Grande marche nationale de l’Outre-mer

« Peser à un moment décisif »

25 avril 2007

À l’appel du Collectif DOM, 40.000 ultramarins résidant en Métropole sont attendus ce samedi 28 avril pour une grande marche de la Place de la République à celle de la Nation, à Paris. Le Collectif des Antillais, Guyanais, Réunionnais et Mahorais se mobilise à l’entre deux tours de la Présidentielle pour que les candidats en lice concrétisent leurs engagements en faveur des Outre-mer. Plus de précisions avec Charles Dagnet, Secrétaire général du Collectif DOM. 

Quel est l’objectif de cette marche ?
- On est en train de peser à un moment décisif, et c’est d’autant plus vital que le scrutin est serré. Avant le 1er tour, les candidats se sont dispersés, c’est pourquoi nous sommes convenus, au sein du bureau, de rassembler un maximum d’ultramarins, de toutes cultures et de toutes tendances, pour exprimer les revendications classiques du Collectif depuis 4 ans, en particulier la continuité territoriale. Après des pressions intenses, on a fini par ouvrir une brèche sur ce sujet avec l’ancien Ministre de l’Aménagement du territoire, Nicolas Sarkozy. On a obtenu la mise en place d’une mission d’information parlementaire sur le prix des billets. Le dispositif d’ouverture à la concurrence qui en a découlé n’a pas encore produit son plein effet. De même, les congés bonifiés vont agir comme levier pour la baisse du prix des billets. Cependant, c’est un processus extrêmement lourd qui concerne plus de 7.000 originaires d’Outre-mer. Mais l’on va faire en sorte que son application soit pleine et entière. Ce sont les mesures principales, mais l’on veut accélérer le mouvement, faire comprendre que le Collectif DOM n’est pas endormi, que nous maintenons notre vigilance sur tous les autres dossiers comme le logement social en Outre-mer, l’environnement, les discriminations à l’embauche, au logement, au mépris que manifestent les médias à notre égard...

« Nous ne prenons pas parti »

Le Collectif se défend d’être politisé, mais son ancien Président, Patrick Karam, a aujourd’hui rejoint Nicolas Sarkozy. Que répondez-vous à ceux qui vous apposent une étiquette de droite ?
- Nous ne prenons pas parti. Certes, les gens sont tentés de dire que nous penchons à droite, mais ce n’est pas le cas. Patrick Karam a pris la liberté de quitter la présidence pour poursuivre son travail auprès de Nicolas Sarkozy, un travail plus avancé. Au Collectif, les gens agissent dans des partis de façon militante, et toute la problématique est effectivement pour nous de faire comprendre que la force du Collectif est de peser sur un maximum de partis. Victorin Lurel, un autre de nos membres, est Secrétaire national de l’Outre-mer au PS. La zone franche globale est un de ses projets ou les mesures de poursuite à l’encontre des agences immobilières qui refuseraient la caution d’un parent résidant dans les DOM pour son enfant venant étudier en Métropole. Désormais, toute agence qui refuse cette caution peut être poursuivie. Nous travaillons aussi bien avec la droite qu’avec la gauche. Tous les projets sont portés des deux côtés, mais n’ont pas la même valeur pour des questions de philosophie politique. On ne veut pas entrer là-dedans. On travaille avec tout le monde sauf avec les extrêmes. Tous nos projets sont discutés et sont soumis aux votes de toutes les tendances représentées. D’un point de vue médiatique, c’est difficile de faire comprendre ça à nos compatriotes, mais si l’on réussit à imposer cette nouvelle forme d’action, cette dynamique, le Collectif DOM va innover pour l’Outre-mer et pour d’autres actions en Métropole.

« L’éloignement ne doit pas faire oublier les Départements d’Outre-mer »

Vous parliez tout à l’heure de la continuité territoriale, mais quelle autre revendication phare sera à l’honneur de cette marche de samedi ?
- Nous n’avons pas d’ordre de préférence car toutes les mesures varient selon les compatriotes. Mais nous pensons que la commémoration du 23 mai est extrêmement importante pour l’ensemble des compatriotes. Retenue pour marquer l’abolition de l’esclavage, cette date ne rend pas hommage aux victimes de l’esclavage. On ne peut pas commémorer la fin de l’esclavage sans évoquer le génocide. L’environnement nous apparaît également fondamental. Nous voulons tirer pour enseignement le chikungunya. C’est un vrai scandale, la plus grande catastrophe naturelle de France qui a causé la mort de nombreux Réunionnais. Pour le Collectif DOM, c’est extrêmement grave. Nous n’avons pas su donner l’écho que nous aurions voulu en Métropole à ce scandale, à cette lenteur et à ce défaut de considération pour les originaires d’Outre-mer dans le débat d’Etat. J’ai beaucoup apprécié d’ailleurs l’intervention d’Huguette Bello, une femme extraordinaire qui, face au Ministre de la Santé qui prétextait une insuffisance d’information, a su resituer le débat.
Dans le même esprit, la pollution industrielle aux Antilles est inacceptable. On parle de l’environnement comme d’un sujet à la mode, mais les Antillais souffrent. Il y a un vrai problème de santé publique. Nous avons déjà proposé un Plan Marshall pour qu’une mission parlementaire et des mesures soient engagées d’urgence. Le Ministère de l’Outre-mer a montré ses limites. Il gère les affaires courantes, mais il nous faut des gens spécifiquement rattachés aux questions de l’Outre-mer.
Les candidats doivent tenir compte du fait que pour l’environnement comme d’autres sujets, les questions relatives à l’Outre-mer ne doivent pas être traitées de façon accessoire. L’éloignement ne doit pas faire oublier les Départements d’Outre-mer. Certains élus qui sortent pourtant des grandes écoles nous disent que ce n’est pas de la mauvaise volonté de leur part, mais qu’ils n’y pensent pas forcément. Il faut revoir sa géographie : ce problème d’éducation, on le retrouve dans les médias, les manuels scolaires, en politique.

