Les DOM-TOM dans le collimateur de Bercy

3 juin 2008

Le vent tourne pour les Départements d’Outre-mer : plafonnement des avantages fiscaux, réforme de la défiscalisation. Mais ces territoires peuvent-ils s’en passer ?

Un impôt minimum qui ne dit pas son nom ! Christine Lagarde, en annonçant le plafonnement des 5 niches fiscales (outre-mer industriel, outre-mer immobilier, immobilier Malraux, Monuments historiques, LMP), pour lesquelles il n’existe aujourd’hui aucune limite, ne fait pas autre chose que l’instituer. Il sera en effet difficile à l’avenir à un contribuable d’annuler son impôt sur le revenu, à moins de multiplier artificiellement les investissements et pour des montants démesurés qui rendront ces opérations inopportunes.
Cette proposition vise à gommer l’impact négatif dans l’opinion publique de la loi Tepa, qui a renforcé le bouclier fiscal et permis de défiscaliser tout ou partie de son ISF (Impôt Sur la Fortune). « C’est une mesure de justice fiscale », plaide le gouvernement. Comment accepter que les Français les plus riches s’exemptent de l’impôt et que ce dernier soit à la charge unique des classes moyennes ?
Ainsi, selon le rapport de la commission des Finances de l’Assemblée nationale, la défiscalisation que réalisent les 1.000 contribuables les plus aisés atteint 300.000 euros par foyer. Et, dans ce package, les investissements dans les DOM-TOM en représentent plus de deux tiers. Difficile de croire, dans ces conditions, qu’ils pourraient échapper comme en 2006 à toute tentative de réforme. A l’époque, ils avaient ainsi été exclus du projet Villepin de plafonnement des niches fiscales et, de ce fait, avaient été la cause de la censure du texte par le Conseil constitutionnel.
Ne voulant pas renouveler la même erreur, Christine Lagarde a décidé de les plafonner. Une décision qui n’est pas sans conséquence pour les économies des territoires concernés : Martinique, Guadeloupe, Réunion, Guyane, Nouvelle-Calédonie, Polynésie française, Wallis-et-Futuna, Saint-Pierre-et-Miquelon, Mayotte. D’autant que le secrétaire d’Etat à l’Outre-mer prépare parallèlement un projet de loi qui supprimera certains avantages au profit d’autres mesures qu’il espère plus efficaces. Ces territoires peuvent-ils en effet se passer de toute défiscalisation ? « Il s’agissait de relancer les investissements en rompant avec la politique d’assistanat et, surtout, en tenant compte des handicaps structurels : l’insularité qui renchérit les coûts de transport, les aléas climatiques... », explique Brigitte Girardin, auteur de la loi mise en cause. La caractéristique de ces territoires est d’être dans une situation de concurrence inégale : par rapport à leurs voisins qui jouissent de tout autres conditions d’exploitation, avec une main-d’œuvre bon marché, et par rapport à la Métropole...
Le meilleur a alors côtoyé le pire ! Et plus souvent le pire que le meilleur. La défiscalisation a été créée en 1986 par la loi dite Pons, du nom du ministre de l’Outre-mer de l’époque. « C’était le Far West. Certains contribuables n’hésitaient pas à détourner la loi défiscalisant leur impôt alors même qu’aucune somme n’était investie sur place : les hôtels n’étaient pas exploités, des bateaux de croisière pas livrés... A contrario, de nombreux contribuables ont été floués par des vendeurs de défiscalisation peu scrupuleux. Et, de surcroît, se sont faits contrôler pour avoir choisi ce type de défiscalisation », témoigne un expert en défiscalisation.
En revenant au pouvoir, la gauche en durcit les conditions. Ce fut la loi Paul de 2001. Le principe de la défiscalisation était conservé, mais les avantages réduits. Le résultat fut immédiat : les investissements chutèrent de 26% en 2002 et encore de 15% en 2003.

