Débat parlementaire sur le changement de statut et la loi sur les inégalités

Paul Vergès : une nouvelle ère dans quelques semaines pour La Réunion

16 janvier 2016, par Manuel Marchal

Hier à Saint-Denis, Paul Vergès a rencontré la presse pour évoquer le prochain débat au Parlement qui amènera un changement historique à La Réunion.

Paul Vergès hier lors d’une rencontre avec la presse.

Tout d’abord, le sénateur est revenu sur le peuplement de l’île. La Réunion est devenue une colonie quand elle était inhabitée. Son histoire est vieille de 350 ans dont la plus grande partie, 185 ans de 1663 à 1848, était dominée par le régime de l’esclavage.

Entre l’abolition de 1848 à 1946, c’était la colonisation directe. Depuis la création du département en 1946, c’est l’intégration à la France et à l’Europe. 70 ans après s’ouvre une nouvelle ère, annonce Paul Vergès.

L’histoire de La Réunion rappelle que les changements se sont d’abord faits depuis la France. Colbert a établi l’esclavage, la Convention l’a aboli en 1794 sans que la décision puisse s’appliquer à La Réunion. Ce fut ensuite Bonaparte qui l’a rétabli en 1802, imposant un demi-siècle d’esclavage supplémentaire.

Le premier acte de responsabilité des Réunionnais, des Guyanais et des Antillais, c’est 1946. Paris n’avait pas demandé l’abolition du statut colonial. C’était une proposition de loi de Raymond Vergès, Léon de Lépervanche, Aimé Césaire, Léopold Bissol et Gaston Monerville.

Ce choix s’est fait dans le cadre d’un grand mouvement de décolonisation. En 1942, la Déclaration de l’Atlantique en avait jeté les bases, reprises dans la Charte de l’ONU de 1945. Dans plusieurs parties du monde, cette décolonisation a donné lieu à des guerres comme au Vietnam ou à des indépendances négociées dans des pays d’Afrique.

Les seules exceptions à ce mouvement mondial, ce sont les « Quatre vieilles colonies » : Guadeloupe, Guyane, Martinique et La Réunion. Elles ont demandé à intégrer le pays colonisateur. Cela s’explique par des siècles d’assimilation.

Aujourd’hui va se clore cette période de l’intégration-assimilation. « Qui va décider ? Nous allons vers une nouvelle ère sous l’initiative de qui ? »

Intégration : les aspects négatifs l’emportent

Car le résultat de ces 70 années d’intégration est connu : La Réunion est un pays hors norme. 30 % de chômeurs, cela ferait 11 millions de travailleurs privés d’emploi en France. 46 % de la population sous le seuil de pauvreté, ce serait l’équivalent 30 millions en France. Plus de 50 % des jeunes au chômage, 110.000 illettrés. La Réunion comptait 240.000 habitants en 1946, 850.000 aujourd’hui malgré l’émigration. Le patrimoine économique est ruiné et délocalisé.

Paul Vergès note les aspects positifs de l’intégration : santé, enseignement, recherche. Mais ce sont les points négatifs qui l’emportent dans ce bilan. D’où le sentiment général : on ne peut plus continuer comme avant. Cela débouche sur l’initiative du président de la République annoncée en Guadeloupe : aller vers l’égalité réelle.

C’est la reconnaissance implicite qu’il n’y a pas l’égalité prévue dans la loi de 1946, souligne Paul Vergès.

Une loi constitutionnelle et une loi sur les inégalités vont être déposées : c’est une nouvelle ère dans notre histoire. « Les gouvernements successifs ont combattu constamment pour l’assimilation malgré les catastrophes successives », ajoute le sénateur. François Hollande met au centre de sa réforme de l’outre-mer la réalisation de l’égalité réelle dans les 20 ans à venir. C’est, pour Paul Vergès, un changement fondamental.

La situation n’est plus celle de 1946

« S’il y a ce changement, c’est parce que la situation globale a changé ». Elle n’a plus rien à voir avec 1946. À l’époque, la perspective était l’application des lois du Front Populaire et du Conseil national de la Résistance, avec un gouvernement d’union nationale présidé par le général de Gaulle, comprenant des ministres communistes. « On pouvait rêver de tout, c’était l’annonce des Trente glorieuses. Aujourd’hui, c’est exactement l’inverse ».