« Nous plaidons pour une gouvernance économique locale »

On a l’impression que les originaires d’Outre-mer se battent pour que leurs droits de citoyens français soient appliqués, alors que politiquement et économiquement, l’Outre-mer occupe une place stratégique en France et en Europe. Qu’en pensez-vous ?
- C’est tout à fait vrai et la France en est bien consciente. Seulement, elle ne veut pas concéder trop de liberté, trop d’indépendance d’esprit à l’Outre-mer car le spectre de l’indépendance l’effraie toujours. Que les affaires qui concernent nos régions soient décidées à Paris est parfaitement inacceptable. C’est pourquoi, nous plaidons pour une gouvernance économique locale qui nous permettrait, en matière touristique notamment, de discuter directement avec les États voisins pour conclure des accords commerciaux. Aujourd’hui, c’est impossible, il faut passer par la Métropole. Mais le temps que là-bas, ils quittent leurs préoccupations hexagonales... nos voisins n’attendent pas, eux. C’est un véritable gâchis dont nous payons en premier lieu les conséquences.
En lien avec votre question, je veux aussi rajouter que nous souhaitons encourager les ultramarins vivant à Paris à se montrer sur la scène politique. Ce n’est pas une chose simple, il y a du chemin à faire dans les têtes, mais nous les encourageons à aller dans les débats de quartier, à peser dans les discussions. Sur le plan économique, nous allons mettre en place un réseau de compétences pour que les ultramarins qui agissent au sein d’entreprises, dans le domaine de la justice, dans différentes spécialités, puissent offrir leurs compétences à un tiers. L’idée est de mettre en place une vraie plate-forme d’échanges économiques pour que les ultramarins agissent sur l’économie en France et en Europe, y participent, aient une lisibilité.

Vous parlez de plate-forme, cela me permet de rebondir sur celle de l’Alliance à La Réunion, soumise et approuvée par les principaux candidats. En avez-vous entendu parler ? Si oui, que pensez-vous de la démarche ?
- J’en ai vaguement entendu parler. Mais cette flopée de propositions des uns et des autres, des associations, transmises aux politiques nous semble un peu pernicieuse. On voit ce que cela a donné avec le Pacte de Nicolas Hulot. On ne veut pas en rajouter à ce concert, mais proposer un message clair.

Plate-forme de l’Alliance : « C’est vraiment très intéressant »

L’Alliance ici n’est pas une association. Ce sont des partis politiques progressistes d’horizons divers qui, aux côtés de représentants de la société civile, ont décliné au sein d’une plate-forme une série de propositions pour le développement de La Réunion sur les 20 prochaines années. Cela ne correspond-il pas à la nécessaire prise de responsabilités des Outre-mer dont vous parliez tout à l’heure ?
- Effectivement. Tout à fait. Je ne suis pas à l’évidence assez informé sur le sujet et je vais le faire de suite. Cette démarche est très intéressante et mériterait justement un meilleur relais par les médias nationaux pour permettre à chacun de s’emparer de la démarche qui appuie, est complémentaire de l’action du Collectif. Cela pourrait inciter pourquoi pas les autres Départements d’Outre-mer à suivre cette voie, les inciter à concrètement franchir le pas et à imposer leur vision politique de l’avenir sur leur propre territoire. C’est vraiment très intéressant.

En attendant, et pour terminer avec une question qui aurait pu être posée au début de notre entretien : Est-ce que les ultramarins sont vraiment obligés de défiler, d’être vus pour être entendus, reconnus, écoutés par le gouvernement ?
- En France, la classe politique ne comprend que le rapport de force. En 4 ans, on a bien mesuré cette donnée. Il faut, excusez-moi l’expression, les faire chier, ne jamais les lâcher, pour être regardés. On ne nous laisse pas le choix que ce rapport de force, dans le respect des valeurs républicaines. On nous a tellement endormis, tellement dit d’attendre pensant qu’on allait finir par se résigner, mais notre volonté est farouche. Droite ou gauche : on ne nous empêchera pas de dénoncer les choses. Cette marche n’est qu’une étape pour aller plus loin, pour que les dirigeants passent à la phase concrète de la continuité territoriale, de la reconnaissance de la mémoire, de l’environnement... du respect de l’Outre-mer.

Entretien Stéphanie Longeras


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