Voeux du Premier ministre à la presse

Manuel Valls parle d’« apartheid territorial, social, ethnique »

22 janvier 2015, par Céline Tabou

À l’occasion de ses vœux à la presse, le Premier ministre Manuel Valls a estimé mardi 20 janvier qu’il existait en France « un apartheid territorial, social, ethnique ». Des mots qui ont choqué certains politiques.

Pour ce dernier, les « derniers jours ont souligné beaucoup des maux qui rongent notre pays ou des défis que nous avons à relever. À cela, il faut ajouter toutes les fractures, les tensions qui couvent depuis trop longtemps et dont on parle uniquement par intermittence », a-t-il déclaré.

Un contexte économique et social tendu

Manuel Valls a assuré que « les stigmates sont toujours présents », car selon lui la mémoire collective oublie les évènements passés, comme les émeutes de novembre 2005 dans les banlieues parisiennes. Mais également, « la relégation périurbaine, les ghettos – ce que j’évoquais en 2005 déjà – un apartheid territorial, social, ethnique, qui s’est imposé à notre pays ».
Le Premier ministre a évoqué « la misère sociale » à laquelle « s’additionnent les discriminations quotidiennes parce que l’on n’a pas le bon nom de famille, la bonne couleur de peau, ou bien parce que l’on est une femme ».
Pour le chef du gouvernement, « cette peur collective face au chômage de masse, au chômage de longue durée, au chômage des jeunes, face à la vie trop chère, au risque de déclin, à l’angoisse du déclassement individuel qui pousse au repli sur soi, à l’angoisse des parents pour l’avenir de leurs enfants ».

Des mots forts

En 2005, Manuel Valls avait déjà évoqué les termes de “ghetto”, de “ségrégation” et d’“apartheid”, alors qu’il était maire d’Evry et en rupture idéologique avec son parti. Dix ans plus tard, il revient avec les mêmes termes pour qualifier la situation des quartiers sensibles en France. Des quartiers considérés comme les lieux propices à la radicalisation de nombreux jeunes.
Pour le journaliste du quotidien Le Monde, le terme d’“apartheid” évoqué par le Premier ministre met en exergue les échecs de ces trente dernières années des politiques en France. Pourtant, à La Réunion, ce terme est évoqué depuis plusieurs années par le sénateur Paul Vergès, qui a dénoncé « un apartheid social », créé par l’intégration de l’île à la France, sans prise en compte des spécificités réunionnaises.
Ainsi, comme l’a expliqué le journaliste, si le régime de l’apartheid est véridique, cela signifie que « les logiques de ségrégation ne sont pas uniquement subies mais qu’elles sont, au moins en partie, construites par les politiques publiques, notamment dans les domaines du logement, de l’éducation et de l’emploi ». Ou, l’apartheid est « le résultat d’une politique volontaire, ou du cumul de différentes politiques – et donc pas uniquement l’effet d’une crise sociale prolongée ».

Les socialistes abondent

Sur la radio RTL, le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a abondé le discours de son Premier ministre, jouant toutefois sur les mots : « Le problème n’est pas en France un problème juridique, c’est un problème de réalité. Donc, ne nous disputons pas sur les mots, la réalité, c’est qu’il y a une ségrégation, et il faut lutter contre elle ».
Même positionnement pour Bruno Le Roux, président du groupe socialiste à l’Assemblée, ce dernier évoqué « l’exigence républicaine à laquelle nous sommes confrontés. Il y a des fractures, énormes, béantes sur notre territoire qu’il convient de résoudre. »
Pour Claude Bartolone, le président PS de l’Assemblée nationale, « en parlant d’apartheid Manuel Valls a voulu marquer les esprits. Mais, au-delà du mot, il faut maintenant agir pour les banlieues. On a employé les mots ghettos, assigné à résidence… Je sais ce que nous avons perdu pour les associations, l’école, les services publics en particulier, depuis dix ans. Je dis au Premier ministre : Si c’est l’alerte, il faut agir. »
De son côté, le coprésident des députés écologistes, François de Rugy, a évoqué un mot « extrêmement fort » et « pas adapté », assurant que « le Premier ministre visait à nommer les choses et à regretter que, par exemple, après les émeutes de 2005, on ait refermé un peu trop vite ce qui est apparu comme une parenthèse alors que c’était une révolte qui révélait des fractures inacceptables ».

Les mesures proposées pour lutter


Au lendemain de sa déclaration, le Premier ministre Manuel Valls a évoqué plusieurs pistes pour lutter contre cet apartheid, cause du terrorisme en France. Ce dernier a évoqué le renforcement des moyens humains et matériels « consacrés à la lutte contre le terrorisme » au cours des trois prochaines années. 425 millions d’euros de crédits seront consacrés à l’investissement, l’équipement et le fonctionnement, une partie de ces moyens sera consacrée au « renforcement de la protection des policiers et des gendarmes et un dispositif de fichier commun des données personnelles des passagers aériens sera discuté au Parlement européen.
Un projet de loi sur le renseignement sera présenté « le plus vite possible » en conseil des ministres et transmis au Parlement « début mars ». Un dispositif de détection renforcée du phénomène de radicalisation sera mit en place par le ministère de la Justice, ainsi qu’une unité de veille et d’information au sein de la protection judiciaire de la jeunesse.
Un fichier sera créé pour recenser « les personnes prévenues ou condamnées pour des faits de terrorisme, avec obligation pour ces personnes de déclarer à intervalles réguliers leur adresse et leurs déplacements à l’étranger. Les individus radicalisés seront pris en charge et suivi et 60 aumôniers musulmans supplémentaires seront envoyés dans les prisons.
Une campagne de prévention de la radicalisation sera lancé, « dans les trois prochaines années, au travers du fonds interministériel de prévention de la délinquance ». Un site internet sera créé pour informer le grand public sur les moyens de lutter « contre l’embrigadement djihadiste », et des moyens seront « dédiés à la surveillance du cyber-djihadisme et aux enquêtes relatives aux délits commis sur Internet. »

La droite fustige


A Droite, c’est la dénonciation, Nathalie Kosciusko-Morizet, vice-présidente déléguée de l’UMP, s’est insurgée contre l’emploi du « mot apartheid » pour dénoncer les “inégalités” en France, affirmant qu’il est « insultant pour la République ». De son côté, l’ex-ministre UMP François Baroin, président UMP de l’Association des maires de France, a indiqué que « quand on manie un symbole aussi fort (…), on donne de la force à ce symbole. Je regrette l’utilisation de cette expression ».
Pour l’ex-ministre UMP, Brice Hortefeux connu pour ses dérapages racistes, « je ne souhaite pas qu’on utilise ce mot » applicable à « l’Afrique du Sud de 1948 à 1991, régime dont l’objectif était le développement de communautés de manière séparée. Ce n’est pas le cas dans notre pays », mais on « peut évoquer peut-être, parfois, les ghettos », a-t-il déclaré sur Radio France International.

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