La France se débat dans une crise dont elle ne sort pas avec le chômage. En Europe, ce sont les demandes d’indépendance de l’Écosse, de la Catalogne, du Pays Basque, le référendum en Grande-Bretagne sur l’appartenance à l’Union européenne, les barrières se reconstituent entre les États.

Dans le monde, ce n’est plus la grande coalition des peuples à la base de la création de l’ONU, ce sont des conflits partout avec de nouvelles formes de guerre. Le terrorisme a frappé tous les pays. C’est le bouleversement économique avec l’émergence d’anciennes colonies devenues indépendantes. « Jamais on a été aussi informé », poursuit Paul Vergès. La crise mondiale s’est ouverte officiellement en 2008, avec celle des subprimes. Elle continue depuis 8 ans et va s’aggraver.

L’impact du climat

« On ne peut baser sa politique que sur des changements inévitables. Aujourd’hui, les responsables politiques, dont les Réunionnais, ont une préfiguration sur le siècle qui vient, des repères concrets ». Plusieurs facteurs ont une influence.

Première chose : le climat. La COP21 fixe le rendez-vous à 2100 pour ne pas dépasser les deux degrés. « On a jamais vu fixer pour l’ensemble du monde un objectif unique ».

Mais à La Réunion, au lieu de bannir les énergies fossiles, on augmente les importations de pétrole. C’est la conséquence de l’importation l’an dernier de plus de 25.000 voitures.

Un aspect est la montée du niveau des océans, ce qui pose des problèmes pour la sauvegarde du littoral. Les évaluations du GIEC donnaient un mètre, puis les photos satellites montrant l’accélération des pôles disent 6 mètres. Que deviennent les aéroports, le port ? L’acidification des océans fait mourir les coraux. Que restera-t-il des plages ?

Les logements sont sur le littoral, les infrastructures… que faire pour les sauvegarder ?

Environnement régional bouleversé

Deuxième chose : la population du monde. 7,3 milliards en 2011, 2,5 milliards de plus en 2050 soit la population de la planète en 1950. En une génération, l’augmentation sera égale au résultat de l’accumulation de milliers de millénaires de croissance de l’espèce humaine.

La Réunion va vers un million d’habitants. Ce qui aura aussi une influence sur l’île, c’est la croissance de la population de Madagascar : 4,5 millions d’habitants en 1947, aujourd’hui 24 millions, en 2050 54 millions et en 2100 100 millions. Nous allons avoir à 800 kilomètres un pays plus grand que la France avec 54 millions d’habitants dans une génération, et 100 millions à la fin du siècle. « Comme s’il y avait la Chine et l’Inde réunies étaient à 800 kilomètres de Marseille ».

Cette croissance démographique est généralisée dans la région, à deux heures d’avion de La Réunion : Kenya : 97 millions en 2050 ; Mozambique : 59 millions en 2050 ; Ouganda : 106 millions en 2050.

Mayotte n’a que le 6e de la superficie de La Réunion. Que deviendra la surface de cette île avec la montée de l’océan Indien ? Elle a 240.000 habitants aujourd’hui. En 2050, elle en comptera 500.000 habitants, comme si à densité égale La Réunion avait 3 millions d’habitants. « Ils sont citoyens français, le territoire français le plus proche est La Réunion ».

Pays émergent à nos portes

Troisième point : la mondialisation. La Chine, l’Union européenne et l’OMC (Organisation mondiale du commerce) se réunissent pour déterminer comment caractériser l’économie chinoise : étatique ou de marché ?

Pour l’UE, la Chine est une économie de marché, qui doit entrer dans les règles de l’OMC : abolition des taxes. Malgré les barrières douanières, des produits chinois sont déjà partout. L’abolition des barrières tarifaires renforcera la tendance.

Pour contourner la condamnation par l’OMC des accords préférentiels avec les pays ACP, l’UE a proposé à ces derniers le regroupement en zones territoriales, et l’intégration économique pour renouer. 28 États de la région représentant 628 millions d’habitants, dont ceux de la COI, ont acté au Caire leur regroupement. Il n’y a plus qu’à signer l’APE avec l’UE pour la liberté de commerce. La Réunion c’est l’Europe. Que deviendra notre économie ?

