Eugène Rousse et le cinquantenaire du P.C.R. — 1 —

Quelques moments forts à ne pas oublier

6ème Congrès du PCR : 8, 9 et 10 mai

5 mai 2009

À l’occasion du 50ème anniversaire de la création du Parti Communiste Réunionnais et de son 6ème congrès, un des piliers de notre mémoire historique réunionnaise, Eugène Rousse, a décidé de rédiger pour ’Témoignages’ un texte où il attire notre attention sur quelques moments forts de ce demi siècle à ne pas oublier. Nous remercions notre ami historien pour cette contribution précieuse et passionnante à la connaissance de ce passé. Car si nous voulons entrer dans l’ère de la responsabilité, il est important de connaître ce qui est arrivé dans les décennies écoulées et de mesurer les évolutions de la situation réunionnaise pendant cette période. Cela nous permet aussi de mieux comprendre le chemin qui reste à parcourir pour terminer la décolonisation de notre pays.

Le 6ème congrès du Parti Communiste Réunionnais, qui se tient à Saint-Denis les 8 et 9 mai prochains et qui sera clôturé par le meeting public à La Rivière Saint-Louis le 10 mai, sera un événement très important pour construire l’avenir de La Réunion. Mais ce sera aussi assurément le temps fort de la célébration du cinquantenaire du PCR puisque ce parti a vu le jour le 18 mai 1959 à la mairie du Port.
La tenue de ce congrès m’offre l’occasion de rappeler un certain nombre de mesures arbitraires prises par la Préfecture tant au cours de la période de gestation du PCR que pendant ses premières années d’existence. La décision du pouvoir de l’époque de priver les démocrates réunionnais de leurs droits les plus élémentaires et l’ignoble campagne de dénigrement d’adversaires politiques disposant d’énormes moyens n’ont pas empêché le PCR — dont la "mort" avait été annoncée par Michel Debré à Saint-Louis en 1967 — de jouer sur la scène politique le rôle qu’il s’était fixé au cours de ce dernier demi-siècle. C’est ce que je me propose aussi de souligner.

Le préfet J. P.-P. : éliminer les communistes

Ce n’est un secret pour personne que dès son arrivée dans l’île le 13 juin 1956, le préfet Jean Perreau-Pradier se déclare déterminé à éliminer les communistes du paysage politique réunionnais.
Après moins de trois ans de présence à La Réunion, le chef du département pouvait s’estimer satisfait d’avoir pu réaliser presque totalement son plan machiavélique.
Au lendemain du décès du docteur Raymond Vergès, survenu le 2 juillet 1957, Jean Perreau-Pradier mobilisait toutes les forces répressives de l’île et leur demandait d’apporter leur concours à plusieurs dizaines d’hommes de sac et de cordes, repris de justice pour la plupart, afin de chasser par la force les communistes de la mairie de Saint-André, dirigée depuis plus de 10 ans par le docteur Vergès.
Encouragé par la réussite de ce premier test, Jean Perreau-Pradier, assuré du soutien des juridictions administratives et pénales, s’attaque ensuite à toutes les mairies communistes, n’épargnant provisoirement que celle du Port. De tels coups de force s’accompagnent d’un déchaînement de violences et d’une féroce répression visant exclusivement les victimes de la fraude électorale.

Maintenir un régime colonial

Devant ce non-respect des principes républicains, la décision est prise le 18 février 1958 par l’Assemblée Nationale de confier à une commission d’enquête une mission visant à mettre fin aux grossières violations du suffrage universel à La Réunion. Cette décision parlementaire n’empêche pas Jean Perreau-Pradier de poursuivre l’exécution de son plan avec plus de cynisme et de détermination.
Comment ne pas se rappeler que c’est au prix d’un vol monstrueux, couvert par la Préfecture, de l’assassinat d’un jeune Dionysien (Héliar Laude) et du sauvage matraquage par les CRS de son adversaire Paul Vergès, que Gabriel Macé peut devenir le maire de Saint-Denis le 15 mars 1959.
Aussi est-il normal que le projet de thèses soumis aux 150 délégués présents à la conférence fédérale les 17 et 18 mai 1959 au Port souligne que la volonté du pouvoir est de maintenir à La Réunion un régime colonial. Outre le recours à la violence sous toutes ses formes, les moyens mis en œuvre pour atteindre ce but consistent à priver les Réunionnais de la possibilité de choisir leurs élus, de leur enlever le droit d’exprimer leurs opinions par des manifestations.
Et c’est tout naturellement que le rapporteur du projet du comité fédéral évoque l’assassinat de François Coupou tombé le 29 mai 1958 sous les matraques des CRS, ainsi que l’indignation provoquée par la tentative du préfet de maquiller ce crime odieux en crise cardiaque.
L’autoritarisme du préfet finit toutefois par irriter ses propres amis politiques, dont certains s’estiment lésés lors du partage des mandats enlevés aux communistes. Aussi assiste-t-on à de véritables batailles de chiffonniers au moment de la désignation par le préfet des candidats gaullistes aux législatives du 18 novembre 1962, qui donnent lieu à des scènes de « gangstérisme ». Ce mot est du "Journal de l’île de La Réunion", qui pourtant est à cette époque un auxiliaire zélé du pouvoir.

