler le mouvement social en utilisant l’argent.
Un autre aspect était de rendre possible à La Réunion l’importation de marchandises de luxe produites en France comme les automobiles, l’électro-ménager… en créant de toutes pièces une classe sociale ayant des revenus suffisants pour acheter ces produits. Ainsi, cette nouvelle classe sociale devenait la nouvelle référence, tout en devant sa promotion au pouvoir parisien. Elle était déconnectée de l’économie du pays : les revenus de cette nouvelle classe sociale n’avaient aucun lien avec la production de richesses à La Réunion. L’Ordonnance Debré précisait le cadre idéologique de la création de cette classe sociale : un fonctionnaire d’Etat ne pouvait pas être un responsable communiste sous peine d’exil en France.
La croissance démographique et la lutte pour que les Réunionnais puissent bénéficier des mêmes services publics qu’en France allait faire considérablement augmenter les effectifs de cette nouvelle classe sociale : de à peine 2000 à plus de 60000 actuellement sans compter les fonctionnaires titulaires des communes et autres collectivités qui ont aussi la surrémunération.
Aujourd’hui, c’est cette classe sociale qui a remplacé l’aristocratie du sucre dans les assemblées politiques. La majorité des parlementaires, conseillers départementaux ou régionaux et maires bénéficient de la surrémunération en tant que fonctionnaire ou profession libérale. Comme une classe sociale ne se suicide jamais, il ne faut pas compter sur cette classe politique pour demander l’abrogation de la surrémunération. Et cela d’autant plus que le fonctionnaire surrémunéré peut être un acteur de la solidarité financière au sein d’une famille touchée par le chômage.

La vie trop chère et les inégalités à l’origine des grands mouvements sociaux

Il importe donc à l’État d’agir sans que La Réunion soit pénalisée. La Cour des comptes fait des propositions en ce sens. Elle suggère notamment d’établir un véritable différentiel des prix entre la France et chaque ancienne colonie. Ce sujet est complexe, car c’est notamment dans l’alimentation que ce différentiel est plus élevé, à la différence du carburant et de produits qui ne sont pas de première nécessité. Néanmoins dans l’urgence, ce différentiel appliqué aux fonctionnaires pourrait aussi être étendu et majoré à celles et ceux qui survivent avec le RSA et autres minima sociaux. Quant aux travailleurs payés majoritairement au SMIC, ils doivent eux aussi bénéficier d’une compensation pour faire face à l’inévitable hausse des prix qu’entraînerait une extension de la surrémunération à une autre classe sociale. Responsable de l’introduction de la surrémunération à La Réunion, c’est à l’État de payer tout cela.
La balle est dans le camp de l’État, responsable du respect de l’ordre public à La Réunion.
Chaque mouvement social important à La Réunion a pour origine des prix trop élevés. Ce fut le cas pour le COSPAR en 2009, et lors des gilets jaunes en 2018. Ces troubles à l’ordre public découlaient également du ras-le-bol par rapport aux inégalités. Or, la surrémunération favorise d’une part la vie chère en gonflant artificiellement le pouvoir d’achat d’une classe sociale, et d’autre part les inégalités avec le reste de la population qui n’en bénéficie pas.
Responsable de la situation, Paris doit mettre les moyens pour la corriger au bénéfice de l’intérêt général.

M.M.

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