Nouvelle illustration de la manipulation orchestrée par les initiateurs du programme du Premier ministre

Les invitations à regarder la télévision sous un chapiteau... au Tampon

15 juillet 2009

La lettre que nous reproduisons ci-après montre que pour atteindre le nombre de 1.600 participants aux États-généraux présidée par le Premier ministre au Tampon, les organisateurs n’ont pas lésiné sur les moyens. Ainsi, des personnes invitées aux États-généraux ont appris en arrivant au Tampon qu’elles n’étaient pas autorisées à entrer dans la salle, mais étaient invitées à regarder… la télévision sous un chapiteau. Une telle éventualité ne leur avait jamais été signifiée.

« J’ose espérer que le but de la manœuvre n’était pas de faire faire masse »

A propos des États Généraux des Outre-Mer : lettre à Monsieur le Préfet, responsable du projet pour l’organisation des EG de l’Outre-Mer Réunion, et à son assistante, Madame Marie-Lise Troy

Monsieur le Préfet, Madame,

Je viens vous faire part de ma déception, après avoir été sollicitée à plusieurs reprises par votre secrétariat, suite à votre envoi par mail du 2 juillet 2009 d’une invitation pour assister à la séance de synthèse des États Généraux des Outre-Mer, ce vendredi 10 juillet, au Tampon, en présence de Monsieur le Premier Ministre.

En arrivant sur les lieux de la manifestation, ce matin, j’ai eu la surprise de voir que l’on nous (car je suppose que je ne dois pas être la seule dans ce cas) avait dérangé(e)s bonnement et simplement pour assister aux comptes rendus et au discours de Monsieur le Ministre devant des grands écrans placés sous chapiteaux, à l’extérieur de la salle où se déroulaient les échanges avec lui. Cette salle étant inaccessible et filtrée, ne pouvaient s’y rendre que les personnes munies d’une invitation avec le signe A. Les chapiteaux sous lesquels se trouvaient les écrans, quant à eux, étaient réservés à ceux et à celles qui, comme moi, étaient munis des invitations avec le signe B. Cependant, dans la mesure où tout le monde pouvait accéder à ces chapiteaux en entrée libre, aucune des personnes chargées de faire l’accueil ne nous a demandé de sortir nos invitations et pièces d’identité comme il nous avait pourtant été précisé dans le courrier et par téléphone. La différence de signes marquant les cartons d’invitation semblait avoir pour objectif de distinguer entre les deux catégories d’invités : les A et les B. Dans cette perspective, je pense que nous aurions très bien pu suivre ces débats devant nos écrans privés. Ce que je me suis exécutée à faire, en retournant chez moi. Ce que bien d’autres ont aussi fait.

Monsieur le Préfet, Madame, ma requête ne porte pas sur le fait d’avoir dû assister aux débats devant des écrans plutôt que face à Monsieur le Ministre. Ce qui m’échappe est le recours à ces invitations de type B, alors que l’accès des chapiteaux était libre. Avouez qu’il y a là quelque chose de paradoxal et il m’est difficile de comprendre votre mobile : pourquoi rappeler les gens en leur demandant avec insistance de confirmer leur présence et exiger qu’ils se munissent d’une pièce d’identité ? Ce qu’a précisément fait votre secrétariat pour me relancer par un appel téléphonique, lundi dernier 6 juillet, date limite des confirmations de présence, cependant que je n’avais pas accusé réception de votre mail du 2 juillet ? Après tout, n’aurait-il pas été plus correct, pour ne pas dire démocratique (dans l’esprit souhaité des États Généraux), voire économiquement et écologiquement préférable de laisser le public venir de son plein gré ?

Sans vouloir être machiavélique, j’ose espérer que le but de la manœuvre n’était pas de faire faire masse, pour faire croire au Ministre, qui n’est très certainement pas dupe, que les Réunionnais portent l’intérêt attendu au dessein de Paris pour ce qu’il est convenu d’appeler désormais "les Outre-Mer".

Dès lors, on se trouve en droit de se poser cette question : mais de qui se moque-t-on ? Ou l’on travaille effectivement à l’avancée de la démocratie, ou l’on continue à se complaire dans de vieilles habitudes colonialistes devenues indéracinables. S’il s’agissait, comme l’entendait le projet des États Généraux, d’une action participative pour les Réunionnais et pour les Outre-mer, pourquoi ne pas avoir prévu un espace plus vaste d’accueil du public, avec participation à un vrai débat avec le Ministre ? Après tout, qui sont les plus concernés dans cette affaire ? Le Ministre ? Les organisateurs ? Ou les Réunionnais ? Les uns, à mon sens, ne pouvant œuvrer sans les autres, ni a fortiori prétendre construire de leur tour d’ivoire et de façon univoque ce qu’ils conçoivent comme le meilleur des mondes pour les autres.

A mes questions, on pourra trouver des réponses :

- Logistiques (manque de place pour recevoir un public voulu nombreux.... contraintes de sécurité ....). Ce que je peux entendre. Mais que je sache, le projet des États Généraux ne date pas d’hier. A mon sens, si l’on souhaitait faire dans la représentation, il aurait fallu oser aller jusqu’au bout de l’entreprise et prévoir vaste. Certes, là aussi, doit-on comprendre que nous sommes en "crise" ?

- Relatives à l’ordre du jour qui n’était pas le débat, mais la restitution du travail des commissions ayant planché sur les moult et une problématiques spécifiques de notre identité réunionnaise. A ce sujet, vous aurez tout l’avantage de me renvoyer le fait qu’ayant été sollicitée dès l’ouverture des États Généraux pour faire partie de certaines commissions et contribuer à des débats, notamment ceux concernant l’égalité des chances, je ne me suis pas présentée.
Occupée par mon travail d’enseignante et engagée à cette époque (mois de mai et juin) dans la préparation de mes étudiants à leurs diplômes de fin d’année, j’ai préféré opter pour la deuxième solution, me pensant plus utile à la promotion immédiate de jeunes citoyens à la vie active. Pour autant, je n’ai pas manqué de m’intéresser au déroulement des États Généraux. Par la suite, j’ai souvent pensé que j’aurais pu faire autrement et jongler avec mes activités professionnelles, afin d’apporter un peu de mon expérience à ce qui se présentait comme un grand projet de société pour ma région. Pour cette raison, je n’ai pas hésité à dire oui et à confirmer ma présence pour ce vendredi 10 juillet, lorsque votre secrétariat m’a rappelée au téléphone, lundi dernier. Même s’il ne s’agissait plus de débattre ni de travailler, l’idée m’était acquise de participer, ne serait-ce que de façon modeste, à un projet qui me concerne en tant que Réunionnaise.

Ce soir, où je viens vous faire part de ma doléance, j’ai moins de remords de ne pas avoir répondu dès le départ à votre proposition de participer aux ateliers. Mais à ce propos, je ne puis m’empêcher de penser et encore une fois de questionner : s’agissait-il là aussi de faire faire masse aux intellectuels réunionnais, à des fins de les distraire d’une réflexion de fond sur les véritables problèmes actuels de l’Outre-mer, de la France et du Monde ?

Avec tout le respect que je vous dois et avec cette doléance, veuillez recevoir, Monsieur le Préfet, Madame, l’expression de mes sentiments les meilleurs.

Jacqueline Andoche
Intellectuelle réunionnaise
Anthropologue, enseignant chercheur, docteur en anthropologie sociale et culturelle

Outre-merFrançois Fillon

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