Madagascar fait l’objet de déclarations publiques des États-Unis. L’an dernier, un sommet Afrique-USA à Washington marquait la volonté de Washington de rattraper son retard dans la politique africaine. En quelques semaines, trois visites de responsables américains se sont succédé.

Les États-Unis veulent soutenir le développement de Madagascar sur tous les plans, et s’intéressent au canal du Mozambique.

« Rendez-vous dans quelques semaines »

Paul Vergès revient alors sur l’initiative d’aller vers l’égalité réelle. La Guyane et la Martinique, deux régions d’outre-mer, ont une assemblée unique, avec de nouvelles compétences. À Mayotte, l’intégration est dans l’impasse au bout de 4 ans. Comment sauver tout ce qu’a représenté les avancées sociales et aller vers l’intégration avec les pays de notre environnement qui n’ont pas un niveau équivalent de protection sociale et de salaire ?

« C’est le grand défi qui est posé. Le rendez-vous est dans quelques semaines.

Le débat sur les 2 textes va avoir lieu fin janvier, début février à l’Assemblée nationale, et au mois de mars au Sénat. Débat qui aura lieu à une date symbolique », aux alentours du 19 mars.

Des décisions seront prises dans moins de deux mois pour l’égalité réelle, l’assemblée unique, et le compromis de la double intégration de La Réunion à l’Europe et à son environnement régional. « C’est un rendez-vous aussi important que l’abolition de l’esclavage et du statut colonial ».

« Les Réunionnais ont le droit d’être informés »

« C’est une nouvelle ère, les Réunionnais ont le droit d’être informés or ici, pas un mot ».

Comment le monde politique de La Réunion peut-il ignorer ces rendez-vous ? « Les solutions sont tellement complexes que tout le monde doit s’y mettre. La prise de position de Césaire, Raymond Vergès et Lépervanche sera-t-elle démentie par l’abdication du monde politique réunionnais au moment où le statut va changer », dit le sénateur.

« Ailleurs ils se préparent pour être responsables de la décision qui va les concerner », constate Paul Vergès, qui conclut : « l’abolition de l’amendement Virapoullé est obligatoire ».

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Messages

  • Un changement de système est incontournable !
    Paul VERGÈS a raison d’alerter la population Réunionnaise sur la question du projet gouvernemental de l’égalité réelle.
    Le système économique et social de LA RÉUNION arrive à la fin d’un cycle, sur le plan économique ce sont les multinationales qui raflent les marchés et les appels d’offre laissant des miettes aux entreprises réunionnaise dont 90% sont des petites entreprises de moins de 10 salariés et au niveau social 52% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté dont une partie sont des travailleurs pauvres.
    La campagne électorale pour l’élection Régionale a mis en évidence la rupture de confiance entre les élus politique.
    oui il faut ouvrir des débats avec la population pour construire un lnouveau projet par les réunionnais pour les réunionnais.
    Max BANON

  • Je suis tout à fait d’accord avec cette analyse .Le monde se divise en grandes zonnes d’influence , mais d’un autre côté on assiste à une volonté de plus en plus grande d’autonomie régionale on pourrait même parler de souveraineté régionale dans certains cas . La Réunion est concernée par les deux aspects , elle doit pour des raisons historiques conserver son attachement à la zonne europeenne , mais elle doit aussi jouer son role dans sa zonne géographique de l’océan indien .
    A ce titre il faut qu’elle puisse disposer d’une véritable souveraineté régionale qui lui permette de gérer elle même ses grands défis mais qui lui permette également de participer avec ses voisins à une grande zone économique régionale qui ouvrirait une perpective de retrouver un emploi à ses 30% de chomeurs et de developpement à ses entreprises.

    Mais pour cela il faut bien entendu supprimer l’amendement VIrapoulé et créer une institutution régionale spécifique par rapport aux régions métropolitaines .

    Pour savoir ce que veulent vraiment les réunionais , peut être qu’il faudrait que les autorité compétentes organisent un grand débat et laissent la paroles aux citoyens , comme cela a été fait en son temps pour les grandes lois de décntralisation de 1983 sur tout le territoire national français . Bien entendu les élus locaux devront être les acteurs privilègiés de ce grand débat pour faire remonter l’avis de la population réunionaise sur l’évolution de son statut par rapport à la mère patrie , mais également par rapport à son environnement géopolitique international .


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