Budget de l’Outre-mer

Projet de loi de finances pour 2007

15 novembre 2006

À l’Assemblée Nationale, pour le budget de l’Outre-mer qui engage notre île, le débat, qui a eu lieu hier mardi, a été vigoureux. Huguette Bello et Christophe Payet, les deux députés réunionnais, sont montés à la tribune pour intervenir, et dire combien ce qu’offrait la politique du gouvernement ne répondait pas aux attentes des Réunionnais.

Nous avons choisi de vous présenter les deux interventions des parlementaires, car les enjeux pour les années à venir sont essentiels, et que chacun doit connaître les positions et les actions de ceux qui les représentent. Les intertitres sont de “Témoignages”

Intervention d’Huguette Bello

« Ce dernier exercice budgétaire de la 12ème législature aurait pu être celui du sursaut de la politique du gouvernement en faveur de l’Outre-mer. Il n’en est rien. Et il nous faut bien constater que le désengagement se poursuit.

Le logement social outre-mer restera l’un des grands échecs de la politique gouvernementale de ces cinq dernières années. La diminution constante des moyens financiers et les annulations budgétaires massives qui se sont succédé ont mis à mal l’investissement public dans ce secteur. La production de logements sociaux est sinistrée alors que les besoins ne cessent d’augmenter. Illustré par les listes d’attente qui s’allongent constamment, ce paradoxe est une grave atteinte à la cohésion sociale. De plus, il se double d’une inégalité de traitement puisque, dans la même période, des moyens importants ont été votés pour la France continentale au point que le Ministre de la cohésion sociale se félicite tous les jours de l’augmentation historique du nombre de logements sociaux en construction.

Depuis plusieurs années, les élus et l’ensemble des opérateurs sociaux n’ont cessé, de façon unanime, d’alerter le gouvernement et de proposer des solutions pour sortir de la crise. Il aura fallu attendre le rapport d’une mission d’audit pour que le Premier Ministre annonce, il y a un mois, un premier train de mesures en faveur du logement social outre-mer.
C’est une première étape, accueillie favorablement, mais il va de soi que c’est l’ensemble de la chaîne de construction qui devra faire l’objet d’un traitement particulier si l’on souhaite vraiment remédier à la pénurie actuelle, lutter contre l’insalubrité, faciliter les parcours résidentiels, répondre à l’aspiration légitime des Réunionnais, y compris les plus modestes, de devenir propriétaires de leur logement. Le diagnostic a été établi à maintes reprises de façon précise, ainsi que la liste des pistes à explorer. Si la volonté politique est au rendez-vous, la relance de ce secteur devrait donc pouvoir être très rapide.

L’emploi est toujours le programme prioritaire de la Mission outre-mer. Avec des taux de chômage de l’ordre de 30%, les variations annuelles d’un ou deux points ne peuvent suffire pour évaluer le bien-fondé d’une politique. Par contre, l’analyse des résultats des différentes mesures, spécifiques ou non, qui visent à favoriser l’emploi outre-mer nous propose deux enseignements.
Le premier est que, dans leur grande majorité, les dispositifs pour créer des emplois, aussi bien dans le secteur solidaire que dans le secteur marchand, ont été plébiscités. Les Réunionnais veulent travailler. Cette année encore, les créations d’emplois ont été importantes, y compris par le biais de créations d’entreprises. À cet égard, un soutien particulier mériterait d’être apporté aux créateurs d’entreprises, surtout durant les toutes premières années.

Reconduire les congés solidarité

Le deuxième enseignement est plus directement lié aux lois d’orientation et de programme pour l’Outre-mer de 2000 et 2003. Pour nécessaires qu’elles soient pour relancer l’emploi et l’investissement privé, elles révèlent aussi les limites d’une logique. Les interventions publiques sur les deux facteurs de production - le capital et le travail - ont, bien sûr, permis de développer des secteurs d’activités et des emplois ; c’est le cas, par exemple, pour les énergies renouvelables. Mais ce type d’intervention ne suffit plus, surtout parce que la dynamique de la population active continue à augmenter fortement. Nous ne pouvons guère compter sur les départs à la retraite pour créer des emplois et rééquilibrer le marché du travail, si ce n’est de façon modeste avec le congé solidarité. La reconduction de ce dispositif est d’ailleurs souhaitée par l’ensemble des organisations syndicales.