Plafonner n’est pas supprimer

Vint alors la loi Girardin de juillet 2003, la dernière en date. « Dérogeant avec les pratiques antérieures qui instituaient ces avantages dans le cadre d’une loi de finances sujette à modifications tous les ans, il fut décidé une loi-programme qui, par sa durée - 15 ans -, sécuriserait les investisseurs tout en instituant une évaluation triennale des dispositifs », explique Brigitte Girardin. Autres nouveautés : la loi modulait les taux de défiscalisation de 50 à 70% en fonction de l’intérêt des projets pour l’économie locale et renforçait les contrôles en amont en exigeant l’obtention d’un agrément pour toute opération. Celui-ci était délivré pour les petits investissements par les autorités locales et pour les gros par Bercy, après consultation des ministères concernés. « Pour la première fois, nous mettions l’accent sur la rénovation du parc hôtelier afin d’améliorer la qualité au regard de la demande, souligne encore Brigitte Girardin. Un an après, les investissements avaient progressé de plus de 53% et le chômage reculé de 8%, sous l’effet notamment du redressement de l’activité de BTP ».
Le bilan, quel est-il ? Entre 2000 et 2006 (dernier chiffre connu), le montant des investissements réalisés grâce à la défiscalisation est de 7 milliards d’euros, dont 1,3 milliard pour la seule année 2006. Des 852,27 millions d’euros soumis à l’agrément de Bercy, 28% ont été réalisés aux Antilles, 22% à La Réunion... 14% ont profité à l’hôtellerie, 15% au logement, 11% à l’industrie. Ils ont permis le développement d’activités comme la plaisance ou résorbé une partie des déficits en logements.
Pour les défenseurs de cette loi, les Départements d’Outre-mer ne peuvent pas se passer d’aides. « Un plafonnement des avantages fiscaux risque d’avoir le même impact qu’a eu en son temps la loi Paul : une forte diminution des projets, estime Jean-Christophe Antkowiak, expert en défiscalisation. Sans eux ou sans subventions publiques, les investissements, qu’ils soient industriels ou immobiliers, ne sont pas viables ». Que ce soit dans la navigation de plaisance, l’hôtellerie...
Le problème est politique, voire éthique, car, sur le strict plan financier, il se résume pour l’Etat, au dire de tous les experts de l’Outre-mer, à arbitrer entre un manque à gagner - 780 millions d’euros en 2008, selon le rapport de Bercy - et une dépense sous forme d’aides et de subventions. Yves Jégo, secrétaire d’Etat à l’Outre-mer, ne dit d’ailleurs rien d’autre quand il affirme qu’il fera tout pour conserver intact le montant des investissements outre-mer, que le plafonnement est une mesure de justice fiscale et que plafonner n’est pas supprimer. Son intention est en effet de démocratiser l’avantage fiscal : plus de contribuables concernés pour une réduction d’impôt moindre.
Mais le plafonnement n’est pas le seul motif d’inquiétude des élus ultramarins. Ils s’inquiètent du projet de loi en préparation. Ou tout au moins de certaines mesures. S’ils ne sont pas opposés à la création de zones franches assorties de réductions de taxe professionnelle, d’impôt foncier et d’impôt sur les sociétés, ils soulignent le manque à gagner que ces baisses d’impôts représenteront pour les territoires concernés. De même, le souhait de concentrer en immobilier les avantages sur le logement social leur fait craindre un coup d’arrêt dans la rénovation des biens alors que le danger sismique n’a jamais été aussi élevé.
Les professionnels locaux espèrent bien préserver la chèvre et le chou : la défiscalisation et les subventions. « Dans l’ensemble des DOM, il manque 80.000 logements sociaux. Or, durant les 3 dernières années, l’Etat a baissé de 30% ses crédits », fait remarquer Jean-Paul Fischer, président de l’association régionale des maîtres d’ouvrage sociaux à Pointe-à-Pitre. Et d’ajouter : « C’est pourtant une responsabilité de l’Etat : on ne peut pas baser une politique publique du logement sur un critère aléatoire tel que la défiscalisation ». Et Serge Letchimy, député divers gauche de la Martinique, de s’insurger : « La loi sur la promotion de l’excellence outre-mer, c’est plutôt une loi sur la compression des moyens ».
Les fédérations professionnelles se mobilisent également. Elles espèrent, par des manifestations hostiles lors de la visite d’Yves Jégo, faire entendre leur voix. « Cessez de croire que nous bénéficions d’avantages exorbitants, disent-elles. Dans le contexte qui est le nôtre, c’est une question de survie ».

Laurence Allard, avec Domitille Arrivet, “Le Point”


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