Les entreprises et la fiscalité de la Recherche/Développement

Les ratés de la loi Girardin

19 juillet 2005

En organisant le 23 juin dernier un séminaire sur les dispositifs de défiscalisation de la Recherche et Développement (R&D), à destination des entreprises, l’association Technopole a voulu comprendre pourquoi les dispositifs nationaux - en particulier deux d’entre eux : le Crédit Impôt Recherche (CIR) et le dispositif “Jeune Entreprise Innovante” (JEI) - ne sont que peu ou pas du tout utilisés ici, alors qu’ils avantagent en France plusieurs milliers d’entreprises. ’Le séminaire a réuni un auditoire de grande qualité, environ quatre-vingts personnes, dont une trentaine d’entreprises’, note Mireille Marteau-Petit, vice-présidente de l’association Technopole, dans un premier bilan où apparaissent déjà des éléments de réponse importants aux questions soulevées.

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À l’occasion du séminaire de juin, un ensemble de fiches a été édité avec le soutien de la Chambre de commerce et d’industrie : elles détaillent les dispositifs existants et le cadre auquel ils s’appliquent, et sont disponibles à la Technopole (1) .
Le constat, rappelé par Mireille Marteau-Petit, est que très peu sont activés ici. "Le CIR permet de bénéficier d’une réduction impôts pour un maximum de 50% des dépenses de recherche. Si par exemple une entreprise rémunère des chercheurs, elle va pouvoir déduire de son impôt (sur la société ou sur le revenu) 50% de cette somme. Or seulement cinq entreprises de La Réunion mobilisent le CIR", relève l’universitaire, en soulevant la question du “seuil critique” que doit atteindre une entreprise pour faire de la recherche. "Les entreprises de La Réunion sont très souvent des PME ou des TPE. Or le CIR permet aujourd’hui aux entreprises de sous-traiter leur R&D auprès d’organismes publics de recherche, d’universités ou de Centres techniques à mission d’intérêt général. Et là, la défiscalisation peut atteindre 100%", expose-t-elle.
Quant au dispositif JEI, utilisé en France par des milliers d’entreprises, il est inexistant ici. Il permet une exonération totale d’impôts sur les bénéfices pendant 3 ans et une exonération de 50% les deux années suivantes, selon des conditions détaillées dans les fiches citées en référence.

Une méconnaissance des dispositifs

Selon Mireille Marteau-Petit, le séminaire a permis de mettre au jour les principales causes de cette situation. "Il a fait ressortir en premier lieu une méconnaissance des dispositifs chez ceux que l’on peut appeler les “conseils en entreprise” : experts comptables, commissaires aux comptes...", note-t-elle, en soulignant la qualité de l’intervention de Bruno Formet, président de la Chambre régionale des experts comptables, qui s’est engagé à sensibiliser la profession, dans l’année, sur l’activation de ces mesures incitatives. "Il a pensé aller jusqu’à associer les experts comptables aux dispositifs de soutien à la recherche, qui ne relèvent pas seulement de la fiscalité et du droit, mais qui s’inscrivent dans une démarche économique et un soutien à la création d’entreprises innovantes", poursuit la vice-présidente.
Une deuxième cause mise au jour est, selon elle, l’ombre que fait la loi Girardin aux dispositifs nationaux. Les entreprises réunionnaises sont, par habitude ou par facilité, plus tournées vers la loi Girardin. "En particulier parce qu’elle est d’utilisation plus simple et plus intéressante fiscalement. Mais du coup, elles ne peuvent pas accéder à ce qui existe par ailleurs. Et là, c’est un vrai problème, parce que le champ d’application de la loi Girardin ne recouvre pas forcément les mêmes champs que les autres dispositifs (CIR, crédit d’impôt aux nouvelles technologies, JEI, etc.)", explique-t-elle. Le cas est flagrant avec l’exemple de la défiscalisation des salaires, qui n’existe pas dans la loi Girardin. Il n’est pas acquis non plus que la loi Girardin permette de défiscaliser en matière de recherche et développement, comme on le verra plus loin.
Une proposition du directeur des services fiscaux, M. Houtin, consiste à mobiliser pour les entreprises la procédure du rescrit, qui permet d’avoir la position de l’administration avant la mise en œuvre du dispositif. En étudiant en amont le dossier d’une entreprise pour vérifier son éligibilité, les services fiscaux confortent son accès à la défiscalisation.

