Mayotte : la France a raté une occasion

3 janvier, par Ary Yée-Chong-Tchi-Kan

Le Président de la République et une délégation ministérielle de 6 membres conduite par le Premier ministre se sont rendus à Mayotte, après le désastre du cyclone Chido. Des images de l’île dévastée avaient déjà parcouru le monde. C’est une marque de déférence et de compassion bien comprise au regard d’un moment aussi exceptionnel. Au-delà des émotions, les visiteurs portent la responsabilité inhérente à leur fonction politique. Au bilan de ce déplacement, ils ont raté l’opportunité d’une mise en perspective politique.

Que savons-nous ?

Ils disposent du bilan de la destruction de l’île touristique française de Saint-Martin, par le cyclone Irma, le 6 septembre 2017. Il y a le cas de la Nouvelle-Orléans, ville historico-française, entièrement noyée par la rupture d’une digue au passage de l’ouragan Katrina, le 29 août 2005. Si, en 2023, les infrastructures touristiques pouvaient à nouveau accueillir les clients, dans l’île caribéenne, 45 % des bâtiments n’étaient pas construits. Probablement au Ministère des Outre-mer, il existe un tableau de bord qui explique une telle carence 6 ans après les faits.

Ils disposent d’une communication de Eric Steiger, officier supérieur de la gendarmerie française, publiée le 1er août 2024, dans diploweb.com, sous le titre : « L’ouragan Katrina : les leçons d’un échec. Les faiblesses du dispositif de sécurité intérieure des États-Unis ». Voici l’introduction : « Cette étude donne à réfléchir sur les relations entre risques et société. Le 29 août 2005, l’ouragan Katrina frappe la côte des États-Unis, provoquant la plus grave catastrophe naturelle de l’histoire du pays. Face à ce désastre, les Américains découvrent l’impuissance des pouvoirs publics qui, à tous les niveaux, se montrent incapables de prendre les mesures nécessaires pour gérer la crise, agissant dans la confusion et le chaos. Quatre ans après les attentats du 11 septembre 2001, qui avaient révélé la vulnérabilité extérieure des États-Unis, l’ouragan Katrina souligne la vulnérabilité de leur dispositif de sécurité intérieure. Ce qui sanctionne durement le choix de l’administration Bush de ne se consacrer qu’à la seule lutte contre le terrorisme, négligeant ainsi la prise en compte des risques naturels. »

A la lumière de ces 2 références, il est inutile de revenir sur les propos et les postures qui ont émaillé la visite de l’exécutif français. Disons simplement, ce n’était pas à la hauteur d’un événement de cette ampleur.

Le rôle de l’ONERC

La France dispose de l’ONERC (Observatoire National sur les Effets du Changement Climatique), un outil du niveau du GIEC (Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat). Crée par un vote, obtenu à l’unanimité, l’institution a été présidée par son fondateur, le sénateur réunionnais Paul Vergès, durant 15 ans, jusqu’à son décès en 2016. Grâce à cette initiative, une masse d’études approfondies et de préconisations a fait passer l’expertise des chercheurs à la décision politique. Durant cette période, plus d’une douzaine de rapports a été remis officiellement aux différents gouvernements. L’objectif de tout ce travail est de blinder les décideurs (public et privé) sur les mesures d’adaptation à prendre en urgence pour faire face aux effets du changement climatique et sur les mesures d’atténuation à prévoir pour que l’activité humaine n’aggrave pas davantage la situation. Ainsi, l’espoir est de maintenir l’augmentation de la température en dessous de 2° sur le siècle en cours. Toutes ces connaissances ont servi de matrice à la tenue de la COP21, en décembre 2015, qui a débouché sur le Traité de Paris sur le Climat. La prise de conscience était à son maximum. L’impulsion décisive a été donnée par Xi Jinping et Barack Obama. C’était le 3 septembre 2016, à Hangzhou, veille du sommet du G20. Le Traité est officiellement entré en vigueur, le mois suivant, le 4 novembre 2016. Ainsi, le monde était uni quelle que soit d’autres divergences.

La France dispose aussi d’un réseau de connaissance et de surveillance en zone intertropicale où naissent et se développent les cyclones. Tous les observateurs savent que les phénomènes naturels sont plus fréquents et plus puissants, sous des effets combinés de pluie et de vent associés à la houle. Nous savons éteindre un feu mais nous ignorons comment arrêter une inondation. Du monde entier, les images de la furie des eaux, des incendies meurtriers, des tornades dévastatrices, imposent la priorité de l’action publique.

Des normes obsolètes

D’abord, les normes politiques. La France, à travers ses hauts représentants, aurait pu délivrer un message mondial, en faisant de la catastrophe de Mayotte, un cas d’école et un exercice d’efficacité opérationnelle. Imaginez, le président français et son voisin comorien, s’adressant ensemble, à toutes les victimes et aux familles des disparus pour réagir à l’extrême urgence et tirer des leçons universelles. La situation mahoraise ressemble aux conséquences des tremblements de terre. Il faut faire appel aux services d’urgence de l’ONU et aux compétences de professionnels, notamment en matière d’hébergement, d’alimentation, d’hygiène et de santé. En 2017, devant la catastrophe de la Nouvelle-Orléans, le président américain a fait appel à la solidarité internationale d’urgence. Fidel Castro et Hugo Chavez ont répondu positivement. Sur le territoire de Mayotte, le statut de la victime n’a pas été respecté dans toute son humanité. On a même trouvé des raisons pour secourir les uns mais pas les autres !

Ensuite, les normes techniques, sociales et environnementales. La France est totalement responsable de la prolifération de constructions insalubres et illégales, des conditions de circulation des Hommes, des marchandises et des capitaux. A La Réunion, en 2008, 8 maires ont été mis en examen pour des faits de pollution remontant à 2005. La France avait été condamnée par l’Union européenne pour non-respect de sa directive sur les stations d’épuration. Menacée d’une lourde amende, la France s’est déportée sur les Maires. C’était une première dans la République. Désormais que Chido a tout rasé, la France est condamnée à loger la population dans les normes. Elle ne pourra plus faire diversion sur les négligences civiles. D’ailleurs, le visa Balladur qui aura 30 ans, le 18 janvier 2025, est aussi concerné, car il est insoluble dans le droit européen, encore plus depuis que Mayotte est devenu RUP.

Enfin, l’absence de vision historique aveugle ceux et celles qui veulent entraîner La Réunion dans le différend entre La France et les Comores. La Réunion a servi de base arrière à la politique française en soutien à l’Apartheid en Afrique du Sud. Dans la nuit du 27 au 28 septembre 1995, le président Djohar, élu démocratiquement, est embarqué dans un avion militaire français pour être exilé dans la « villa du Préfet » à Salazie. Le 10 octobre, le journal l’Humanité rapporte ses propos : « Je suis en bonne santé. Rien ne cloche. Mon retour dépend de ceux qui m’ont amené ici (…) Je ne sais pas si je suis en exil ou si je suis déporté. Il y a eu une mise en scène, un jeu que je n’arrive pas à comprendre… ». Le visa Balladur venait d’entrer en vigueur en début d’année et les Comores étaient aux mains de mercenaires Français.

En conclusion, reportons-nous au rapport de la Cour des Comptes qui épingle la politique du gouvernement, pour conseiller aux dirigeants politiques français d’appliquer les recommandations prescrites et considérer l’urgence de mettre fin aux illusions.

Ary Yee-Chong-Tchi-Kan

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