À une semaine du débat sur la réforme institutionnelle à l’Assemblée nationale, Paul Vergès est le seul parlementaire réunionnais qui s’est exprimé sur cette question

Le gouvernement doit prendre l’initiative de consulter les Réunionnais sur les modalités et les objectifs de la réforme institutionnelle

11 février 2013

Nous sommes aujourd’hui à une semaine du grand débat sur la réforme territoriale à l’Assemblée nationale. Au Sénat, ce projet de loi avait été l’occasion pour Paul Vergès de rappeler la proposition de la sagesse : « une réforme institutionnelle initiée par le gouvernement (…) aboutissant à la consultation de la population, sur les modalités et les objectifs de la réforme ». Paul Vergès est à ce jour le seul parlementaire réunionnais du Sénat et de l’Assemblée nationale à s’être exprimé à ce sujet. Étant donnée l’importance de la question pour notre pays, dans la perspective du débat du 18 février prochain à l’Assemblée nationale, nous reproduisons le texte de son intervention au Sénat, le 15 janvier dernier.

Nous sommes aujourd’hui face à un rendez-vous important. Il n’a échappé à personne que ces deux projets de loi que nous étudions aujourd’hui préfigurent l’acte III de la décentralisation.

Ces projets de loi sont donc une première étape.

Nous prenons acte que ce projet de loi, pour son application dans la France hexagonale, est marqué par la double volonté du gouvernement :

- d’une part, ne pas toucher à l’architecture actuelle de l’organisation administrative, en maintenant le Conseil régional et le Conseil général ;

- d’autre part, à réaménager les compétences qui leur sont actuellement dévolues.

Le gouvernement a donc décidé de maintenir un Conseil général par département et un Conseil régional regroupant plusieurs départements.

Pour la France, il s’agit donc d’une adaptation à une nouvelle situation économique et sociale et à son intégration à l’Europe.

Le débat est ouvert.

Situation tout à fait différente à La Réunion

Concernant La Réunion, la situation est tout à fait différente.

Elle est à 10.000 kilomètres de la France et de l’Union européenne. C’est le problème fondamental.

Nous nous acheminons vers une rupture historique.

Les quatre Départements d’Outre-mer, issus de la loi du 19 mars 1946, sont également régis par la loi intégrant les régions d’Outre-mer, elles-mêmes devenues Régions Ultrapériphériques de l’Union européenne.

Or, dans ces régions, la Martinique et la Guyane sont désormais en dehors du projet actuel, tandis que la Guadeloupe et La Réunion y sont intégrées.

Ainsi, en ce qui concerne les Départements d’Outre-mer, la situation actuelle se traduit par une division entre, d’une part, ceux qui ont opté, comme la Martinique et la Guyane, pour une collectivité unique et, d’autre part, la Guadeloupe et La Réunion, qui garderaient, sur le même territoire, un Conseil général et un Conseil régional.

Cette réforme va donc diviser institutionnellement le bloc des 4 « vieilles colonies » devenus Départements et Régions d’Outre-mer.

Le grand défi

Il faut bien comprendre les problèmes posés.

Comment réformer ces collectivités territoriales issues de l’intégration actuelle dans la République française et comment les placer dans une perspective de cohérence plus large et d’avenir ?

Or, l’essence même de la réforme nous pose un problème : logiquement, les régions françaises regroupent plusieurs départements.

Mais les 4 régions d’Outre-mer sont monodépartementales.

Comment donc répondre à la philosophie de la réforme qui vise à regrouper plusieurs départements, alors que nous-mêmes n’en avons qu’un seul ?

C’est, outre-mer, la double représentation institutionnelle du Département et de la Région sur un même territoire qui est en cause.

La Martinique et la Guyane en ont tiré les leçons.

Par ailleurs, les régions de la France continentale s’intègrent dans une unité géographique, elle-même intégrée à l’Europe.

Comment, à La Réunion, à 10.000 km, pouvons-nous nous intégrer dans une telle réforme ?

En revanche, les mouvements d’intégration des différents pays de l’Afrique orientale sont en marche, dans une zone comprenant les îles de l’océan Indien (Maurice, Madagascar, les Seychelles, les Comores), toutes participant à un regroupement qui comptera plusieurs centaines de millions habitants dans quelques décennies.

Ce regroupement sera lié à l’Union européenne — dont la France — par des Accords de partenariat économique — les APE — qui seront tout prochainement signés.

C’est donc un grand défi qui nous est posé : comment concilier, dans le même temps, les siècles d’intégration de La Réunion dans la France et les décennies d’intégration dans l’Union européenne, à 10.000 km, avec notre intégration dans notre environnement géographique ?

Voilà le problème qui nous est posé : il ne peut se résoudre par une loi électorale, élaborée pour un contexte différent du nôtre.

Le Conseil général était une assemblée unique

C’est pourquoi, hors Guyane et Martinique, la Guadeloupe et La Réunion sont confrontées à l’application de cette loi, mais de façon différente.

Car, contrairement à la Guadeloupe qui dispose d’un congrès, La Réunion, par une disposition spécifique et particulière, se trouve interdite du droit de faire connaître son opinion.

Pour cela, il faudrait parvenir à une réforme institutionnelle initiée par le gouvernement.

La Réunion était une colonie. Il y a eu, compte tenu de la modestie de son territoire, et de l’importance de sa population, une assemblée unique ; ce fut l’Assemblée législative, sous le régime colonial, puis le Conseil général.

Dans la période de l’intégration départementale, et de l’avènement de la décentralisation, sur l’initiative du Président de la République François Mitterrand, une loi a été votée en 1981, instituant une assemblée unique dans les quatre Départements d’Outre-mer, comme en Martinique et en Guyane aujourd’hui.

Seule une erreur de référence sur un article constitutionnel a fait annuler la loi votée.

Depuis, la situation géoéconomique et institutionnelle de ces Départements et Régions d’Outre-mer a évolué, à la fois par rapport à l’Europe, avec la création des Régions Ultrapériphériques (les RUP), et, dans le même temps, l’intégration économique des pays de l’Afrique de l’Est et des îles de l’océan Indien.

« Nous regrettons de ne pouvoir prendre part au vote »

Le simple principe de précaution exige que ce problème soit discuté par les intéressés eux-mêmes comme en Martinique, en Guyane et en Guadeloupe.

C’est pourquoi, devant l’absence, à La Réunion, de dispositif organisant, par un congrès, l’expression des conseillers généraux et régionaux, il appartient au gouvernement de prendre l’initiative aboutissant à la consultation de la population, sur les modalités et les objectifs de la réforme.

En un mot, faut-il privilégier la vision d’avenir de la Martinique et de la Guyane, de maintenir la citoyenneté française de leurs habitants, tout en adaptant leurs institutions à leur développement et à leur environnement géoéconomique ou, au contraire, se maintenir dans une région monodépartementale, où coexistent une Région et un Département sur un petit territoire ?

Il ne faut entretenir aucune confusion sur l’objet de cette réforme outre-mer : qui peut oser dire qu’il est plus Français qu’un Martiniquais, qu’un Guyanais à la suite de cette réforme, respectueuse de la Constitution ?

Il s’agit donc d’un appel au gouvernement et à la population à examiner une situation concrète, à concilier le passé historique et l’avenir, à réfléchir sur la réforme instaurée en Guyane et en Martinique.

Tout cela explique notre position sur ce projet de loi : nous regrettons de ne pouvoir prendre part au vote.

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