Un modèle vieux de 60 ans vacille

Les piliers d’une société remis en cause à La Réunion

30 juillet 2014, par Manuel Marchal

La fin des quotas sucriers et du prix garanti, la remise en cause de la sur-rémunération des fonctionnaires, la fin de la dérogation pour l’octroi de mer et la signature prochaine des accords de partenariat économique : simultanément, des piliers du système mis en place depuis 60 ans à La Réunion sont ébranlés, pendant que le pays s’enfonce dans le chômage de masse avec plus de 170.000 inscrits à Pole Emploi.

La menace sur la filière canne est un élément d’une remise en cause générale et décisive.

Le modèle mis en place au lendemain de la Seconde guerre mondiale est en train de vaciller sous le poids de la réalité. Plusieurs questions arrivent en effet à leur pleine maturation. Elles doivent déboucher sur des décisions. Quatre piliers de l’édifice sont menacés, ce qui ne pourra que favoriser l’écroulement de l’ensemble : la filière canne, la sur-rémunération des fonctionnaires, l’octroi de mer et l’intégration de La Réunion dans la mondialisation des échanges.

La monoculture séculaire résistera-t-elle ?

Jusqu’à présent, la filière canne a toujours eu l’assurance d’écouler son sucre en totalité sur le marché européen. En cas de mévente, l’Europe intervient pour acheter aux usiniers l’invendu à un prix fixe et rémunérateur. Mais l’adhésion de l’Union européenne et la France à l’OMC ont changé la donne. L’orientation de l’Organisation mondiale du Commerce, c’est la concurrence libre et non faussée. L’OMC condamne alors le système européen des quotas et des prix garantis suite à la plainte de plusieurs pays exportateurs de sucre. L’Europe s’est alors mise en conformité avec cette décision en réformant son règlement sucrier. Entre 2006 et 2013, le prix garanti a baissé de 36% et les quotas des sucriers européens ont fortement baissé. En Europe, de nombreuses usines ont fermé. A La Réunion, le statut de RUP a permis à l’usinier d’obtenir une compensation. La filière a continué å tourner en fonction de l’ancien prix garanti. L’année dernière, l’Europe a lancé la dernière étape de la réforme. Les ministres européens, y compris la France, ont voté pour la fin des quotas et du prix garanti en 2017.
Cela signifie que le sucre réunionnais ne sera plus protégé, il devra se confronter à la concurrence internationale. D’autres pays vendent moins cher, c’est le cas du sucre de betterave produit en France, et du sucre roux d’Amérique latine. L’industriel chiffre à 200 euros par tonne l’écart à compenser pour continuer à vendre le sucre réunionnais sur ses marchés traditionnels. Cela impose à l’Etat une augmentation des subventions de 38 millions d’euros, en plus des 90 millions déjà versés chaque année.
Sans ce soutien, la filière ne tiendra pas. Si elle s’écroule, ce sont 30.000 emplois menacés et 25.000 hectares livrés à l’érosion : une catastrophe sociale, économique, environnementale et politique.

Sur-rémunération dans le collimateur

Le 9 juillet dernier, le Sénat a publié un rapport dans lequel il demande de remettre en cause la sur-rémunération. Il estime que le système actuel n’est pas vertueux et propose de le rendre par une série de mesures, avec la définition d’une prime de vie chère liée à une différence de prix effectivement constatée entre la France et le territoire de service du fonctionnaire.
Les auteurs du rapport demandent à l’Etat de passer à l’action en lançant une étude opérationnelle. Depuis déjà de nombreuses années, le système de la sur-rémunération fait l’objet de critiques de députés et de sénateur. Cette fois, ce ne sont plus des discours mais du concret.
La sur-rémunération amène chaque année 600 millions d’euros à La Réunion et elle concerne plus de 60.000 personnes.

La Réunion dans la mondialisation ultralibérale

L’octroi de mer vit aujourd’hui sous la menace du couperet. Cette taxe permet de protéger les dernières industries réunionnaises, et elle alimente les caisses des communes notamment. Mais elle survit grâce à une dérogation accordée voici 10 ans par l’Union européenne. Elle entre en effet en contradiction avec la règle de la concurrence libre et non faussée.
A la fin de l’année, tout devra être réglé. Si l’octroi de mer n’existe plus, alors plusieurs milliers d’emploi seront menacés.
Cette remise en cause coïncide avec la signature prochaine des Accords de partenariat économique entre l’Union européenne et les pays de notre région. Considérée comme une région européenne, La Réunion est totalement exclue des discussions. C’est la Commission européenne qui négocie au nom de la France, et de La Réunion.
L’objectif de ces accords est d’accélérer les échanges entre l’Europe et ces pays. Et pour cela, l’Europe est prête à ouvrir la totalité de son marché. Appliquée à La Réunion, cette orientation se traduit par la mise en concurrence de la totalité des produits réunionnais avec ceux de nos voisins sur le territoire même de La Réunion. Une concurrence bien difficile car les coûts de production sont beaucoup plus faibles chez nos voisins, aussi bien dans l’industrie que dans les services. La fin de l’octroi de mer et l’application de l’APE sont des menaces mortelles pour l’économie réunionnaise.

Toutes ces remises en cause arrivent en même temps. Elles ont lieu dans un contexte très difficile car jamais le chômage n’a été aussi élevé. Quant à la croissance économique, elle a été cassée par la fin des grands chantiers. Les perspectives ne sont pas bonnes au moment où l’édifice de l’après 19 mars 1946 est remis en cause.

Manuel Marchal

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Messages

  • Démocratie, résultat des suffrages universels , souvent confisqués légalement par toute l’armada technocratique et au final ce sont les plus faibles qui subissent de plein fouet les dégats du système pendant que d’autres trouvent toujours des portes de sortie.

    A se poser des questions sur la "fabrication des décisions", les décisions annoncées et le cadrage, recadrage in extemis souvent synonyme de dérapage et kom nou di lo konseyer lé pa lo payèr.

  • Une fois de plus c’est l’Europe qui décide pour La Réunion, m^me pas La France. Les commissaires Européens, non élus qui préconisent la rigueur pour tous sauf pour eux.
    Le terme concurrence libre et non faussée est un me,songe. Comment peux on parler de es termes alors que dans plusieurs pays le coût du travail est très largement plus élevé qu’à la Réunion.

    Au sujet de la canne il ne faut pas réver. S’il faut bien sur ne pas léser les planteurs actuels, il faut aussi cesser d’encourager de nouveaux planteurs et au, contraire encourager les cultures vivrières de fruits, de légumes et de condiments.
    Au sujet de la sur-rénumération des fonctionnaires, 600 millions en moins aura des conséquences négatives énormes sur l’économie de l’île. Il faut la maintenir. les cas passées ont montré que jamais l’argent économisé par l’état n’est resté à La Réunion.

    Enfin sur l’octroi de mer ,l’article dit vrai. C’est à la fois les ressources des collectivités territoriales et une production des emplois locaux. Sa suppression entraînera une hausse des impôts locaux et une hausse du chômage. De plus, il est probable que lorsque les importateurs n’auront plus de concurrences locales, les prix augmentent.
    Il faut maintenir l’octroi de mer pour les produits où il y a une production locale.
    Tous les élus devraient se mobiliser pour cela et oublier leurs appartenances politiciennes. Mais ça c’est très compliqué pour eux.

    Allez bye


Témoignages - 80e année


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