Des « résultats totalitaires » à chaque élection

Le truquage des élections prend une ampleur telle, dès la chute de la 4ème République, que l’historien Jean de Fos du Rau, expatrié à La Réunion depuis 1948, éprouve le besoin de dénoncer ces fraudes électorales dans une thèse de doctorat parue en 1960. Il proteste notamment contre le scandale que constitue « le régime de la liste unique, dans 14 communes sur 23 aux élections des 8 et 15 mars 1959 », ainsi que les « résultats totalitaires préfabriqués » enregistrés à chaque élection.
Après la mascarade à laquelle donne lieu les Municipales de mars 1959, la droite locale laisse entendre que le rappel à Paris de Jean Perreau-Pradier est imminent. En fait, ce rappel n’interviendra que 4 ans plus tard (le 2 mars 1963). Au cours de son long règne (près de 7 ans), ce singulier représentant de l’État aura donc eu largement le temps de s’abandonner à tous ses fantasmes et comportements illégaux. Des attitudes qui ont plongé dans l’angoisse d’innombrables familles réunionnaises et qui ont provoqué une sensible dégradation des conditions de vie de la majorité de nos compatriotes.

Le mépris du préfet Jean Perreau-Pradier envers les Réunionnais

Les faits suivants, dont la liste est loin d’être exhaustive, témoignent du profond mépris du préfet envers les Réunionnais et singulièrement envers les communistes.
Lors de l’ouverture du CHD de Bellepierre en juillet 1957, un poste d’électricien est à pourvoir dans cet établissement. Ingénieur diplômé de l’École supérieure d’électricité de Paris, Bruny Payet apprend que sa candidature ne peut être retenue, sous prétexte qu’il a « trop de diplômes ». Il s’adresse alors au vice-Rectorat de La Réunion, où l’on procède en cette année 1957 à un recrutement massif d’enseignants au niveau du brevet élémentaire. Le titulaire du bac mathématique avec mention bien s’entend répondre par le vice-recteur : « avec vos diplômes, vous ne pouvez servir qu’à Aix-en-Provence ». Le comble du cynisme est atteint lorsque Jean Perreau-Pradier prive Bruny Payet de son passeport sans qu’il daigne justifier sa décision.
C’est au tour de Marguerite Payet, l’épouse de Bruny, de poser sa candidature à l’examen d’entrée à l’École d’infirmières de Bellepierre. Au moment des délibérations, le vice-recteur informe le jury que Jean Perreau-Pradier lui a donné l’ordre de minorer toutes les notes de Marguerite Payet afin de l’écarter de la liste des lauréats. Personne n’ose protester.
Parmi les autres victimes de l’arbitraire préfectoral, il me faut citer :

- L’inspecteur de l’Education nationale Roger Ueberschlag, brutalement expulsé de La Réunion au début de 1960 parce qu’il préconisait l’accueil des jeunes écoliers dans leur langue maternelle.

- Daniel Lallemand, qui se voit interdire d’occuper au lycée Leconte de Lisle un poste sur lequel il a été affecté par arrêté ministériel daté du 21 juillet 1960.

- Une dizaine d’enseignants réunionnais expulsés illégalement de leur île en application d’une ordonnance qui n’aurait dû normalement s’appliquer qu’à l’Algérie en guerre. Ces expulsions ont d’ailleurs été condamnées par les juridictions administratives.

Eugène Rousse

(à suivre)

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