États-généraux : en avant le projet réunionnais —3—

La violence institutionnelle : deux ans et demi de perte de temps et d’énergie

15 octobre 2009, par Manuel Marchal

L’Outre-mer connaît une crise de confiance. Elle s’est illustrée dans l’élection présidentielle, où le projet du futur président de la République a été rejeté par près de 60% des électeurs dans les DOM. Redonner espoir à la population, c’est proposer une alternative de rupture, aussi bien dans le contenu que dans la méthode. Cette alternative était là avec le document de l’Alliance. Il avait pour avantage d’être ni de droite ni de gauche, car tous les candidats à la présidentielle l’ont accepté. Au lieu de s’appuyer sur ce document fédérateur pour concrétiser l’engagement du président de la République, on a préféré faire autrement et choisir la voie de l’affrontement institutionnel. C’est quelque chose que l’on avait pas vu à La Réunion depuis l’époque du préfet Perreau Pradier. Et deux ans et demi plus tard, la crise est encore plus profonde.

Le 5 mars dernier, des dizaines de milliers de Réunionnais défilent à Saint-Denis et à Saint-Pierre. Ils demandent des mesures urgentes pour faire face à la baisse du pouvoir d’achat, et plus largement pour contrer les effets d’une crise qui se manifeste par une hausse importante du chômage.
Ce mouvement social qui concerne tous les DOM, c’est le signe du fossé qui s’accroît entre le peuple et le pouvoir. L’État est interpellé dans des domaines qui relèvent directement de sa compétence. Pour éteindre l’incendie au plus vite, l’État décide donc de diminuer les prix des carburants et du gaz. Vient ensuite le temps de la négociation. Et comme aux Antilles et en Guyane, l’État annonce qu’il est prêt à donner tout de suite 100 euros par mois à tous les salariés qui gagnent en dessous de 1,4 SMIC, mesure devant s’appliquer pendant 36 mois à compter de ce mois de mars. Cette mesure concerne plus de 110.000 Réunionnais, c’est le RSTA, spécifique aux DOM. Il comble le vide créer par le report de l’application du RSA dans les DOM. Mais à la différence de ce dernier, il est réservé aux salariés.
Six mois après ces manifestations, les problèmes persistent. Par exemple, le BTP a déjà perdu 5.000 emplois depuis le début de l’année.

Des engagements déjà signés

Ce tableau catastrophique, c’est le résultat d’une stratégie : la violence institutionnelle.
Un autre choix est pourtant possible. Il s’agit de demander aux Réunionnais d’élaborer un projet capable d’apporter des réponses à leurs problèmes. C’est la démarche qu’avaient suivis l’Alliance et son président Paul Vergès. Une plate-forme issue de cette concertation a été rédigée et adressée aux candidats à la présidentielle. Cette démarche a été validée par le futur président de la République. Dans sa réponse au président de l’Alliance, Nicolas Sarkozy affirmait que la signature de l’État pour les grands projets ne sera pas remise en cause.
Quant aux mesures urgentes et à plus long terme, le futur chef de l’État notait une convergence de vue avec sa vision du futur de l’Outre-mer.
Peu de temps après la nomination gouvernement en mai 2007, Michèle Alliot-Marie, ministre de l’Intérieur et de l’Outre-mer, réaffirmait la volonté de l’État de respecter les engagements signés dans le Protocole de Matignon. Même déclaration de la part de Christian Estrosi, secrétaire d’État à l’Outre-mer, lors de sa visite à La Réunion.

Une crise aggravée

Mais au lieu de cela, c’est la violence institutionnelle qui a été utilisée pour essayer de régler les problèmes à la place du partenariat. Il s’agissait également, en recourant à cette stratégie, de satisfaire les intérêts des perdants frustrés des municipales et des cantonales de mars 2008.
Ceux qui ont orienté le gouvernement dans cette voie pensaient pouvoir détourner l’attention des Réunionnais des vrais problèmes. Ils ont voulu diriger la colère des Réunionnais contre d’autres Réunionnais.
Le coup était précisément dirigé contre le président de l’Alliance, qui avait pourtant proposé l’alternative qui a suscité l’intérêt de Nicolas Sarkozy.
Cette violence a connu plusieurs points d’orgue. En novembre, pour tenter de protéger les pétroliers, des camionneurs sont partis encercler la Région en sortant de la préfecture. Et au mois de juillet, une grossière manipulation tentait de faire croire au Premier ministre que les élus locaux étaient la cible des insultes des Réunionnais.
Cette violence institutionnelle a donné le résultat électoral que l’on sait : 0 élu sur 4 lors des élections partielles du 4 octobre dernier. Et elle a coûté cher à 800.000 Réunionnais.
En effet, lorsque Nicolas Sarkozy lance les États-généraux, il propose une sortie de crise utilisant la voie du partenariat plutôt que celle de l’affrontement. C’est ce qui était possible dès le lendemain des élections de 2007, et les Réunionnais avaient su anticiper cette échéance en proposant un projet. Deux ans et demi ont été perdus dans une stratégie d’affrontement qui n’a fait qu’aggraver la crise à La Réunion.

Manuel Marchal


Un objectif de la violence institutionnelle

Veut-on montrer que les élus locaux ne servent à rien ?

Lors de ces deux ans et demi, rien n’a avancé sur des questions essentielles qui dépendent directement de la compétence de l’État.
L’État a accumulé plus de 270 millions d’euros de dettes envers le Conseil général. Cela n’a pas provoqué la moindre initiative de la part du fonctionnaire représentant l’État à La Réunion visant à annoncer le remboursement par l’État de sa dette.
Pour régler la question du prix des carburants au mois de novembre, les collectivités ont dû payer 2,5 millions d’euros. Dans les autres DOM, ce sont les pétroliers et l’État qui ont payé. Aucun fonctionnaire ne peut être fier d’avoir avalisé un accord qui oblige les collectivités à payer à la place des pétroliers. On attend toujours une initiative du représentant de l’État pour amener le remboursement aux collectivités de cette somme injustement prélevée.
Sur la question du dialogue social, on a vu un fonctionnaire s’inviter sur les deux plateaux des journaux télévisés pour dire qu’il était prêt à signer un accord selon ses conditions, alors que le COSPAR faisait une contre-proposition qui était durable et plus consensuelle.
La stratégie de la violence institutionnelle avait pour résultat d’orienter la colère de la population vers les élus locaux, et tentant de faire croire que ces derniers étaient les responsables de tous les problèmes (prix des billets d’avion, prix des carburants, vie chère…). À contrario, la violence institutionnelle présente l’État comme le seul capable de résoudre les problèmes (reprise en main de la continuité territoriale…)
C’est à se demander si l’objectif poursuivi n’est pas de démontrer que les élus locaux ne servent à rien, et que le seul capable d’apporter la solution est un préfet aux pouvoirs élargis ? Le risque, ce sont des dérives où le représentant de l’État peut être bien plus facilement mis au service d’intérêts privés, car qui le contrôlerait ?

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