Koud’kongn de Raymond Mollard

Qui n’a pas gagné va gagner !...

11 juin 2007

Certes, nous n’avons pas à La Réunion, comme aux Antilles et en Guyane, un carnaval qui puisse permettre une fois par an, à chacun de ceux qui en éprouvent le besoin, d’exprimer à sa guise sa “p’tite folie” ou son “grain d’fantaisie”.
Nous n’en apprécions que plus, tous les cinq ans, cette forme particulière de défoulement collectif qu’occasionnent les élections législatives. Qu’on en juge : dix-neuf candidat(e)s pour la seule circonscription dionysienne, quarante-neuf pour l’ensemble des autres ! Ce n’est plus une élite intellectuelle qui cherche à accéder aux commandes des pouvoirs publics, c’est une armée mexicaine de gueux, de traîne-savates, de médaillés à deux sous, de morts-de-faim du nombrilisme, d’idéologues de l’à-peu-près, de théoriciens du n’importe quoi, qui viennent se jeter comme une nuée de mouches noires sur l’irrésistible charogne de la démocratie, ou de ce qu’ils reniflent comme telle.
Quel défilé, mes aïeux ! Défoulements d’introvertis, déhanchements d’ectoplasmes, résurrections de zombis politiques, apparitions de spectres, flamboiements de feu-follets, piaillements de coquecigrues, ululement de sibylles, c’est l’immense, majestueux, interminable et effrayant défilé de la cour des miracles des vanités sans fard, des jobardismes sans retenue, des reniements sans vergogne, des théologies sans foi, des utopies sans lois, qui vient submerger nos rivages sous l’indétournable tsunami des médiocrités les plus crasses.
Et quelle jouissance des pupilles pour les vrais amateurs de ménageries ! Le philosophe de comptoir y côtoie le psychologue de gouttière, le cul-de-jatte de l’éloquence y serre la pince du manchot de la rhétorique, la madone des urnes bourrées s’y tortille bras dessus bras dessous avec l’enfant de Marie aux relents de sounouk, l’homme de main s’y cramponne fièrement à celle d’un nouveau pied-de-riz. Le tout dans un désopilant tourbillon de slogans de prisunic, de promesses de charlatans, de musiques de cirque, de saignées, de clystères, de pilules miracles, de prophéties au goût de kolodan, où celui qui ignore tout du passé et en sait le moins sur le présent hurle avec le plus de conviction qu’il fera chanter nos lendemains, et vend treize à la douzaine les bouquets de ses prédictions ou les barbes à papa de ses promesses.
Paradoxalement, dans le tintamarre d’un tel beuglant, le candidat authentique (Dieu soit loué, il y en a...) et le programme cohérent (ils existent, j’en ai rencontré...) apparaissent comme trop sérieux, presque décalés, limite incongrus. Un peu comme Bridget Jones se pointant par erreur déguisée en lapin dans une soirée mondaine où tous les invités sont en tenue de ville. De quoi frôler le malaise. En arriver à se demander ce qu’ils font là...
Et puis ils relativisent. Se disent (et nous avec) qu’au fond c’est là le jeu de la démocratie. Ils se souviennent que le bal des m’as-tu-vu, comme la Danse Macabre de Saint-Saëns, va s’arrêter brusquement dès le chant du coq du premier tour. Et d’un seul coup, c’est le néant des discours bâclés, des théories bancales, des promesses ineptes, qui retentira de façon éclatante, pour céder la place, une fois achevé le retour piteux des squelettes sous leur marbre, au véritable débat d’idées.
En ce lundi 11 juin, nous y sommes. Sans rancune, et mille tendresses à vous, les batteurs d’estrades. Au revoir, à la prochaine, et merci aux débiteurs de baratin, aux contorsionnistes, aux “chargeurs d’lo”, aux jakos de la campagne, aux camelots de la kouyonis, à tous ces braves figurants qui allez vous arracher à notre affection pendant cinq longues années encore, pour vous refaire une voix au frais dans vos sarkophages, avant de pouvoir bondir à nouveau gonflés à bloc sur les tréteaux publics, et y beugler comme des vaches que ceux qui n’ont pas voté pour vous sont des veaux.


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