"Un problème d’interprétation et d’évolution"

La vice-présidente de l’association Technopole s’est particulièrement attachée à l’étude de la loi Girardin. "Elle pose un problème d’interprétation et un problème d’évolution", dit-elle. Sur l’interprétation, la professeur de Droit privé à l’Université de La Réunion note que le texte peut conduire à deux lectures. "Dans une première lecture, les entreprises dont l’activité concerne exclusivement la R&D sont exclues du dispositif". De telles entreprises sont rares voire inexistantes en Outre-mer. "A contrario - poursuit Mireille Marteau-Petit en restant dans cette première interprétation - si une entreprise se trouve dans un secteur éligible, par exemple l’industrie, tous ses investissements productifs sont défiscalisables, sans même qu’on s’interroge sur leur nature". Cette lecture, selon l’universitaire, guidait les positions du Ministère de l’Outre-mer et du Ministère de la Recherche avant le changement de gouvernement. Le secteur de la recherche attend donc avec impatience de connaître la position du nouveau ministre de l’Outre-mer.
L’autre interprétation dit que la loi Girardin ne vise pas l’activité mais la dépense, et dès lors qu’il s’agit d’une dépense de R&D, elle n’entre pas dans le champ des dispositifs de la loi Girardin. D’où l’intérêt de se tourner vers les dispositifs nationaux. Cette interprétation semble être notamment celle du directeur des Services fiscaux de La Réunion, mais les participants au séminaire ont pu constater qu’elle donnait lieu à des débats internes dans ce service de l’État.
En tout état de cause, les acteurs de la recherche-développement d’Outre-mer attendent une réponse à ces questionnements, que celle-ci vienne d’une instruction du ministère (en cours de rédaction) ou d’une réponse ministérielle à une question de parlementaire.

Les SOFIOM : un dispositif obsolète

"Il y a aussi un problème d’évolution du texte", poursuit Mireille Marteau-Petit. "Tous les intervenants au séminaire se sont accordés à dire que cette disposition, qui revient à exclure la R&D de l’aide à l’investissement, va à l’encontre de toutes les politiques mises en œuvre aussi bien ici qu’en France et en Europe, pour soutenir la recherche et favoriser le développement". Et plutôt que de mener une bataille d’arrière-garde pour faire modifier la loi de 2003, les acteurs de la R&D ont travaillé à une modification du texte par l’intermédiaire de la loi de programme pour la recherche, en cours d’élaboration. La suppression, par ce biais, du passage litigieux de la loi Girardin (alinéa d) permettrait à des entreprises françaises de faire de la recherche à La Réunion.
Enfin, les débats ont fait apparaître que les SOFIOM (sociétés de financement d’Outre-mer), dont la création a été soutenue après 2003 par le Ministère de l’Outre-mer, était un dispositif obsolète. Il a été jugé “mort-né” par les présidents de CCI d’Outre-mer présents dans le séminaire. Une seule SOFIOM a été créée, aux Antilles, avec la Caisse d’Epargne, pour drainer l’épargne vers les secteurs éligibles de la loi Girardin. "Aujourd’hui, la SOFIOM n’est plus d’actualité", estime pour sa part Mireille Marteau-Petit.
Pour répondre à la sous-capitalisation des entreprises réunionnaises, la Région Réunion a annoncé pendant le séminaire la réactivation d’une société de capital-risques et la création d’un Fonds d’investissement de proximité (FIP).
En conclusion, ce séminaire a fait voir une prise de conscience de la nécessité d’être mieux informé sur les dispositifs et de relancer le débat sur la loi Girardin. "Cela dépasse La Réunion - note Mireille Marteau-Petit - puisque l’ensemble des DOM, représenté par les présidents des CCI d’Outre-mer, est sur la même longueur d’onde". Les présidents des CCI se sont montrés, dit-elle, "très en phase avec nos conclusions".

P. David

(1) Séminaire sur la fiscalité de la recherche et du développement:13 fiches pour tout savoir des dispositifs en vigueur. Appeler le 0262.90.71.80. Également disponible à la Technopole, le “Guide du crédit d’impôt à la recherche”, édité par le Ministère délégué à la Recherche.


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Messages

  • Bonjour, sans doute des informations ne sont pas données sur le CIR et le JEI, mais croyez-vous que la Loi Girardin dans son application la plus simple aux entreprises et aux sociétés soit très connue ? Aujourd’hui je suis sur que ceux qui devraient informer leur clientèle : juristes, comptables ... et même certains conseillers des impôts pour ne pas dire la majorité, ne la conseillent pas. Aucune véritable communication n’est faite dans les médias grand public, ce qui permettrait d’informer, de faire connaître et de faire appliquer plus largement cette loi. Finalement peut-être est-ce le gouvernement lui-même qui ne veut pas qu’elle soit appliquée, trop intéressante. Faire réfléchir et poser les bonnes questions à ceux qui considèrent qu’ils payent trop d’impôts serait très utile actuellement.
    Pourquoi ne pas créer un évènement sur la défiscalisation. Mon métier pendant 10 ans dans les DOM était la communication, aujourd’hui je conseile en loi girardin dans mon département et croyez moi très peu pour ne pas dire personne ne connaît ses avantages.
    mjm 41000 BLOIS


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