De façon générale, les années à venir devront être celles du maintien et de la stabilité de dispositifs qui ont fait leur preuve. Mais elles seront aussi celles de l’innovation. L’emploi restera sans doute le meilleur révélateur de notre capacité à articuler les ensembles politiques et géographiques auxquels nous appartenons.

Nous ne pouvons plus temporiser ni différer. Tous les indicateurs annoncent une aggravation de la précarité. Le pouvoir d’achat est, lui aussi, sérieusement mis à mal : la hausse des loyers et des carburants est continue, les prix à la consommation ont augmenté de près de 40% en 15 ans. Pour de nombreux ménages, les dépenses se font à l’euro près. C’est pourquoi je me permets de vous interroger, Monsieur le Ministre, sur l’état d’avancement du décret d’application de l’article 29 de la loi d’orientation pour l’Outre-mer qui prévoit d’étendre l’Allocation de Parent Isolé, l’API, aux départements d’Outre-mer dans un délai de sept ans, c’est-à-dire en 2007. Nous y sommes ou presque.

Pour une véritable continuité territoriale

Comment ne pas évoquer aujourd’hui la terrible épreuve que La Réunion vient de traverser avec l’épidémie de chikungunya, une des plus graves crises de ces dernières décennies ? Nous l’avons affrontée avec courage et responsabilité. L’arrivée de l’été austral incite à la vigilance et à vous interroger sur les modalités de la veille sanitaire, particulièrement sur la mise en place d’un service de lutte anti-vectorielle pérenne.
Aucun secteur n’a été épargné par cette crise. Mais celui du tourisme, première activité économique de l’île, a été atteint de plein fouet : le nombre de visiteurs aurait chuté de 50%. On en devine les conséquences.

Cette évolution conduit à inclure, parmi les leçons principales de cette crise, la question de la desserte et du désenclavement aériens. Elle nous montre à quel point le principe de continuité territoriale, tel qu’il est appliqué aujourd’hui, est insuffisant. Tant que les prix des billets d’avion resteront aussi élevés, et notons qu’ils le sont restés même en période de crise, ils constitueront l’obstacle majeur à la libre circulation sur l’ensemble du territoire national. Il suffit d’écouter les originaires de l’Outre-mer résidant en France métropolitaine pour s’en convaincre.

Il n’était venu à l’esprit de personne de demander au gouvernement de régler en cinq ans les difficultés de l’Outre-mer. Mais la sagesse aurait voulu que l’on veille à ce qu’elles ne s’amplifient pas, surtout au moment où nous devons affronter de nouveaux défis, liés pour une bonne part à la mondialisation.

Dans la recherche d’un monde multipolaire, l’heure n’est plus ni à l’uniformité ni au mimétisme. Plus de centre, plus de périphérie. Être soi-même avec et parmi les autres. La Réunion veut être avec et parmi la France, l’Europe, l’Océan Indien, le monde. »


Intervention de Christophe Payet

« Le budget pour l’Outre-mer soumis à notre examen présente la particularité d’être le dernier de la législature. En même temps qu’il sera mis en oeuvre au cours d’une année 2007 marquée par des échéances importantes.
Cela a été dit : ce budget ne présente pas d’augmentation significative. Qu’il soit en légère hausse ou légère baisse, cela est finalement d’un intérêt très relatif. Les variations sur telle ou telle ligne de crédits ne peuvent occulter la constance de nos problèmes, rappelés ici année après année. C’est pourquoi, aujourd’hui, nous souhaitons simplement poser avec mesure et objectivité le diagnostic d’une réalité marquée par quelques avancées, des stagnations et aussi des reculs dans bien des domaines.

