Grenelle de l’Insertion : Huguette Bello est intervenue dans le débat

Pour réaffirmer la spécificité de La Réunion

19 janvier 2008

L’Assemblée nationale a organisé, ce 17 janvier 2008, un débat sur le “Grenelle de l’Insertion” peu après que les trois groupes de travail constitués sur ce thème ont commencé leurs travaux.
Cette séance a été organisée de la façon suivante : après une déclaration de Martin Hirsch, Haut commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, les députés ont pu exprimer leur vision et leurs attentes de ce nouveau Grenelle. Chaque groupe parlementaire disposant à cet effet de 30 minutes de temps de parole.
Huguette Bello est intervenue dans ce débat. Elle a notamment attiré l’attention du gouvernement sur la situation particulière de la Réunion en matière d’insertion tant du point de vue de l’expérience acquise que des solutions spécifiques à imaginer et à mettre en oeuvre.
Retrouvez ci-après, le discours intégral prononcé par la Députée de La Réunion.

« Pendant six mois, l’insertion, à son tour, aura droit à son Grenelle. Cette mise à jour des politiques, des dispositifs et des moyens m’intéresse tout particulièrement. D’une part, comme élue d’un département dont le quart des habitants est concerné - en tant qu’allocataires ou en tant qu’ayants droit - par le revenu minimum d’insertion. Ce pourcentage montre à lui seul quelles conséquences structurelles les décisions issues de ce Grenelle auront sur la société réunionnaise. D’autre part, de façon plus générale, l’insertion me semble constituer un de ces prismes à travers lesquels se reflète le bien-fondé de nos choix de société, cela dans à peu près tous les domaines : éducation, urbanisme, économie, social. Trop souvent aspect marginal ou point aveugle de la décision politique, l’insertion devrait souvent en être le point de départ.

Vouloir placer l’insertion au centre des débats, c’est donc une démarche que je veux saluer. Mais reconnaissez tout de même, Monsieur le Haut Commissaire, que le contexte est pour le moins défavorable et qu’il incite plutôt à la perplexité. Voici en effet quelques éléments de ce contexte.

Le pouvoir d’achat des titulaires des minima sociaux ignoré

Il y a d’abord la question du pouvoir d’achat des titulaires des minima sociaux : elle a été entièrement ignorée.
Il y a ensuite l’amputation d’un quart récemment infligée aux contrats aidés par le Gouvernement. Cette diminution, que la ministre de l’Économie, des Finances et de l’Emploi justifie par la baisse tendancielle du taux de chômage, est vivement contestée par un collectif d’associations où figure Emmaüs France. Les dégâts provoqués par cette mesure seront encore infiniment plus graves à La Réunion. La situation de l’emploi y rend totalement irréalisable l’idée du Gouvernement de parvenir à un taux de chômage de 5% d’ici à la fin du quinquennat.
Il y a aussi ce décret, à paraître très prochainement, qui vise à conditionner le versement du RMI à une évaluation des biens et du train de vie des bénéficiaires. Sous le prétexte de lutter contre quelques cas de fraude, il fera peser une détestable suspicion sur tous les bénéficiaires du RMI, comme s’ils étaient les principaux profiteurs de l’argent public !

Nous le disons souvent : l’insertion est un tout. Elle passe par le logement, dont nous savons à quel point il est problématique. Elle passe par l’accès aux soins que les franchises que vous avez instaurées rendent plus difficile. Elle passe aussi par l’enseignement et l’éducation que les réductions d’effectifs ne favoriseront pas.

L’insertion vivier des emplois de demain

Il me semble important d’observer que la vocation de l’insertion est double. D’une part, évidemment, favoriser l’accès à l’activité et au travail de ceux qui en sont exclus. Mais, d’autre part, l’insertion est aussi l’espace où se forgent des activités qui correspondent à des besoins ressentis par tous les citoyens, mais auxquels le secteur économique classique n’apporte pas de réponse. En ce sens, l’insertion est aussi le vivier des emplois de demain. Son aspect créatif doit être fortement souligné. C’est ainsi, par exemple, que la protection et la valorisation de l’environnement ou les services à la personne constituent des gisements d’emploi importants pour peu qu’on se donne les moyens de les imaginer et l’énergie de les mettre en œuvre. À La Réunion, des milliers d’emplois pourraient être, de cette façon, offerts aux jeunes.