A La Réunion, sur le plan de l’emploi, nul ne saurait nier quelques améliorations notamment dans le secteur du BTP qui affiche un nombre jamais atteint de 21 500 emplois. Cette singularité réunionnaise, s’explique doublement : par les effet, certes contrastés, mais incontestables de la défiscalisation sur ce secteur et surtout par la politique active et volontariste de la Région Réunion en faveur des grands chantiers. Les effets très positifs, par exemple, du chantier de la Route des Tamarins sur la situation de l’emploi, au-delà même du secteur du BTP, reconnus de tous. Une Route des Tamarins attendue par la population de l’Ouest et du Sud, et qui devrait contribuer au développement des hauts comme à la structuration et au rééquilibrage de notre territoire. Route des Tamarins qui, nous l’espérons, sera complétée par le tram train.

Le Gouvernement est-il prêt à s’engager ?

Le Gouvernement conviendra t-il que c’est la voie à suivre ? Est-il prêt à soutenir les efforts locaux au moment même où sont engagées les discussions sur les crédits des Contrat de Projet Etat-Région et des programmes européens ?

La Réunion a également su tirer le meilleur parti des mesures en faveur de la défiscalisation des énergies renouvelables. Le dynamisme des entreprises, notamment dans le secteur de l’énergie solaire, est tout à fait exemplaire. Faut-il le rappeler : chaque année, nous installons à La Réunion autant sinon plus de panneaux solaires que dans toute la France. Alors même que sont engagés des travaux d’évaluation de la loi programme et notamment du dispositif de défiscalisation, il importe de combler un manque et d’envisager la défiscalisation pour le secteur de la recherche, en cohérence avec la nécessaire valorisation des pôles d’excellence. S’agissant des charges sociales, il conviendrait de consolider et non de remettre en cause l’exonération des charges pour le transport aérien. Faut-il le rappeler, ce secteur est celui où le taux de création d’emplois a été le plus élevé.

Dans cette évaluation de la loi programme, c’est une logique de progrès qui doit primer. Cela signifie que nous nous opposerons très clairement à toute mesure, qui sous couvert d’évaluation de la défiscalisation, viserait à faire participer l’Outre-mer, au-delà de ses possibilités, à la politique de réduction des dépenses publiques. Au contraire, nos régions et singulièrement La Réunion ont besoin d’une politique de rattrapage dans tous les secteurs. A ceux qui perçoivent l’Outre-mer dans le seul prisme réducteur du “combien ça coûte”, opposons une vision positive et affichons sans complexe que les investissements Outre-mer participent au rayonnement de la Nation toute entière. Cela me conduit à dire deux mots sur les propositions de l’IGF relatives à la réforme des régimes spéciaux des retraites versées Outre-mer. Il n’y pas de sujet tabou ; tout doit être mis sur la table mais dans la transparence et la concertation.

Les investissements outre-mer participent au rayonnement de la France

Sur le plan du logement, force est de constater que les effets de la défiscalisation sont contrastés et que celle-ci doit nécessairement être accompagnée de mesures pour pallier ses effets pervers et les distorsions créées. Jamais la pression sur le foncier et la spéculation n’ont été aussi fortes. Jamais l’offre de logements sociaux n’a été si faible. Jamais les personnes les plus démunies et les classes intermédiaires n’ont eu autant de difficulté pour se loger. Nous prenons acte de la position du Gouvernement tendant à faire bénéficier le logement social de la défiscalisation. Il importe à présent d’engager au plus vite les discussions avec les opérateurs, les bailleurs sociaux et les élus. Mais il faut aller plus loin. Les annonces du Premier Ministre aux Antilles ne répondent que partiellement aux propositions des acteurs du logement, portées à La Réunion notamment par l’ARMOS. Ces propositions sont connues, évaluées, soutenues par les élus. Il est plus que temps de les concrétiser pour ne pas laisser la situation continuer à se détériorer.