Il va de soi que le caractère global de l’insertion nous fait souhaiter que, loin d’aggraver la séparation - voire l’opposition - entre l’économie solidaire et l’économie marchande - ce Grenelle de l’Insertion soit une occasion privilégiée de les mettre en synergie.
Rien n’est plus décourageant pour les bénéficiaires ni plus dommageable pour l’économie solidaire que la dévalorisation dont les emplois aidés ont trop souvent à souffrir. Le temps n’est plus aux oppositions arbitraires, idéologiques, et finalement stériles. L’ouverture de nos esprits à la réalité du travail nous oblige à lancer toutes les passerelles possibles entre l’économie marchande et l’économie solidaire. L’implication des entreprises par le moyen de la clause du mieux-disant social ou du tutorat a montré ses limites. Sans doute, comme vous le proposez, faut-il commencer à chercher la façon d’associer davantage les entreprises à cet effort d’insertion. Une des pistes serait d’envisager leur participation sur le modèle de ce qui s’est fait pour la formation permanente.

La Réunion a une longue expérience des politiques d’insertion

Malgré de nombreuses créations d’emplois, mais du fait de l’arrivée massive des jeunes sur le marché du travail, l’île de La Réunion a une longue expérience des politiques d’insertion. Aux dispositifs de droit commun sont venus régulièrement s’ajouter des mesures spécifiques telles que l’allocation de retour à l’activité (à laquelle s’apparente d’ailleurs le nouveau RSA), le projet initiatives jeunes, le revenu de solidarité, une agence départementale d’insertion.

De notre expérience longue et multiple de l’insertion, nous pouvons tirer deux enseignements principaux.
L’insertion, elle aussi, a d’abord besoin de stabilité. Les trop fréquentes évolutions de ses procédures lui sont nuisibles. Personne ne peut comprendre qu’on supprime les dispositifs qui fonctionnent bien. Il en a été ainsi des emplois-jeunes, dont le succès, à la Réunion, avait été phénoménal. Il en a été ainsi, plus récemment, du congé-solidarité que le Gouvernement vient de supprimer en dépit des milliers d’emplois pour les jeunes diplômés qui étaient à mettre à son crédit.
À sa manière, le succès jamais démenti du plus vieux dispositif d’insertion, le service militaire adapté, ce SMA créé dans les départements d’Outre-mer il y a plus de quarante-cinq ans et qui a même survécu à la suppression du service militaire, montre que la continuité dans les dispositifs est une condition sine qua non du succès de l’insertion. Il va de soi que la stabilité des financements en est une autre.

Outre la stabilité, notre expérience nous montre que l’insertion suppose aussi une bonne structuration de l’économie solidaire, capable de favoriser des itinéraires d’insertion cohérents. Un quart de siècle après le début des politiques d’insertion, il est temps de créer un secteur spécifique pour l’insertion. Du fait des évolutions souvent déstabilisantes du marché du travail, aucun salarié, jeune ou plus âgé, avec ou sans diplôme, ne peut se tenir quitte de rupture et de changement dans sa vie professionnelle.

Le contrat unique d’insertion, dont la création a été curieusement annoncée avant même le lancement de ce Grenelle, est-il le signe précurseur d’une évolution en ce sens ? La superposition des contrats aidés avait fini, il est vrai, par brouiller le paysage de l’insertion. Mais la fusion préconisée préservera-t-elle assez de souplesse pour répondre aux caractéristiques des différents publics et des divers territoires ? L’échec patent de l’application du contrat d’avenir et du revenu minimum d’activité à la Réunion est un précédent à méditer.

La réforme doit passer la revalorisation des minima sociaux

À côté de la fusion des contrats aidés, vous avez déjà annoncé aussi celle des minima sociaux. Aborder cette réforme dans le cadre de ce Grenelle sans parler de la question de leur revalorisation serait incompréhensible. Le « choc de confiance » passe aussi par ce préalable.

Enfin, puisque la généralisation du Revenu de Solidarité Active bien avant la fin de l’expérimentation de trois ans qui avait été prévue semble acquise, pouvez-vous d’ores et déjà nous préciser quel sort sera réservé à ceux qui ne trouveront pas d’emploi ? Quelle allocation leur sera versée ? Qui en assurera le financement ? Ce nouveau dispositif, vous le savez, n’est pas sans susciter des questions, voire de l’inquiétude. Ne serait-il pas raisonnable, plutôt que de substituer le RSA aux minima sociaux, de les faire coexister ?

Nous savons tous à quel point ces questions sont sensibles et qu’elles concernent des personnes en situation de fragilité. Aussi l’audace nécessaire doit-elle rester empreinte de sérénité. »

Lutter contre la vie chèreHuguette Bello

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