Le constat, à La Réunion, c’est aussi l’aggravation des inégalités et de l’exclusion. Constat largement partagé, au-delà des appartenances politiques. C’est ce qui ressort d’ailleurs des travaux d’une délégation du Sénat conduite par le sénateur UMP Alain GOURNAC chargé d’étudier la situation sociale à La Réunion. Les chiffres de ce rapport parlent d’eux-mêmes. En 2004, à La Réunion le nombre de Erémistes augmente de 7,7%. Sur une population de 775 000 habitants, c’est près de 195 000 Réunionnais qui sont tributaires aujourd’hui de cette allocation, et près de la moitié de la population qui relève de la Couverture Maladie Universelle. Quand en France métropolitaine 2,4% de la population vivent du RMI, à La Réunion c’est 10%. Quand en métropole c’est 8% des ménages qui bénéficient des minima sociaux, à La Réunion c’est 37%. Le chômage y est massif avec un tiers de la population qui se trouve privé d’emploi et 42% des ménages qui comptent au moins un chômeur. Telle est la réalité de notre île, qui, parfois en dépit des apparences, demeure l’une des sociétés les plus fracturées et inégalitaires de la République.

Pour la création d’un centre de préparation aux métiers de l’administration

S’agissant de l’emploi, en dépit de la baisse du taux de chômage qui serait passé sous la barre des 30%, La Réunion détient toujours le record en la matière et cela est insupportable. Après la suppression pure et simple des anciens contrats aidés (CES, CIA, CEJ), avec les nouveaux contrats (CAE,CA), le Gouvernement a transféré de nouvelles charges financières sur les collectivités locales déjà exsangues. Ainsi, nous réitérons notre demande de création d’un Centre de Préparation aux Métiers de l’Administration afin d’offrir à notre jeunesse diplômée au chômage de réelles chances de s’insérer dans le monde du travail.

Nous l’avions dit au moment de la discussion de la loi de programme pour l’Outre-mer : la structure démographique de notre société oblige au volontarisme dans le champ de l’économie sociale. Il est illusoire de croire et de faire croire que seule l’économie marchande sera suffisante pour offrir une perspective durable d’insertion aux milliers de jeunes actuellement privés d’emplois, et aux milliers qui chaque année arrivent sur le marché de l’emploi.

Tout cela participe à la détérioration du pouvoir d’achat des Réunionnais. Il s’agit là d’une question complexe compte tenu d’une part de la structure des salaires et des mécanismes opaques de formation des prix. La loi d’orientation pour l’Outre-mer avait prévu, en son article 75, la création d’un Observatoire des prix et des revenus afin de faire la transparence sur cette question. À ce jour, le décret d’application n’a toujours pas été pris. Ma question, Monsieur le Ministre, est simple et claire : avez-vous l’intention de prendre ce décret ? Avez-vous l’intention de concrétiser la volonté du législateur ?

Je voudrais terminer en évoquant rapidement la question agricole. La réforme de l’OCM Sucre accorde aux planteurs de canne un sursis avec la mise en œuvre de compensations jusqu’à 2013. La convention usiniers/planteurs revêt un aspect capital pour que la situation des producteurs et notamment des plus petits d’entre eux ne s’en trouve pas aggravée. La substitution projetée d’un prix de référence à l’actuel prix d’intervention suscite des inquiétudes chez nos planteurs de canne. Pouvez-vous nous indiquer, Monsieur le Ministre, la portée de ce changement ?

Pour conclure, en dépit de quelques avancées, ce budget n’est pas de nature à opérer un changement d’échelle pour engager l’Outre-mer sur la voie d’un vrai développement et atténuer les effets d’une situation sociale marquée par un chômage massif.

C’est pourquoi, il ne me sera pas possible de l’adopter. »


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